La génération Y représente 13 millions de personnes en France et a changé la donne en matière de relations et de style de management dans les entreprises… Les Echos boomers ou génération Z (1985-1995) arrivent dans les entreprises. Benjamin Chaminade, expert international en Ressources Humaines et en valorisation des talents est le premier à avoir parlé de la génération Y (1978-1994). Il éclaire sur la « relève ».
GERESO: On connaît mieux maintenant la génération Y, bientôt suivie dans les entreprises par les « Echos Boomers », un peu moins connus, eux. Qui sont-ils exactement ?
Benjamin Chaminade : Les gens les appellent la génération Z et en marketing on les appelle les ados, enfin les teens.
Je ne suis pas sûr que le terme de génération soit tout à fait adapté. En fait, c’est beaucoup plus un mode de pensée qui commence à arriver dans les entreprises. Pour savoir si quelqu’un est Y, c’est simple, il faut lui parler culture, lui demander combien il a d’adresses email, s’il est connecté régulièrement avec sa bande ou a eu des parents plutôt comme amis… Le Z, lui, ça va être beaucoup plus dans la manière dont il fonctionne.
Il y a des scientifiques anglais qui viennent de montrer que le cerveau de quelqu’un de 20 ans était différent de celui d’une personne de 40 ans, notamment au niveau de l’appréhension de l’information. Il voit ces informations de manière beaucoup plus globale. Sur un texte, par exemple, les Z vont voir très rapidement quelle est la partie essentielle. Même s’ils font des contresens ensuite, ça n’empêche pas qu’ils repèrent plus vite la partie réellement importante. Le souci, c’est que ça se passe aussi de cette manière avec les gens. Ils sont capables de percer assez rapidement les problèmes ou les complexes des autres, sans que ce soit voulu de leur part.
Quelles sont les conséquences en entreprise ?
Et bien, un manager va se retrouver face à quelqu’un qui va lui dire, droit dans les yeux : je ne t’aime pas.
On peut parler de « choc des cultures » ?
Culture oui, choc, je ne suis pas sûr qu’on puisse aller jusque-là. Mais effectivement, on se retrouve face à différentes cultures qui cohabitent, avec des gens de 35 ans qui ne comprennent pas ceux de 30 ans qui ne comprennent pas, à leur tour, ceux de 25 ! En tout cas, votre formulation est plus intelligente que celle des gens qui parlent de « choc intergénérationnel » entre ceux de 50 et ceux de 20, car ça n’existe pas.
Peut-on parler de management intergénérationnel ?
Oui et non? Enfin plutôt non, car le management intergénérationnel va demander de faire de l’intergénérationnel et donc vous amener à vous demander si le fait d’avoir grandi dans des environnements différents veut dire être différent. Et là, il y a du pour et du contre… Effectivement, c’est vrai, quand vous avez écouté du hip hop et du rap, vous n’allez pas vous mettre à écouter du classique juste parce que vous avez 50 ans. Mais en même temps, il faut faire très attention car donner des ficelles intergénérationnelles aux managers qui n’ont pas que ça à faire et qui vont donc chercher des raccourcis risque de faire verser dans le cliché de l’âge : « toi, tu as tel âge, je vais te manager comme ça ».
Le management intergénérationnel ne s’est donc pas développé avec la génération Y?
Non, il a toujours existé, même s’il était plus ou moins ignoré. Il faut bien reconnaître qu’il y a 15 ou 20 ans, vous aviez une description de fonction et c’était à prendre ou à laisser. Aujourd’hui, ce qui a vraiment créé l’effet générationnel, c’est ce sont les trois éléments suivants :
En premier lieu, il y a des attentes qui sont vraiment différentes, comparées à celles émanant de personnes qui aujourd’hui sont plutôt en fin de carrière. L’entreprise n’est plus une fin en soi, c’est juste un moyen d’être heureux, d’apprendre des choses ou d’avoir de l’argent, mais en tout cas ce n’est pas une fin en soi. Avoir une carrière pour avoir une carrière n’est plus forcément un objectif. On veut avoir une carrière, mais dans une entreprise où l’on se sent bien. C’est un vrai changement de mentalité.
Le deuxième élément, c’est que les dirigeants et managers qui ont entre 40 et 60 ans se posent davantage de questions. Aujourd’hui, plus qu’il y a 20 ou 30 ans, on a quand même moins de gens qui se disent : « c’est moi le chef, donc c’est moi qui ai raison ». Ils se remettent en question. On le voit au développement de l’Association pour le progrès et le management (APM), du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD)… Toutes ces associations où se mènent des réflexions et où l’on a des managers qui cherchent des réponses et prennent du recul.
Le dernier élément, c’est le nouveau rôle des parents car avant de parler d’Internet, de web 2.0 et que ça influe sur leur façon de penser, il faut parler de la révolution des modes parentaux : le parent copain, fournisseur d’affection, professeur ou guide qui est là pour donner de l’éducation et des fessées quand c’est nécessaire. Il y a là une vraie évolution.
C’est bien vous qui avez apporté le concept de « gen Y » en France ?
Absolument, mais avant on parlait des jeunes plutôt côté marketing, comme une phase de la vie. J’ai apporté la génération Y en parlant surtout des jeunes, mais en réalité de tous les autres âges pour une culture plus ou moins commune.
Apparemment, on ne manage pas la génération Y ?
Exactement (rires)! Enfin si, on les manage, mais il y a d’autres questions à se poser d’abord. La première c’est comment on leur apprend à se manager eux-mêmes parce qu’il faut reconnaître qu’ils ont perdu le contexte. C’est ça qui est paradoxal. Alors qu’on est dans l’explication permanente, des parents d’abord et ensuite des professeurs, ils arrivent dans l’entreprise et on ne leur explique rien, comme s’ils savaient déjà. Il faut donc leur apprendre à arriver à l’heure, leur dire pourquoi, leur apprendre ce qu’est une performance ou de gagner son salaire, par exemple.
Ensuite, il faut leur apprendre à être managé par quelqu’un. Donc c’est le manager qui, dès le premier jour, va rencontrer ses collaborateurs, quel que soit leur âge, et leur dire : voilà ce qu’est l’entreprise, avec son contexte, sa vision, ses missions… Mais surtout : « je viens de là, j’ai tel parcours, j’ai travaillé avec des gens comme ça et je vous préviens, mon style de management va être d’être assez proche de vous et je ne vais pas hésiter à vous tutoyer car j’ai une personnalité assez extravertie. Mais je vous préviens, j’ai choisi le copinage mais il ne faut pas aller trop loin non plus ». Ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut que le manager se présente et ne laisse pas de non-dit dans cet accueil. Tout doit être expliqué.
Au quotidien, c’est comme cela aussi, surtout pas de non-dit ?
Au quotidien, ça va demander plus de réunions en face à face, plus de spécialisation et d’individualisation. Le manager doit aussi être capable de noter les réussites et les échecs de chacun. Ça va en faire bondir certains mais on vient là… C’est ça qui est fort, ils n’aiment pas l’autorité, veulent un peu de liberté, mais en même temps, souhaitent un cadre. Et c’est beaucoup plus difficile à donner qu’une liste de performances à atteindre ou une sanction.
Ça change effectivement la donne en entreprise… Un kit de survie pour les managers et les services RH ?
Pour commencer, il faut se dire que le collaborateur Y n’est pas si différent et qu’il faut essayer de se concentrer sur les points en commun. Je conseille toujours aux managers d’aller au moins voir sur Facebook ce qui s’y passe, c’est la moindre des choses. Il faut donc se rapprocher d’eux, sans tomber dans le « regarde, je suis jeune, j’ai acheté une veste Chevignon ». En effet, premièrement, c’est complètement has been Chevignon et en plus, ça ne marchera pas ! Donc chacun son rôle.
Pour finir, pensez à savoir accueillir et donnez les règles qui ne changeront plus. Il est primordial de les expliquer une bonne fois pour toute, ainsi que son positionnement. Et très important : tentez de suivre chacun au jour le jour.