La flexicurité danoise : quels enseignements pour la France ?

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En bref

RobertBoyer explore ici les raisons de ce succès, en montre l’originehistorique et en tire quelques enseignements prudents concernantl’applicabilité du  » modèle danois  » en dehors de ses frontières, et tout particulièrement en France.

Les explications abondent. Pour les macroéconomistes, c’est la qualité de la gestion des finances publiques qui fait entrer le Danemark dans un cercle vertueux, que prolongerait l’autonomie maintenue de la politique monétaire.

Pour les spécialistes du marché du travail, l’essentiel du succès tient à la liberté d’embauche et de licenciement qui rapproche beaucoup ce pays du workfare anglo-saxon.

Les experts de la couverture sociale soulignent combien la redistribution par la fiscalité permet de concilier équité et efficacité économique.

D’autres encore soulignent le rôle de la culture et d’une vision communautariste dans la viabilité d’un aussi généreux Etat-providence.

Pour leur part les spécialistes du changement technique soulignent combien l’organisation de l’école et de l’entreprise est favorable à un dynamisme schumpétérien impulsé par des PME.

 A des degrés divers et à des époques différentes, chacune de cesinterprétations saisit une part des mécanismes à l’oeuvre.

En fait, la flexicurité organise la complémentarité de trois dispositifs, habituellement faiblement coordonnés :

  • le droit du travail,
  • le régime d’indemnisation du chômage
  • et la politique d’emploi.
  • En effet, la générosité des indemnités de chômage autorise un fort relâchement des contraintes pesant sur la gestion par les firmes de l’emploi, mais ces deux dispositifs ne sont rendus cohérents qu’avec le complément d’une politique active d’emploi qui régit et contrôle la disponibilité des chômeurs tout en favorisant leur requalification professionnelle.

    Lesaspects d’incitation et de contrôle, de vérification de ladisponibilité des chômeurs et la formation se conjuguent pour expliquerl’impact positif de cette troisième composante, la plus originale, dela flexicurité, au-del à même des valeurs civiques ou communautaires quisont le ciment de la société danoise.

    De plus, la claire division des rôles entre les partenaires sociaux et l’Etat et la qualitédes négociations collectives expliquent que la générosité del’indemnisation du chômage et l’ampleur de la syndicalisation ne seconvertissent pas en rigidité salariale et perte de compétitivité.

     Dans un second temps, cette étude questionne la notion même de modèle.En effet, lorsque l’on reparcourt la trajectoire danoise depuis lesannées soixante-dix, il est frappant de constater que, jusqu’en 1993,ce pays souffre des mêmes déséquilibres et maux que les autres payseuropéens.

    C’est d’abord une réduction drastique du déficit public qui relance lacroissance, aux antipodes de ce qu’enseigne la théorie keynésienne.Ensuite et surtout, on est frappé par le caractère incertain desmesures visant à lutter contre le sous-emploi : recours auxpréretraites jusqu’en 1998, tentatives récurrentes de réduire à lamarge la générosité de la couverture sociale, prépondérance despolitiques d’emploi passives, et non pas actives, jusqu’au début desannées quatre-vingt-dix.

    Si l’on devait arrêter en 1993 le cours de l’histoire, en matière destratégie d’emploi la France et le Danemark seraient finalement trèsproches. Depuis une décennie les trajectoires se sont séparées car lesstratégies des partenaires sociaux et des gouvernements ont étédifférentes.

    Au Danemark, la centralisation des négociations collectives clés– accompagnée d’une décentralisation de leur mise en oeuvre – et uneclaire division des rôles par rapport à l’intervention du législateuret de l’Etat, ouvrent un champ de recomposition aux relations detravail, sachant que la défense de la sécurité des travailleurs est lecompromis fondateur à partir duquel peuvent se développer lesdifférentes formes de flexibilité permettant de répondre tant aux aléasde l’économie internationale qu’aux exigences et opportunitésqu’offrent les nouvelles technologies et formes d’organisation desentreprises.

    Voil à pourquoi, au-del à de ressemblances certaines, la flexicurité danoise n’est pas une variante mineure du workfare anglo-saxon. Surgit un paradoxe : au moment même où¹ le Danemark remplace dans les esprits les modèles précédents – successivement suédois, rhénan, japonais, américain– apparaissent certaines faiblesses de la configuration danoiseactuelle et la nécessité d’ambitieuses réformes pour répondre auvieillissement, améliorer l’intégration des travailleurs immigrés ouencore accroître l’efficacité d’un système éducatif fort coù»teux maispas totalement satisfaisant.

    De plus, des retouchessont en permanence apportées à la politique d’emploi et un réglage finde la fiscalité se révèle de plus en plus difficile car il n’est pasaisé de concilier l’ampleur des prélèvements obligatoires assurant lasolidarité en réponse à de nouveaux besoins et la préservation desincitations à l’activité et à l’innovation.

    Vuedu Danemark, la situation interne du pays est beaucoup moins sereineque contemplée de France ou d’Allemagne, où¹ la permanence du chômage etles phénomènes d’exclusion font apparaître le Danemark comme uneldorado.

    Néanmoins, l’expériencedanoise peut éclairer la situation française car elle inciteàsurmonter la nostalgie d’une protection des marchés internes dutravail, au profit de la recherche d’un équivalent fonctionnel dumodèle danois, compatible avec le style des relations professionnelleset des interventions publiques propres à ce pays.

     On songe à la négociation d’un nouveau compromis qui garantirait unesécurisation des parcours professionnels grâce à un redéploiement desinterventions publiques et à une nouvelle délimitation desresponsabilités respectives de l’Etat et des partenaires sociaux. Cepourrait être une flexicurité à la française.

     Robert Boyer est directeur de recherche au CNRS, directeur d’étudeàl’EHESS, membre de Paris-Jourdan Sciences économiques et du CEPREMAP.

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    La flexicurité danoise. Quels enseignements pour la France ?, R. Boyer, Cepremap, Paris, 2006, 54 pages.

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