La réversion : état du droit et perspectives d’évolution

Le système de retraite français offre une couverture élargie du risque vieillesse : il garantit non seulement une pension de droits directs aux assurés, mais également des droits dérivés pour leurs ayant-droits (conjoints, ex-conjoints voire les enfants dans certains cas). En somme, la retraite est avant tout le résultat de notre vie active mais également celui de notre trajectoire conjugale et familiale.

Le mécanisme de la réversion, institué dès 1945 dans le régime général de sécurité sociale et généralisé dans l’ensemble des régimes de retraite, avait pour objectif de compenser les inégalités hommes-femmes : ces dernières, peu présentes sur le marché du travail, devaient faire face à un risque élevé de pauvreté lors du décès de leur conjoint.

Cet article a été publié il y a 2 ans, 9 mois.
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La réversion : état du droit et perspectives d’évolution

L’évolution de la société conduit aujourd’hui à réinterroger le sens de la réversion. Le taux d’emploi des femmes a significativement augmenté, tandis que le mariage n’est plus le seul mode de vie conjugale. On notera également que de moins en moins de personnes restent mariées toute leur vie, environ un mariage sur deux se termine par un divorce.

Enfin, le principe même de la réversion interroge sur l’émancipation féminine, en ce qu’elle fait reposer le niveau de vie à la retraite des femmes sur la pension de leur conjoint défunt. Si les droits personnels acquis par les femmes et les hommes étaient identiques au cours de leur vie active, plus rien ne justifierait l’octroi d’une réversion (c’est une des raisons qui a poussé la Suède à supprimer la réversion en 1990).

Présentation d’un dispositif singulier, auquel les français restent très attachés et peu enclins à voir évoluer.

Principe et diversité de la pension de réversion

Quelques chiffres en guise d’illustration :

  • La réversion concerne environ 4,4 millions de personnes à fin 2019. Les femmes, plus souvent veuves, représentent 88% des bénéficiaires.
  • Pour plus d’1 million d’entre elles, cette pension constitue leur unique source de revenus à la retraite. Néanmoins ce chiffre a été réduit de moitié depuis 2004, essentiellement grâce au développement de l’activité professionnelle des femmes.
  • 1 382€ net par mois, c’est le montant moyen d’une pension de retraite en France. Si on prend en compte la réversion, celui-ci monte à 1 528 €.
  • Les charges de réversion représentent environ 40 Mds€ de dépenses pour le système de retraite (sur un total de dépenses d’environ 338 Mds€ en 2020).
  • A long terme, la masse des prestations versées au titre de la réversion devrait se réduire de moitié. Plusieurs facteurs entrent en jeu : réduction des écarts d’espérance de vie entre les hommes et les femmes, réduction de la durée de perception de la pension.

Pour aller plus loin, c’est ici.

En réalité il ne faut pas parler de « la » réversion mais « des » réversions. Si, depuis plusieurs années, les différentes réformes du système de retraite ont conduit à une harmonisation massive des règles de calcul, il subsiste des spécificités fortes sur les droits familiaux et conjugaux.

Pour faire simple, les mécanismes de réversion en France fonctionnent sur le modèle « assurantiel » ou « hiérarchique », qui revêt une logique patrimoniale.

Il s’agit d’un droit à pension acquis au titre du mariage de manière définitive, avec ou sans condition de ressources. Ainsi par exemple, la réversion servie par le Régime général de Sécurité sociale impose une condition de dépendance financière pour percevoir un droit, ce qui n’est pas le cas dans le régime de retraite complémentaire des salariés (Agirc-Arrco).

Certains régimes, comme ceux de la Fonction publique, prévoient également le versement d’une réversion aux enfants nés du mariage, lorsqu’ils sont mineurs au décès du conjoint et dépourvus de ressources financières.

Le tableau ci-dessous récapitule les caractéristiques de la réversion propres à chacun des principaux régimes de retraite : condition d’âge, de ressource, de durée de mariage, de partage des droits lorsqu’il y a des ex-conjoints, de calcul du taux de réversion etc.

Cela traduit effectivement un système complexe, aux règles peu lisibles et très différentes d’un régime à l’autre. Les démarches du conjoint survivant (l’attribution ne se fait pas de manière automatique) sont particulièrement compliquées lorsque l’assuré décédé a eu une carrière mixte, et cotisé dans des régimes distincts au cours de sa carrière…

Régime général, RSI, MSA

Régime compléméntaire Arrco-Agirc
(à compter de 2019)

RSI, régime complémentaire

Régimes intégrés (fonction publique – FP, régimes sépciaux – RS)

Bénéficiaires

Conjoint survivant
Conjoint divorcé
Conjoint survivant remarié

Conjoint survivant
Conjoint divorcé
Orphelin sous condition d’âge

Conjoint survivant
Conjoint divorcé

Conjoint survivant
Conjoint divorcé
Orphelin sous condition d’âge

Condition d’âge du bénéficiaire

55 ans minimum

55 ans minimum, sauf si au moins deux enfants à charge ou bénéficiaire invalide

55 ans minimum

Non

Condition de ressources

Oui

Non

2 PASS

Non

Durée minimale de mariage

Non

Non

Non

4 ans (après la liquidation) ou 2 ans (avant la liquidation)
Non, si un enfant est issu de l’union

Condition de non remariage

Non

Suppression de la réversion en cas de remariage

Non

Suspension de la réversion en cas de remariage, PACS ou union libre, pour la fonction publique

Partage des droits entre conjoints survivants divorcés

En cas de divorce, proratisation en fonction de la durée du mariage et de la durée d’assurance

En cas de divorce, proratisation en fonction de la durée du mariage

En cas de divorce, proratisation en fonction de la durée du mariage et de la durée d’assurance

En cas de divorce, proratisation en fonction de la durée du mariage
Si décès d’un conjoint, la pension des autres conjoints n’est pas augmentée

Taux de réversion

54 % (porté à 60 % sous conditions)

60 %

60 %

50 % (porté à 54 % sous conditions RS et à 100 % pour les fonctionnaires morts en action)

Document sans nom

Source : Revue d’économie politique Vol.129 – Quelle réforme pour la réversion en France ? Anne Lavigne

Dans tous les cas, il convient d’anticiper la perte de revenus consécutive à une situation de veuvage. Les personnes non mariées, ou celles qui ont des revenus qui dépassent les plafonds prévus par certains régimes, doivent réfléchir à trouver d’autres sources de revenus, par exemple via un dispositif d’épargne.

Pour plus d’information, l’assuré peut se renseigner auprès du régime de retraite qui doit verser la prestation, voire de son service paie/RH (notamment dans la Fonction publique).

Quel avenir pour la pension de réversion ?

Comme évoqué en introduction, la société évolue et nous conduit à réinterroger le sens que l’on souhaite donner à un dispositif conçu pour protéger les couples (et en particulier les femmes inactives) qui se marient en début de vie active et qui partagent leur vie jusqu’au décès de l’un des conjoints.

Plusieurs sujets de réformes sont régulièrement évoqués dans la presse et commentés par des experts :

Doit-on maintenir la condition de mariage pour bénéficier d’un droit à réversion ?

Si le mariage reste encore aujourd’hui le mode de cohabitation le plus fréquent, de nouvelles formes de vie conjugale ont émergé au cours des trente dernières années tels que le PACS. Un certain nombre d’experts militent pour l’ouverture de la réversion aux couples pacsés, quitte à prévoir une proratisation du montant de la pension versée en fonction de la durée du PACS.

Plusieurs arguments viennent en opposition à une généralisation :

  • Le risque de développer les « unions de complaisance », le PACS pouvant être contracté et rompu assez facilement ;
  • La différence juridique entre les deux formes de couple. En effet, le PACS n’entraîne pas les mêmes droits et obligations que le mariage, notamment l’engagement réciproque de solidarité financière.
  • Le coût, bien sûr. Sur les 410.000 unions constatées par l’INSEE en France sur l’année 2019, près de la moitié étaient des PACS. Cela pourrait générer une augmentation très substantielle des dépenses.

Comment traiter les situations de divorce et de remariage ?

Ces situations se rencontraient peu fréquemment lorsque la pension de réversion a été créée. Par la suite, les régimes de retraite ont chacun choisi de traiter le sujet différemment, les uns conditionnant le bénéfice de la pension à l’absence de remariage, les autres mettant en place un système de proratisation en fonction de la durée de chaque union etc. Cela peut conduire à des situations paradoxales dans lesquelles, par exemple, une femme qui divorce après 40 ans de mariage et se remarie ne puisse percevoir aucune prestation au titre de son ex-conjoint décédé.

Certains experts préconisent de supprimer (ou réduire) le bénéfice de la réversion pour les personnes divorcées en agissant, en contrepartie, sur le mécanisme de la prestation compensatoire (PC). Néanmoins plusieurs difficultés sont identifiées : les modalités de calcul de la majoration de PC, l’absence de PC dans 3 mariages sur 4, les difficultés de solvabilisation du conjoint divorcé qui devrait avancer immédiatement une rente viagère hypothétique future etc.

Le débat est donc loin d’être tranché.

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Quelle harmonisation du calcul de la pension ?

La réversion représente un pourcentage de la pension de droit direct servie au conjoint décédé. Elle est plafonnée dans certains régimes (Régime général) et éventuellement soumise à condition de ressources dans une acception plus ou moins large.

Une harmonisation du dispositif conduit donc à se poser la question de fixer un mode de calcul unique, et de déterminer l’étendue du droit. Tout dépend du degré de redistributivité envisagé : par exemple, un plafonnement dégressif, de même qu’un éventail large des ressources incluses dans le plafonnement, opère une redistribution verticale forte.

Se pose également la question de l’âge à partir duquel on peut bénéficier d’une pension de réversion. Comment traiter les situations de veuvage précoce ? Le montant de la réversion étant directement proportionnel à la pension du conjoint décédé, un veuvage précoce ne permet pas de constituer un montant de pension suffisamment important pour faire face au risque de pauvreté. Par ailleurs, le décès au cours de la vie active est généralement déjà assuré par la couverture complémentaire prévoyance du salarié et/ou par la solidarité nationale via l’assurance maladie (capital décès, rente viagère octroyée aux ayants droit d’un assuré décédé à la suite d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle etc.).

Pour beaucoup d’experts, il serait ainsi logique d’aligner l’âge minimal de la réversion sur l’âge légal de départ à la retraite pour assurer une couverture optimale.

La réversion est donc à l’image de notre système de retraite, complexe et multiple. Héritage du passé et d’un modèle familial et social aujourd’hui remis en cause, les français y restent cependant très attachés. La dernière enquête connue sur le sujet, réalisée par la CFDT en 2018 dans le cadre des travaux sur le système universel de retraite, montre qu’environ deux tiers des français estiment normal qu’un veuf ou une veuve ait droit à une réversion. 21% considèrent que le dispositif devrait être réservé aux petites retraites et 12% qu’il pourrait être supprimé.

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