Management d’équipe et performance, une question de culture

Le management ne peut être traité en dehors de son contexte organisationnel, réglementaire et humain. Une équipe est un collectif de travail avec ses règles internes, ses règles externes, ses relations interpersonnelles. Le Professionnel RH doit aller au delà des apparences et s’appuyer sur ses connaissances dans le domaine des Organisations et des Hommes pour jouer son rôle de médiateur entre les différents acteurs.

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Le management d’équipe du point de vue organisationnel situe le collectif de travail dans un environnement défini par des règles internes de fonctionnement. Ses règles internes revêtent une dimension formelle mais aussi une dimension informelle :

  • La dimension formelle est transcrite à travers l’ensemble des processus, procédures, documents sur lesquels l’entreprise appuie sa gestion.
  • La dimension informelle repose sur la culture de l’entreprise, les réseaux interpersonnels, les règles implicites.

Si la première est imposée par les dirigeants, la seconde est produite par l’ensemble des collaborateurs. Il existe donc toujours une double lecture des organisations. Le Professionnel RH doit très rapidement repérer ces deux réalités organisationnelles qui peuvent être parfois très éloignées l’une de l’autre. A cette réalité bi dimensionnelle vient s’ajouter une troisième dimension temporelle qui vient complexifier la lecture des modèles d’organisation. Ainsi l’historique d’une entreprise continue à influencer les modes d’organisation et les comportements à travers les plus anciens collaborateurs. Porteurs de la culture initiale de l’organisation, ils défendent parfois un ancien modèle face à un nouveau modèle vécu comme contraignant.

Aborder le management d’équipe exige donc de considérer des paramètres culturels, managériaux et  fonctionnels. Le Professionnel RH est au cœur de ces influences. Au delà des outils et des processus, la fonction RH apporte une expertise sur le facteur humain. Pour ce faire il est important de comprendre les différents phénomènes qui influencent aujourd’hui le management des Hommes et des Organisations.

L’étude des cultures et de leur mode d’organisation est une source importante pour comprendre le comportement humain dans son expression collective.  Au sein de nombreuses organisations, le modèle dominant, issu de la globalisation des marchés, coexiste avec les anciens modèles issus des cultures locales. Pour comprendre cette dynamique souvent dualiste, nous nous sommes intéressés aux travaux des anthropologues et les avons comparés à ceux effectués sur l’Intelligence Prismatique. Cela nous a permis d’aller au delà de la dimension formelle des organisations pour appréhender leur dimension informelle.

Dans son livre « La logique de l’Honneur », Seuil 1989, Philippe d’Iribarne rapporte une large étude anthropologique effectuée au sein d’entreprises françaises, américaines et néerlandaises. Il en conclue l’existence de sens très variés au sein des cultures nationales générant des modèles d’organisation économiques et sociales différents.

Il considère qu’en France existe une logique de l’honneur soudant l’individu à son collectif plus fortement qu’un contrat formel. Cette logique repose sur l’existence d’un système de privilèges reliant le chevalier à son seigneur. Cette logique persiste aujourd’hui à travers les avantages que chacun peut avoir du fait de sa relation avec le pouvoir. Le fait qu’il existe des différences entre privilège importe peu. La participation à ce système de privilège est en fait le garant de la construction sociale. Elle privilégie les liens d’appartenance entre individus et sécurise le collectif.

Pour revenir vers le modèle de l’Intelligence Prismatique, nous constatons que le Sujet est plus important que l’Objet. En effet ce sont les liens avec le collectif qui priment sur tout aspect contractuel. Si nous projetons ce constat dans le cadre du management d’équipe, la relation avec le manager de proximité s’en retrouve renforcée. Le lien avec l’équipe est bien sûr de fait important. Ce mécanisme exclut une différentiation trop forte entre les membres. Si l’autorité peut s’appuyer sur la distribution des privilèges, elle ne doit pas remettre en cause une base égalitaire de traitement. On comprendra mieux pourquoi la mise en place des évaluations annuelles et la fixation d’objectifs individualisés puissent être en profonde contradiction avec ce modèle culturel français. Le modèle le plus représentatif de cette culture nationale est bien sûr l’Administration Publique française.

Les cultures néerlandaises et américaines, à l’inverse du modèle français, privilégient le contrat sur les relations personnelles. Les liens sociaux et économiques sont formalisés sous forme de contrat : « les américains sont hantés par l’image idéale du contrat qui, passé entre des hommes libres, reste juste parce que la loi s’est unie à la morale pour limiter le pouvoir du plus fort ». Aussi, le contrat entre individu est-il régulé par une autorité supérieure, supra humaine. On comprend mieux l’importance des règles éthiques au sein des organisations américaines. La tendance à privilégier le contrat sur la relation interpersonnelle, entraîne une instrumentalisation des relations entre individus. Cette instrumentalisation avantage bien sûr une gestion propre à l’Objet qui considère le contrat comme une sécurité. Les chartes et les déontologies sont issues de cette logique sécuritaire par le contrat. Il nous apparaît également évident que la gestion de performance individuelle sous forme d’objectif annuel correspond parfaitement à ce modèle privilégiant le contrat entre individus sur le lien personnel.

Aux Pays-Bas, le respect des différences est la base même de la société. L’affirmation des différences entre individus permet plus facilement d’imposer un modèle de management individualisé. La contractualisation par l’entretien annuel est même bien considérée car elle cadre les activités de l’année et évite les débordements d’horaires et les changements rapides de responsabilités.

Il apparaît que dans ce groupe de pays anglo-saxons, les rapports entre individus passent prioritairement par une autorité instrumentalisée : la loi et les contrats. Face à l’individualité propre au traitement différencié des personnes, il est nécessaire de contre balancer par un mécanisme contractuel. Cette logique instrumentale a pour avantage de souder un collectif autour de projets communs formalisés sous forme de contrat. Elle rétribue les membres du collectif selon un calcul de retour sur investissement : plus l’individu s’est investi, plus il gagnera. Cet investissement se mesure par l’atteinte d’objectifs chiffrés et temporalisés.

Cette logique instrumentale est possible dans une société d’hommes et de femmes libres. Le strict respect du contrat évite l’éclatement social basé sur la reconnaissance des différences et l’acceptation d’un principe de non égalité entre les membres.

Evidemment, nous pouvons facilement faire le lien avec les modèles de management par objectifs issus des entreprises américaines. Leur généralisation au sein des organisations privées comme publiques génèrent encore aujourd’hui des difficultés d’application. Ces modèles de management se heurtent en fait à un socle culturel inverse de celui dont ils sont issus. Des stratégies d’évitement se mettent alors inévitablement en place car les acteurs n’y trouvent pas leur compte. Nous comprenons qu’au delà des modèles de gestion, des croyances persistent avec leurs productions sociales et économiques.

Si nous reprenons la typologie de l’Intelligence Prismatique, nous pouvons dépasser le niveau culturel national pour aborder une réalité plus individuelle. Les personnalités privilégiant l’Objet vont plus facilement adhérer à des modes de management privilégiant le contrat sur la relation. Les collaborateurs sont reconnus à travers des critères formels et une grille de résultats factuels. Les objectifs ont été préalablement contractualisés lors de l’entretien annuel. Cette démarche est rassurante car elle limite les pouvoirs individuels et structure le collectif autour d’objectifs. La non atteinte des objectifs et ses conséquences sur les rémunérations individuelles est plus facilement acceptable.

Au contraire, dans les systèmes où la logique Sujet est priorisée, le mode de management par objectif individuel déstructure le collectif. Il est plus difficile pour ces personnes de concevoir l’atteinte d’un objectif uniquement par un effort individuel. De plus la reconnaissance des atteintes de l’objectif ne tient pas compte de leur niveau d’engagement personnel pour maintenir l’harmonie au sein du collectif. Les personnes privilégiant une approche Sujet ont bien du mal à adhérer à un management basé sur la performance individuelle alors même que leurs croyances les poussent vers une priorisation du collectif sur l’individu.

Nous constatons que deux dynamiques sociales et économiques s’opposent :

  • Une dynamique basée sur le contrat, orientée prioritairement sur une logique propre à l’Objet
  • Une dynamique basée sur l’appartenance, orientée prioritairement sur une logique propre au Sujet

Dans la dynamique basée sur le contrat, le management d’équipe valorise la performance individuelle. Elle utilise le processus des objectifs annuels pour formaliser l’apport individuel aux objectifs de l’ensemble de l’organisation. Elle favorise l’émergence de nombreux entretiens tournant autour de la personne elle-même : entretien de carrière, entretien professionnel, entretien de performance. Elle reconnaît la performance individuelle par une politique de rémunération individualisée. Elle valorise la culture du résultat et accepte des comportements compétitifs au sein même de l’équipe. Bien sûr des règles éthiques régulent les risques d’éclatement du collectif. Les individus ne basent pas nécessairement leur progression professionnelle sur une fidélité à l’organisation.

Dans la dynamique basée sur l’appartenance, le management d’équipe valorise la performance collective. Elle peut s’organiser autour de petit collectif comme des équipes autonomes. Les objectifs communs à l’équipe sont mis en avant. La politique de rémunération intègre une rémunération variable calculée sur la performance du collectif. Pour atteindre collectivement les objectifs, la dynamique d’appartenance valorise les comportements collaboratifs. La culture d’entreprise est le socle du lien social. Les comportements compétitifs au sein de l’équipe sont mal perçus. Des modus vivendi se mettent en place pour favoriser le consensus au sein de l’équipe. Les individus privilégient la fidélité à l’organisation dans leur progression professionnelle.

De fait les deux cultures coexistent aujourd’hui au sein des organisations françaises amenant inévitablement l’émergence d’une culture hybride. Entre performance individuelle et performance collective, manager n’aura jamais été aussi complexe.

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