Le renouvellement de la période d'essai : une impossibilité pratique pour les employeurs ?

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La loi du 25 juin 2008 a profondément modifié la législation sur la période d’essai. Celle-ci soulevait déjà quelques difficultés d’application, mais c’était sans compter la Cour de cassation venue apporter sa pierre à l’édifice.

Pour rappel, depuis cette loi, les durées des périodes d’essai sont fixées par le Code du travail. Elles sont de deux mois pour les ouvriers et employés, trois mois pour les agents de maîtrise et techniciens et enfin quatre mois pour les cadres. Jusqu’ici rien de très compliqué. Cette loi précise aussi que ces durées peuvent être renouvelées si un accord de branche étendu le prévoit. La durée de la période d’essai, renouvellement compris, peut alors être doublée soit maximum quatre mois pour les ouvriers et employés, six mois pour les techniciens et agents de maîtrise et enfin huit mois pour les cadres.

Condamné pour avoir appliqué la loi

C’est ce renouvellement qui est au coeur de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 12 juillet 2010. En l’espèce, un employeur avait appliqué strictement sa convention collective qui prévoyait la possibilité de renouvellement de la période d’essai moyennant l’information préalable écrite du salarié. Pensant être dans son droit, l’employeur avait alors notifié par écrit au salarié le renouvellement de sa période d’essai. Il avait par la suite mis fin à l’essai et rompu le contrat. Le salarié mécontent a alors saisi la justice. Et surprise pour l’employeur, ce dernier est condamné pour avoir strictement appliqué… la loi.

En effet depuis la circulaire DGT 2009-5 du 17 mars 2009 reprise par la Cour de cassation dans un arrêt du 25 novembre 2009 (n°08-43.008), l’employeur ne peut en aucun cas décider de manière unilatérale de renouveler la période d’essai du salarié. L’accord du salarié pour le renouvellement doit désormais être clair et non équivoque. Ainsi sa seule signature sur un document établi par l’employeur est insuffisante. Le salarié doit en plus écrire une phrase telle que « mon accord pour ce renouvellement est clair et non équivoque ».

Aussi à la lumière de ce nouvel arrêt, il est possible de s’interroger sur le rçle des nouvelles périodes d’essai. La loi du 25 juin 2008 avait pour but de permettre aux employeurs d’avoir plus de temps pour apprécier les qualités professionnelles du salarié, elle devait donner plus de souplesse de gestion aux employeurs. Force est de constater que le but n’est pas atteint mais que c’est bien l’inverse qui se produit aujourd’hui. Le renouvellement est soumis à une disposition en ce sens dans la convention collective ainsi qu’à l’accord clair et sans équivoque du salarié. Aussi, il est possible de s’interroger sur cet accord.

Que faire si le salarié refuse ce renouvellement ? L’employeur n’aura pas d’autre choix que de mettre fin à la période d’essai lors de la durée initiale sauf à renouveler l’essai sans recueillir la volonté certaine du salarié s’exposant ainsi à un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences qui lui sont attachées comme vient de l’apprendre à ses dépends cet employeur malchanceux. L’employeur prudent mettra donc fin à la période d’essai lors de sa durée initiale. Et avec les nouvelles durées légales, loin d’être plus longues, les périodes d’essai deviennent très souvent plus courtes. En effet pour un cadre, bien souvent, la durée précédente de l’essai était de trois mois renouvelables une fois soit six mois au total. Si le cadre refuse son renouvellement l’employeur ne dispose donc que de quatre mois pour l’évaluer au lieu de six précédemment. Il en est de même pour les agents de maîtrise et techniciens. Seuls les ouvriers et employés ne sont pas impactés par cette jurisprudence puisqu’avec renouvellement, bien souvent les employeurs disposaient de deux mois d’essai comme aujourd’hui en période initiale.

Délai de prévenance

Mais, au-delà de la non-atteinte du but recherché par la loi du 25 juin 2008, cette jurisprudence pose un problème pratique beaucoup plus grave avec le fameux délai de prévenance. En effet, depuis cette date, l’employeur et le salarié ne peuvent plus se séparer librement lors de la période d’essai, ils se doivent chacun un délai de prévenance. On ne reviendra pas sur la qualité très médiocre de rédaction de cette loi. On nous parle, par exemple, d’un délai de prévenance de 24 heures pour une durée de présence inférieure à 8 jours sans nous indiquer si la présence se décompte en jours ouvrables, ouvrés, calendaires ou autres. On nous indique aussi 24 heures au lieu d’une journée signifiant peut-être qu’un salarié qui indique mettre fin à son essai à 14 h02 peut quitter l’entreprise le lendemain à 14h02 car il a parfaitement respecté les 24 heures. Il est alors à souhaiter que ce salarié ne travaillait pas sur une chaîne, sauf à désorganiser toute la chaîne…

Attachons-nous donc au fond de cette loi et à la durée de ce fameux délai de prévenance. L’employeur qui veut rompre la période d’essai du salarié, ne peut plus le faire du jour au lendemain du fait de ce délai calculé en fonction de la durée de présence du salarié. Ainsi pour une présence inférieure à huit jours, l’employeur doit respecter 24 heures de délai de prévenance. Pour une présence entre huit jours et un mois, le délai passe à 48 heures. Enfin, il est de deux semaines pour une présence supérieure à un mois et inférieure à trois mois, et il est d’un mois au-delà de trois mois.

Prenons alors l’exemple d’un salarié cadre ayant une période d’essai d’une durée initiale de quatre mois. L’employeur devra demander au salarié avant la fin du troisième mois d’essai s’il est d’accord pour le renouvellement de cette dernière puisque si le salarié refuse, l’employeur devra respecter le mois de délai de prévenance. Si l’employeur décide de renouveler la période d’essai du cadre après le troisième mois d’essai, comment gèrera-t-il l’articulation entre le délai de prévenance et l’éventuel refus du salarié ? Il peut toujours payer le salarié à rester chez lui pendant la durée du délai de prévenance à l’image d’une dispense de préavis mais il s’agit d’un dédommagement financier et d’un pis-aller, pas véritablement d’une prévenance permettant au salarié de se préparer de donc de se retourner. Il n’est même pas certain que les tribunaux valideraient cette pratique. Notre employeur voulant articuler toutes ces règles se trouve confronter à une gestion très complexe de la période d’essai et peut remercier le législateur et la Cour de cassation ayant à coeur de lui simplifier sa gestion quotidienne.

En conclusion, l’obligation faite à l’employeur de recueillir l’accord du salarié pour le renouvellement de la période d’essai est loin d’être anodine et ne fait que rajouter une pierre à l’édifice déjà très bancal de la gestion de la période d’essai depuis la loi du 25 juin 2008.

Dans un droit social en constant bouleversement, il serait peut être utile de prendre le temps d’analyser les conséquences pratiques des lois et des décisions avant d’agir. A mettre la charrue avant les boeufs, on arrive parfois à des situations où même l’employeur le plus respectueux des règles se trouve confronter à une impossibilité technique d’application. Jusqu’en juin 2008, la période d’essai était une situation relativement bien gérée par les employeurs. Remercions donc la Cour de cassation et le législateur qui permettent aux juristes et aux DRH de ne jamais s’ennuyer.

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2 réponses pour Le renouvellement de la période d'essai : une impossibilité pratique pour les employeurs ?

  1. Le but d’une période d’essai est de valider les compétences du salarié. 4 mois sont déjà très largement suffisants. Ou alors les recruteurs et les managers de l’entreprise sont vraiment mauvais…
    Certaines entreprises ont tendance à utiliser la période d’essai comme un outil de flexibilité économique… Espérons que la loi travail limite ces abus.

  2. « L’employeur devra demander au salarié avant la fin du troisième mois d’essai s’il est d’accord pour le renouvellement de cette dernière puisque si le salarié refuse, l’employeur devra respecter le mois de délai de prévenance. » Je ne suis pas d’accord sur cette limite de trois mois. Si l’employeur met fin à la période d’essai pendant le 4ème mois, la partie du délai de prévenance au delà de la fin du 4ème mois devrait donner droit au salarié à une indemnité compensatrice de préavis, de façon à ce qu’il soit payé jusque à la fin du délai de prévenance, sans pour autant davantage contraindre l’employeur (je dis « davantage » parce qu’au vu des efforts pour recruter un cadre, en cas d’échec, le paiement d’un mois de salaire pour rien n’est vraiment pas le problème). Je ne suis pas juriste, quelqu’un calé en droit pourrait-il confirmer ou contredire mon interprétation?

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