Les principaux pièges des situations interculturelles

Cet article a été publié il y a 19 ans, 3 mois.
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L’interculturel est un enjeu délicat, que ce soit à l’intérieur d’uneentreprise, à l’intérieur d’une équipe ou au sein des sociétés. Il n’ya pas de recette universelle et le succès n’est pas gagné d’avance(contrairement à ce que peuvent penser la plupart des personnesconcernées).

Les défis liés aux situations interculturelles ne selimitent pas aux phases d’approche et aux premiers mois d’une situationnouvelle : ils sont permanents, récurrents et s’étalent tout au long duprocessus.

Il y a, en effet, des pièges propres auxpremières rencontres, mais il y en a d’autres qui sont spécifiquementliés au processus à moyen et long terme. Quelques pièges du départpeuvent réapparaître tout au long du processus, d’autres se trouventimminents, voire menaçants, comme des « épées de Damoclès », probables etsusceptibles de se produire, du début jusqu’ à la fin de la relationinterculturelle.

Etre conscient de ces pièges peut d’une part aider àprendre les précautions pour les éviter si possible, et, d’autre part,permettre aux managers de mieux se préparer à les vivre sans succomber à leurs effets.

Piège n° 1 : Stéréotypes : en avoir peur, s’y réfugier et s’y morfondre

Lepremier piège interculturel est peut-être la peur des stéréotypes austade initial de la rencontre, suivi par le refuge dans ces stéréotypes- comportement défensif face aux changements liés aux opérations.

Selonl’étymologie, le mot  » stéréotype  » vient du grec stereos qui veut dire « dur, solide » et typos qui veut dire : « gravure, modèle ».

Sorte d’empreinte figée, les stéréotypes sont des expressions, desidées, des jugements de valeurs qui nous ont été transmis avec tous lesautres aspects de notre culture. Les stéréotypes correspondent auxjugements des comportements et des individus à travers nos propresparadigmes culturels, ils font partie de notre bagage culturel.

Bien souvent, l’Autre n’est pas au courant de l’image qu’il peutsusciter en nous. Cela semble nous étonner. Les stéréotypes sonttransmis de génération en génération, sous une optique universelle,sans connaître de  » mises à jour « , et sans jamais être remis enquestion.

Ainsi, le stéréotype du Français aux Etats-Unis correspond àl’image d’un Parisien des années trente : un homme en vélo, portant unepetite moustache, une chemise rayée, un béret et une baguette sous lebras.

Un autre exemple illustre bien la spécificitéculturelle d’un stéréotype. Un opérateur français de téléphonie mobilea adopté pour ses campagnes publicitaires en télévision, un personnaged’une origine ethnique indéfinie, un peu efféminé, et présentant doncune orientation sexuelle également indéfinie, de peau blanche avec uneénorme chevelure africaine et les yeux clairs, qui danse tout le tempset parle avec un drôle d’accent. Le succès de ce personnage fut tel,qu’il devint célèbre parmi des groupes de jeunes et même indépendammentde la campagne qui l’avait lancée. Si vous demandez à n’importe queljeune Français de quelle nationalité est Chico (c’est le nom dupersonnage), ils répondent tous sans hésiter et en rigolant, qu’il estbrésilien. Or, les Brésiliens expatriés vivant en France et tous lesautres Brésiliens, qui éventuellement ont vu le personnage, necomprennent pas pourquoi il serait si évident de conclure que Chico estbrésilien. Ils ne se sentent pas proches de lui.

Interrogés sur la nationalité du personnage, des individus issusd’autres cultures (des Polonais ou des Allemands) ont également eu dumal à tout de suite associer Chico à cette image de Brésilien. Celaveut dire tout simplement qu’ils ne partagent pas la même image duBrésilien que les Français. Informés du fait que ni les Brésiliens, niles Polonais, ni les Allemands n’accordent si aisément la nationalitébrésilienne à Chico, les Français sont surpris : ils n’ont pas réaliséjusqu’alors que cette image du Brésilien incarné par le personnagen’est guère universelle ou partagée par les autres.

Les stéréotypes, en tant que partie de la culture profonde, ont descaractéristiques et des fonctions. Ils sont partagés par l’ensemble desindividus, sont bien ancrés dans l’inconscient collectif, figés,atemporels et jamais mis en question. La principale fonction dustéréotype, c’est de protéger l’identité des individus,individuellement et en tant que membre d’un groupe, dans des situationsmenaçantes, changeantes, déstabilisantes : par conséquent lors d’unchoc culturel.

Les stéréotypes sont un mécanisme de défense naturel. Ils serventégalement à encourager l’adhésion des personnes appartenant à un mêmegroupe, et à établir la frontière entre ce qui est  » nous  » et ce qui est  » hors nous « .

Jugements de l’Autre à travers nos propres paradigmes, les stéréotypesvisent les principales caractéristiques physiques et comportementalesde l’Autre qui nous paraissent bizarres, intéressantes, différentes :la joie de Chico, par exemple, ou la pittoresque moustache dustéréotype américain du Français. La majeure partie du temps, lesstéréotypes ne sont pas durables au cours d’une relationinterculturelle, ni dangereux, et une fois reconnus comme tels, peuventdevenir des caricatures et être drôles.

Cependant, des problèmespeuvent apparaître quand les stéréotypes sont universellement pris ausérieux, comme des vérités absolues et incontestables. Cette attitudepeut engendrer de véritables hécatombes comme la tragédie des Juifslors de la deuxième guerre mondiale, ou le génocide au Rwanda en 1994.

L’un des principaux pièges interculturels est aussi la peur dustéréotype. Mot péjoratif, espèce de bouc émissaire, on le considèresouvent comme le seul responsable de l’échec des rapports humains,lorsqu’il y a un échec dans un processus de fusion, acquisition,partenariat ou toute autre démarche stratégique qui représente un grandinvestissement financier.

Les managers se préoccupent souvent dudéveloppement d’un système de blocage des stéréotypes, à vrai dire,l’idéal pour eux serait de carrément les éliminer. Un manager confirméd’une grande multinationale ayant une large expérience àl’international se disait fatigué de tomber à chaque fois, malgré touteune préparation interculturelle préventive à l’expatriation, dans lepiège du choc culturel.

D’après lui si le mécanisme de déclenchementdes stéréotypes était éliminé une fois pour toutes, les chocs culturelsne se produiraient plus jamais.

Il m’a donc demandé comment faire pouréliminer les stéréotypes une fois pour toutes. Or, les stéréotypes nesont pas une maladie à traiter en suivant une ordonnance médicale. Ilssont des mécanismes naturels de défense : lors d’une première rencontreet par conséquent de la production des premiers chocs culturels, lesstéréotypes se mettront automatiquement en route : il s’agit là d’unprocessus naturel, sain et inévitable.

Toute relation interculturelle bien réussie doit passer par le premierstade du recours aux stéréotypes. Ce sont eux qui nous permettent demaintenir le calme face à l’altérité dérangeante et de garantir notresécurité identitaire pour nous lancer ensuite dans la découverteeffective de l’univers de l’Autre. Ce sont eux également qui nousserviront de base pour la nouvelle vision de l’Autre qui finira par lesr
emplacer et les démentir une fois pour toutes.

Le recours aux stéréotypes nous permet également de nous rendreconscients, lorsque nous nous trouvons confus et déstabilisés par unchoc culturel. Quand je commence à trop vouloir décrire l’Autre et soncomportement, c’est sans doute parce que je suis en plein choc culturelsans m’en rendre compte. L’usage du stéréotype me permet de surveillerla fréquence et l’intensité des chocs culturels qui émergent de larelation et me permet aussi d’identifier dans quelles circonstancesprécises cela arrive le plus souvent.

Comme nous l’avons précisé, le mécanisme se déclenche souvent enréaction à un choc culturel et se caractérise par des affirmations dutype :  » Les Anglais sont…  » ou  » Les Thaïlandais sont… « . Nous nepouvons pas l’éviter, mais nous pouvons rester attentifs à notrediscours, à nos pensées, afin de mieux identifier ce qui nous a amenés à dire ou songer ce genre de chose ou faire ce genre de commentaire. Onemprunte alors le bon chemin d’ajustement mutuel pour la suite, enréfléchissant à nos propres paradigmes et jugements de valeurs lors denotre relation avec nos partenaires.

Les stéréotypes font toujours surface dans les premiers mois d’unecoopération interculturelle, ils ne durent pas longtemps. Avec letemps, les partenaires reprennent confiance face à un choc culturel etréajustent leurs regards sur leurs collègues étrangers, commencent àconstruire une base de valeurs communes qui facilite la communication,et, petit à petit, ne sont plus considérés comme des menaces.

Alors lesstéréotypes n’ont plus aucune fonction et disparaissent naturellementdu discours des personnes et de leurs attitudes envers l’Autre. Ils’agit là de la traversée plutôt réussie d’un premier stade d’unerelation durable.

Il se peut, cependant, que les choses tournent mal. Afin de pouvoircommuniquer efficacement, les interlocuteurs doivent pouvoir partagerau bout d’un moment un même univers symbolique, une sorte de duo decommunication interculturelle (Français-Anglais, Américains-Français,etc.). Cet univers commun se construit avec le processus deconnaissance et de rapprochement réciproques.

Parfois, d’autres aspects spécifiques concernant l’opération en cours -l’hégémonie économique d’un pays sur l’autre ou la dominationstratégique d’une entreprise sur l’autre dans les acquisitions, planssociaux dus à l’opération, ou autres aspects – font qu’une partie sesent trahie, mise en position d’infériorité, endommagée ou négligée parrapport à l’autre.

Des études réalisées dans les dernières années ont constaté que lesindividus passent environ deux heures par jour au sein del’organisation à discuter des aspects concernant l’opération de fusionou acquisition qu’ils sont en train de traverser. (M.Lee Marks et P. Mirvins, « Revisiting the Merger Syndrome: Dealing withStress « , M&A Review, vol. 31, Philadelphie, mai-juin 1997, p.21-27.)

La pression sur lescadres dirigeants est énorme et il n’est pas rare que la nouvelleorganisation évolue tout à coup avec deux directeurs financiers, deuxdirecteurs RH, pendant une période confuse, où les autres cadres etsalariés restent mal informés sur ce qui va se passer, ce qui vachanger, quels postes vont être créés ou supprimés. Ces situations demauvaise information, de crainte ( » qu’est-ce qu’on va devenir ? « , « qui sont donc ces gens ? « ) engendrent des sentiments qui augmententl’insécurité et le besoin de mécanismes de défense, et donc lesstéréotypes pour se protéger contre les  » ennemis « .

Il est important ici de rappeler la hiérarchie des besoins humains del’anthropologue Abraham Maslow. A la suite de ses travaux, d’autresrecherches ont conclu que les êtres humains avaient trois besoinsvitaux : le besoin d’affection, le besoin de sécurité et le besoin denouveauté.

Tandisque le besoin d’affection, le plus important des trois besoinsfondamentaux, tient une place prépondérante et absolue dans la pointedu triangle, les deux autres besoins se trouvent en égale position etau même niveau d’importance à la base.

S’ils ne se trouvent passatisfaits tous les deux à la fois, l’individu peut consentir àsacrifier l’un, pour combler l’autre temporairement, dans un équilibredynamique résultant d’une négociation permanente. Par exemple,l’individu qui se résigne à un emploi dans la fonction publiquesacrifie son besoin de nouveauté pour satisfaire son besoin de sécurité: il sait que son travail sera répétitif et que ses chances d’évolutionde carrière seront limitées par rapport au privé, mais il aura commecompensation la sécurité de l’emploi. Il se peut qu’un jour, le besoinde nouveauté se fasse plus fort, et que l’individu décide de changer devie et quitte son emploi.

Un autre exemple estcelui du manager qui décide de partir travailler à l’étranger etsacrifie son besoin de sécurité temporairement pour combler son besoinde nouveauté. Il accepte de prendre les risques de partir vivre dans unautre pays et de connaître une autre culture pour satisfaire son besoinde nouveauté et sacrifie par conséquent, la relative sécuritéémotionnelle et d’emploi qu’il connaît dans son pays d’origine.Certains individus sont plus prompts à sacrifier leur besoin denouveauté au profit de leur besoin de sécurité et vice-versa. Celadépend d’une série de facteurs : le moment de vie

Trois besoins fondamentaux :

  • Besoin d’être aimé, accepté : essentiel 
  • Besoin de sécurité : négociable
  • Besoin de nouveauté : négociable del’individu (jeune diplômé ou cadre confirmé), ses responsabilités (pèrede famille, jeune marié ou célibataire), sa personnalité (timide ouextravertie).
  • Enfin, il n’est pas exclu qu’un facteur culturel puisseaussi confirmer une certaine tendance des individus au sacrifice d’unbesoin au profit d’un autre. Par exemple, les individus issus descultures plus volontaristes et mal à l’aise avec l’incertitudeprésenteront automatiquement une légère tendance à favoriser le besoinde sécurité au détriment du besoin de nouveauté, même s’ils reviennentsur leur premier jugement plus tard pour mieux y réfléchir.

    Lesbesoins fondamentaux et les réactions qui découlent du premier stade derapprochement entre deux ou plusieurs partenaires étrangers dans lecadre d’une fusion ou acquisition

    Besoins fondamentaux

    Réactions au manque de satisfaction

    Besoin d’être aimé, accepté (besoin essentiel)

    Comportement de blocage, freinage, sabotage Refuge dangereux dans les stéréotypes

    Besoin de sécurité (besoin négociable)

    Comportement de fuite :  » abandon du bateau  » Normalement il ne reste pas assez de temps pour surmonter la phase des stéréotypes

    Besoin de nouveauté (besoin négociable)

    Comportement:  » attendre, voir  » Accepte une situation d’insécurité passagère auprofit de la curiosité et du défi Normalement il dépasse de manièreréussie la phase des stéréotypes

    Ledérangement de cet équilibre fragile provoqué par l’arrivée desétrangers provoquerait parmi les salariés d’une entreprise d
    escomportements de blocage, sabotage, d’abandon du bateau. Afin detrouver une réponse à leurs propres craintes et justifier leurscomportements, les individus semblent alors avoir une tendance plusgrande à se réfugier, s’isoler et dans un cas extrême, se morfondredans les stéréotypes et de toujours culpabiliser l’Autre, ses coutumesbizarres, ses comportements atypiques et pratiques dérangeantes. A ceniveau, le refuge cherché dans les stéréotypes est nocif, un cerclevicieux peut s’installer de manière dangereuse voire irréversible. Celadonne des assimilations du type :  » plus les étrangers arrivent ets’installent avec leurs directives, leurs politiques RH, leurshabitudes, plus les choses vont mal, plus je les déteste et plusj’associe ce qui ne va pas à une espèce de confirmation de mesjugements et suspicions initiales « .

    Piège n° 2 : Aborder les différences

    En conséquence d’une opération de croissance externe (acquisition oualliance), les salariés d’entreprises aux cultures organisationnelleset nationales différentes (dans le cadre d’opérations internationales)sont amenés à travailler ensemble d’une manière ou d’une autre. Prenonsle cas d’une équipe formée de personnes qui doivent travailler pendantun an sur un projet précis : une équipe transversale forméed’ingénieurs et professionnels du marketing par exemple. Le scénarioest propice aux chocs culturels de toutes sortes : nous avons dans cecas-là, non seulement des cultures nationales, mais également descultures organisationnelles et fonctionnelles différentes quiinteragissent. Cependant, lors d’une opération de cette envergure, où¹plusieurs univers de cultures et sub-cultures se rencontrent, laculture nationale reste toujours prépondérante mais se voit souventdésignée comme la principale source de problèmes (même si on luiattribue éventuellement le succès à la fin).

    La culture nationale intègre la personnalité des personnes. Les façonsde résoudre les problèmes, de réaliser une tâche, de communiquer, deraisonner ne sont pas les mêmes et par conséquent, ces différences nepeuvent constituer qu’une richesse. Le grand enjeu, c’est de savoirreconnaître toutes ces différentes pratiques, de pouvoir ensuitesélectionner celles qui peuvent être plus ou moins encouragées pour lebien de tous. Certaines ne peuvent pas être supprimées, d’autres nepeuvent pas être imposées, nous revenons donc aux enjeux fondamentauxdu management de Fayol, c’est-à-dire le défi permanent des choix lesplus appropriés dans des situations spécifiques : coordination,spécialisation, autorité, niveaux de décision et équilibre entreintégration et différenciation.

    Les personnes concernées par une expérience de travail interculturellele savent. De manière consciente, les managers valorisent la diversitéculturelle et se sentent frustrés de ne pas savoir l’exploiter pouraméliorer leur performance et les résultats de l’entreprise.

    Se préparer à être confronté à différentes façons de faire et de secomporter, pour réussir à apprendre avec les étrangers, est important,cela suscite la curiosité et augmente la motivation, le défi etl’adhésion au projet. Reconnaître la différence de l’Autre encourageaussi une attitude plus humble, moins défensive ( » Qu’est-ce qu’ilspeuvent nous apprendre de leur côté ? « ). Tout cela ne peut être quetrès positif et offre un peu de pondération à la relation, quand lemécanisme de défense des stéréotypes va se déclencher avec toute saforce. Cependant, cette attitude peut devenir nocive en restant laseule règle dans la construction d’une vraie synergie entre deuxcultures.

    Il s’agit là d’un sujet délicat. Dans le monde actuel, certainessociétés, comme la société américaine, ont adopté la discriminationpositive et le système de quotas par groupe ethnique dans lesuniversités, entreprises, etc. En voulant promouvoir la diversité, lesAméricains ont joué sur les différences pour réussir une intégration auniveau global. D’autres sociétés, comme la France, ont fait le choix decréer un système de valeurs républicaines où les différences seraienteffacées ou moins importantes afin d’atteindre le même butd’intégration.

    Les deux systèmes sont loin d’être parfaits et présentent de grandsdysfonctionnements. D’un côté, il y a la discrimination positive, quiinsiste sur les différences, augmente la ségrégation et laghettoïsation ; de l’autre, il y a le système français qui prêchel’égalité de tous devant l’Etat, qui s’avère être impuissant face à ladiscrimination et celui-ci ne peut rien faire pour éviter uneségrégation effective des individus issus d’une origine étrangère ausein de la société. Par exemple, le triste cas des jeunes diplômésfrançais issus de l’immigration, qui se voient refuser un emploi, mêmeen ayant toutes les compétences requises pour le poste et qui serendent compte après une deuxième candidature sous un nom typiquementfrançais comme  » Dubois  » ou  » Dupont « , que la cause de leur refusinitial était seulement leur nom de famille d’origine étrangère.

    Masquer les différences n’est pas une solution, on ne peut pasprétendre être égaux quand le choc culturel est une constante dans nosrelations. Insister excessivement sur les différences pour construirequelque chose de positif et de durable représente également un piège.Pour pouvoir créer un univers de valeurs communes qui deviendra unesorte de sous-culture de groupe et garantira leur cohésion en tantqu’équipe, les individus ont besoin de se trouver des points communs,tout en respectant ce qui est différent. C’est l’équilibre délicatentre la gestion des différences et des similitudes pour ressentir dela confiance envers les partenaires et s’investir davantage dans leprojet.

    Les différences existent, il faut en être conscient, mais si ellescommencent à être perçues par les membres des différentes culturescomme des faits négatifs, des problèmes à régler, ou comme quelquechose d’inacceptable ou illégitime, d’une part, le côté positif desdifférences ne sera jamais envisagé, d’autre part, la vérité est queles personnes n’arriveront pas à surmonter le stade initial.  » Quesommes-nous en train de faire, sinon juger les étrangers selon nosparadigmes encore une fois ? Si leurs façons différentes de travailler,communiquer, décider deviennent pour nous des pratiques inacceptablesou illégitimes, nous sommes en train d’agir comme si notre façon defaire était la seule valable, ou la seule qui fonctionne « , il s’agitl à d’une attitude ethnocentrique, qui bloque le vrai développement dela coopération. Juger l’Autre est une tendance naturelle, mais lapondération, la patience et l’humilité sont des atouts indispensablespour pouvoir arriver à exploiter toute la richesse de la diversitéculturelle d’une situation spécifique. Encore ici, il faut êtreattentif à ses pensées, son discours et il est important de se fairecontrôler de temps en temps par quelqu’un qui n’appartient pas augroupe, afin d’avoir un bilan sur la relation et les perceptions encours d’évolution.

    Piège n° 3 :Transformer toute similarité apparente en « évidence partagée »

    Laplupart des rencontres caractérisées par une altérité relative sontplus dangereuses que celles qui sont caractérisées par une altéritéabsolue. Que veut dire cela ?

    Imaginons un Françaisqui veut se rendre au Japon pour y vivre et travailler. Ses inquiétudespar rapport aux comportements et à la façon de vivre des Japonais sontbeaucoup plus conscientes et occupent beaucoup plus sa pensée quecelles d’un autre Français qui part vivre et travailler en Italie, enArgentine, au Brésil ou en Espagne, ou même d’un Parisien qui part dansle Midi dans les mêmes circonstances. Par rapport à la France, leJapon, la Chine, les pays asiatiques en général sont consciemment tenuscomme radicalement différents : leur culture et leur façon de vivresont très différentes, il s’agit là d’un cas  » d’altérité
    absolue « .Par conséquent, le Français qui part au Japon cherchera plus à sepréparer aux chocs culturels, car il sait, consciemment ou non, qu’ildevra faire face à des situations qui lui seront complément inconnues.

    Or, la situation diffère quand le même Français part en AmériqueLatine, ou dans un autre pays latin en Europe par exemple. LesFrançais, comme les Italiens, ont tendance à penser que tous lespeuples d’origine latine ou ayant été colonisés par des latins ont uneracine commune qui les unit et les rend pratiquement identiques : despeuples à sang chaud, émotifs, un peu corrompus dans leur quotidien parrapport aux anglo-saxons. Par conséquent, le Français qui s’expatrie enArgentine est persuadé de pouvoir  » maîtriser  » la situation, car ilconnaît l' » esprit latin  » de l’Argentin. Certains vont encore plusloin en affirmant que :  » Les Argentins sont des Européens manqués. « Or, il s’agit l à d’une grande erreur. Notre Français qui part enArgentine ne se prépare donc pas aux chocs culturels et quand ilsarrivent, ils seront plus forts et les difficultés qui en découlentseront plus grandes parce que, dans le désir de s’en préserver, notreami s’est créé une évidence basée sur une pseudo similitude. Parcequ’il est Français et  » latin  » comme les Argentins, il croit pouvoirtout connaître et tout anticiper. Eh bien ! C’est dommage, mais cen’est pas le cas !

    La même erreur se produit avec les pays qui ont été directementcolonisés ou qui en ont colonisé d’autres : la France et le Québec, leBrésil et le Portugal ou les USA et l’Angleterre, par exemple.Persuadés qu’ils sont très semblables au fond, parce qu’ils parlent lamême langue ou parce que leurs sociétés ont des racines très proches,ces personnes ont tendance à créer une fausse évidence de similitudequi, au fond, n’est qu’un produit de leurs propres stéréotypes. C’estl à un cas  » d’altérité relative  » et c’est dans ces cas-l à que lesproblèmes interculturels sont les plus nombreux et les difficultés lesplus grandes.

    La tentation de s’accrocher à une similitude apparente chez l’Autre esténorme. Tout point commun avec l’étranger diminue l’angoisse de larencontre avec la différence et la mise en cause de nos propresmodèles. La solution ? Etre très vigilant, ces perceptions ne sontpeut-être que des stéréotypes et il faut s’en méfier. Un bon exerciceest de se demander par exemple, si l’aspect qui semble vous rendre « similaires  » a la même signification pour vous que pour l’Autre. Parexemple :  » Je crois que les Français et les Italiens se ressemblent unpeu, parce qu’ils sont tous les deux des peuples latins.  » Si vous voussurprenez à penser ainsi, posez-vous les questions : que veut dire « latin « ? Est-ce la même chose pour l’Autre ? Comment en êtes-vous sûr ?Ce petit exercice vous aidera à ne pas penser pour l’Autre. Touterencontre interculturelle est un voyage vers l’inconnu. Lors lapréparation personnelle obligatoire avant toute rencontreinterculturelle, il faut avoir en tête que toute altérité doit êtreconsidérée comme absolue.

    Piège n° 4 :Créer une homogénéité artificielle pour masquer les différences

    « Puisquenous et les Belges sommes différents et que nous devons travaillerensemble, pour augmenter la productivité du groupe et amortirl’investissement de l’alliance, nous avons communiqué aux équipesformées des deux nationalités des valeurs qui devront guider noscomportements ainsi que des directives pour représenter l’esprit denotre groupe. D’ici quelques semaines, les différences entre lescultures ne seront plus une préoccupation puisque nous aurons atteintune homogénéité au sein des équipes.  » Ceci fut le témoignage d’un chefde projet, de nationalité américaine, dans le cadre d’une coopérationaméricano-belge sur le choix adopté pour la gestion des situationsinterculturelles, ce même choix ayant été proposé par la partieaméricaine et corroboré par la partie belge.

    La démarche semble digne de reconnaissance, le raisonnement très simple, est le suivant :

    1. Nous sommes différents ;
    2. Etre différent nous pose quelques problèmes ;
    3. Donc il faut retrouver une homogénéité à tout prix pour pouvoir atteindre nos buts ;
    4. Créons donc une base de valeurs communes à l’aide des consultantsqui sont des experts des valeurs de deux cultures ;
    5. Suivons les directives sans les questionner ;
    6. Si tout le monde collabore, les différences ne dérangeront plus et nous pourrons  » oublier  » qu’elles existent.

    Voilàune bonne atteinte de rationalisation d’un vieux problèmed’interactions humaines propres à une opération à haut investissementfinancier. Beaucoup d’entreprises confrontées à des situationsd’interculturalité au sein de leurs équipes optent pour ce type dedémarche. Dans le cas spécifique de cette coopération américano-belge,cela n’a pas très bien marché, et pourtant ils étaient motivés audépart. Cherchons l’erreur…

    La démarcheadoptée n’est pas totalement erronée. Pour pouvoir travailler ensembleet produire, il faut d’abord réussir à communiquer efficacement. Pourcommuniquer efficacement, il faut avoir une base de valeurs partagée,un univers symbolique commun, donc, cette volonté est un facteur trèsimportant, positif et recommandable dans ce type de situation. Ce quin’a pas marché, c’est la façon dont cela a été fait.

    L’initiative pour la création d’une sous-culture commune a étéunilatérale, mais imposée par les Américains issus d’une culture hantéepar les résultats. Lors d’un processus de rapprochement et de créationde synergies entre les deux groupes, ce type de sub-culture communeauraient dû émerger naturellement. Elle a émergé naturellement du côtéaméricain, certes. Mais en approfondissant le cas de cette coopération,on s’est rendu compte que cette démarche a été en quelque sorte imposéeaux Belges, ainsi que les valeurs qui devaient correspondre à la basede leur homogénéité et les directives à suivre : tout a été dicté parla partie américaine. Tout était alors très imprégné des pratiques etmentalités américaines : trois consultants ont élaboré cette charte devaleurs. Même si l’un d’eux était belge, ils se sont inspirésexclusivement d’approches américaines et anglo-saxonnes. Dans leurvolonté de coopération et consensus, les Belges ont décidé d’accepterce qu’on leur proposait, tout le monde se sentait soulagé d’avoir putrouver une  » arme secrète  » contre les chocs culturels, maisl’homogénéité si désirée n’a pas pu avoir lieu.

    Quelques semaines après la mise en place de cette  » homogénéité « artificielle, les problèmes sont apparus. Les membres des équipesn’accordaient pas le même sens aux valeurs qui devaient être leur basecommune, leur support d’entendement n’était pas naturel et ilsn’arrivaient pas à s’accorder pour suivre les directives qui endécoulaient. Désespérés de voir que les différences n’étaient paseffacées malgré cette volonté réciproque d’homogénéisation, lesAméricains n’ont pas laissés transparaître leur malaise, leursprofessionnels ont commencé à quitter l’entreprise, le projet communn’avançait plus. Les Belges frustrés finirent par vouloir enrediscuter, mais pour les Américains, le sujet  » différence culturelle » était devenu tabou, car normalement, ce problème avait déjà été réglépar la charte commune de valeurs du groupe. Les résultats atteintsétaient au-dessous du minimum tolérable et la coopération a ététerminée quelques mois à peine après son début.

    Ce cas concret présente plusieurs dysfonctionnements et nombreux sont les pièges qui l’illustrent :

  • Le refus inconscient de son propre conditionnement culturel;
  • L’universalisme exacerbé de la base de valeurs élaborée unilatéralement par les Américains ;
  • La volonté d’homogénéité exprimée par les deux parties afind’éch
    apper aux chocs culturels et de trouver une espèce de  » baguettemagique  » en forme de  » charte de valeurs  » élaborée par desspécialistes pour anéantir toutes leurs différences.
  • Les deux groupes ont voulu croire que cette charte de valeurs communesleur garantirait une homogénéité cruciale pour éviter les ennuis dusaux chocs culturels.

    A vrai dire, le désir de trouver une solution a été le seul voeulégitime  » homogène « . Ici encore, nous revenons à la problématiquepermanente du management interculturel : il n’existe point de recettes.Aucun consultant aussi doué ou expérimenté soit-il ne pourra proposerune solution toute faite, prête à l’usage. L’interculturel est unacquis permanent très spécifique à l’opération qui se construit au jourle jour par les personnes concernées. Il faut travailler conjointement,surveiller constamment au quotidien ses propres pensées, attitudes,discours… et faire des efforts pour y arriver. Vouloir oublier lesdifférences de pratiques et de mentalités, les mettre de côté, lesdéléguer à un professionnel pour qu’il les interprète et les règle, nepourra pas vous empêcher de les affronter dans une situation concrète àmoyen ou long terme. L’homogénéité n’est pas la clef, la vouloir c’estutopique et peut engendrer d’énormes dégâts et compromettre le futur duprojet. C’est l’harmonie et l’intégration qu’il faut chercher, maiscela ne tombera pas du ciel, ni viendra dans un paquet  » prêt à porter » des mains d’un cabinet de consultants. Le consultant ne peut quejouer le rôle de médiateur et ainsi, par son expérience internationaleet sa compétence interculturelle, aider les deux parties à trouver lebon chemin et à éviter les pièges qui peuvent être mortels.

    Dans le cas précédent, la démarche d’une sous-culture commune commebase d’identification de deux groupes a été un acte unilatéral, et noncollaboratif. Les valeurs et les façons de faire qu’elle énonçait ontété communiquées par des experts et non trouvées par les propresintégrants de l’équipe. Après avoir conclu que cela ne marchait pas, lafrustration et le refus du propre conditionnement culturel n’ont paspermis aux intégrants de l’équipe d’essayer une deuxième fois. Bloquéeset confuses, les personnes s’en sont désintéressées et ont commencé àabandonner le navire. L’homogénéité était artificielle et avait étéplaquée sur un champ plein de petits enjeux interculturels non résolus,non discutés, le résultat final fut un désastre.

    Insister sur les différences n’est pas la solution, mais les masquerpeut être pire. La base commune de valeurs doit être construitemutuellement pour être légitime, et permettre à la relation defructifier. En outre, masquer les différences revient à nier ladiversité culturelle. Or, nier ou percevoir la diversité culturellecomme un  » handicap  » plutôt que comme un  » atout  » signifie la perdreen tant que ressource potentielle et avantage compétitif.

    L’essentiel

  • Toute démarche interculturelle est un enjeu délicat, rempli de piègesdu début à la fin. L’individu qui l’entreprend doit être constammentsur ses gardes.
  • Contrairement à ce que l’onpeut penser, les pièges ne se limitent pas aux phases d’approche et auxpremiers mois de la relation : ils sont permanents, récurrents ets’étalent tout au long du processus.
  • Le premier piège et le plus célèbre est celui des stéréotypes, maisil y en a d’autres dont les dégâts ne sont pas moindres.
  • Malgré le risque qu’ils représentent, les stéréotypes sont un malnécessaire : ce sont eux qui permettront l’ajustement du regard de deuxpartenaires sur leurs cultures respectives dans un deuxième stade. Danstoute coopération, on se sert des similarités pour créer des basescommunes et des différences pour créer des options et des synergies.
  • Dans une coopération interculturelle, un des plus grands dangersconsiste à insister sur les différences, au détriment des similarités,surtout si ces différences sont perçues comme gênantes, immorales,illégitimes.
  • Faire des suppositions sur des évidences partagées est également unepratique dangereuse : la meilleure manière de la prévenir est de sedemander si le mot ou l’expression que l’on considère comme la base denos prétendues similarités évoque la même chose pour son interlocuteur.Par exemple, l’expression  » tempérament latin  » veut-elle dire la mêmechose pour les Français et les Espagnols ?
  • Fabriquer une homogénéité artificielle pour masquer les différencesest aussi un autre piège dangereux. En effet, il faut qu’il y ait lamise en place d’une base de valeurs communes, mais cela est unprocessus long et naturel qui doit émerger de la combinaison d’effortsde partenaires dans la relation. Si une base de valeurs communes vientde l’extérieur et est imposée aux personnes, cela ne pourra pas marcher.
  • Pour approfondir ce sujet

     » Déjouer les pièges des relations interculturelles « , par Virginia GUITEL

    Malentendus,manque d’attention, différences… Tous les jours, dans un mondeglobalisé, des incidents issus des chocs culturels se produisent. Maisquand ils touchent la performance professionnelle et le monde desaffaires, ils relèvent du management interculturel. A l’heure où l’onproteste contre l’uniformisation du monde, le management interculturelpeut être un outil de prise en compte des différences à tous lesniveaux de l’entreprise.

    Née au Brésil etdomiciliée en France depuis 6 ans, Virginia GUITEL est responsable dudépartement Cultures & Management du cabinet EDACTIW. Elleintervient en tant que consultante et formatrice spécialisée dans lagestion de problématiques interculturelles pour de nombreux organismesde conseil et formation.

    Vous pouvez commander l’ouvrage de Virginia GUITEL en cliquant ici ou contactez Catherine FOURMOND au 02 43 23 03 53.

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