Harcèlement moral : quand le management va trop loin…

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Commentaire de l’arrêt de la Cour de cassation rendu le 19 janvier 2011, n°09-67463

Harcèlement : voici un mot qui a le vent en poupe ! Un problème au travail, une difficulté dans la vie et on se sent rapidement harcelé. Pourtant, si tous les problèmes que l’on rencontre au travail ne sont pas constitutifs de harcèlement, force est de constater que de plus en plus de cas éclatent au grand jour. Dernier exemple en date : l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 janvier 2011, intéressant en ce qu’il consacre des méthodes de management comme pouvant potentiellement être harcelantes.

Le harcèlement d’après le code du Travail

Pour rappel, le harcèlement moral est défini à l’article L.1152-1 du Code du travail comme « des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

Le Code du travail ne dresse pas de liste des agissements constitutifs de harcèlement laissant ainsi toute latitude aux tribunaux pour juger ce qui caractérise ou non des faits de harcèlement.

Une définition plus précise dans l’ANI de mars 2010

Les partenaires sociaux se sont, quant à eux, entendus le 26 mars 2010 afin d’aller plus loin dans la définition du harcèlement (ANI du 26 mars 2010) en considérant que ce dernier survient «  lorsqu’un ou plusieurs salariés font l’objet d’abus, de menaces et/ou d’humiliations répétés et délibérés dans des circonstances liées au travail, soit sur les lieux de travail, soit dans des situations liées au travail ». Ces comportements doivent avoir « pour but ou pour effet de porter atteinte à la dignité d’un salarié, affectant sa santé et sa sécurité et/ou créant un environnement de travail hostile ».

L’affaire

Quelles sont les circonstances de l’espèce ? Une salariée a été licenciée pour inaptitude, inaptitude résultant selon elle de faits de harcèlement moral. En matière de harcèlement, la charge de la preuve est inversée et elle repose sur l’employeur, ainsi ce dernier doit prouver que lui-même ou ses subordonnés ne se sont pas rendus coupables de harcèlement, le salarié devant se contenter d’apporter des éléments susceptibles de laisser supposer de tels agissements.

Quels sont donc les agissements de cette affaire ? La Cour d’appel a relevé dans ce cas que le supérieur hiérarchique de la salariée avait pendant quatre ans eu une attitude irrespectueuse vis-à-vis de ses subordonnés se traduisant par des critiques brutales et vexantes faites en public.

Ajouté à cela, malgré trente-deux ans d’ancienneté, la salariée a changé de responsable passant ainsi sous la subordination d’une personne de même qualification, ce qui pouvait être perçu comme une mesure vexatoire. Ces deux éléments, à savoir l’attitude irrespectueuse du responsable et le passage sous la subordination d’une personne de même qualification, sont jugés suffisants pour constituer des faits de harcèlement moral.

La conclusion s’impose alors, puisqu’il y a harcèlement moral et que ce dernier est la cause de l’inaptitude de la salariée, son licenciement est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.

Au-delà de la solution, c’est vraiment les faits retenus par la Cour qui méritent qu’on s’y intéresse.

Management et mesures vexatoires

En effet, ils consacrent parfaitement la position retenue par les partenaires sociaux dans l’accord du 26 mars 2010. En matière de management, il existe plusieurs écoles. Par exemple, certains managers pensent qu’en valorisant les salariés, ils en tireront le meilleur, à l’inverse d’autres estiment qu’il faut mettre la pression aux salariés pour en obtenir le plus fort rendement. Ces deux méthodes ne produisent pas du tout le même effet sur le mental du salarié et selon les cas, certains seront plus ou moins réceptifs à l’une ou l’autre méthode.

Cet arrêt rappelle que le management « offensif » s’il est toléré ne doit pas dépasser certaines limites et en tout cas ne doit jamais se traduire par un manque de respect du salarié. La critique si elle est justifiée est acceptée car constructive. La critique injustifiée ou faite en public entraîne nécessairement une vexation du salarié, cette mesure vexatoire étant constitutive de harcèlement.

Le manager, même offensif, ne doit jamais manquer de respect à ses salariés sous peine d’être attaquer pour harcèlement moral. Cet arrêt rappelle que le respect est la base de la relation de travail. Un employeur ne doit jamais accepter de ses salariés et managers des propos pouvant être blessants ou vexants. Laisser s’installer ce genre de comportements, c’est prendre le risque de se faire condamner pour harcèlement moral.

Le premier argument soutenu par la Cour est assez habituel en matière de harcèlement, quand bien même aucun mot, ni aucune phrase pouvant être blessants ou vexants ne transparaissent dans la décision.

Le deuxième argument pour qualifier le harcèlement est lui plus nouveau. Le fait de mettre un salarié sous la subordination d’un autre salarié de même qualification peut être considéré comme du harcèlement. Et c’est là que la définition du harcèlement moral prend tout son sens. En effet, pour reconnaître le harcèlement, il n’est pas nécessaire qu’il y ait atteinte à la dignité du salarié, il suffit que les agissements en cause soient susceptibles de porter atteinte.

En d’autres termes avant la mise en place d’une mesure, il convient de se demander si cette mesure ne risque pas de porter atteinte aux droits, à la dignité du salarié ou de compromettre sa santé physique ou mentale. Et c’est bien ça qui était au cœur de cette affaire. Après trente-deux ans de travail, la salariée s’est retrouvée sous la subordination d’une personne de même qualification. Il est fort probable que cette mesure ait été mal perçue ou perçue comme une mesure de dénigrement et un manque de confiance manifeste de la part de l’employeur. Pourquoi mettre cette salariée sous la subordination d’une personne de même niveau et ayant une ancienneté moindre ? Peut-être y avait-il des raisons objectives et pertinentes mais l’employeur n’a pas réussi à les apporter et c’est bien ce manque d’éléments objectifs qui a agit contre lui.

En conclusion cet arrêt, bien que non publié, laisse présager de l’avenir du harcèlement moral devant les tribunaux, et il apparait certain qu’il est temps que les entreprises s’en occupent réellement si elles ne veulent pas être les prochaines sur la liste des condamnées. A défaut d’une prise de conscience rapide et efficace, les contentieux pour harcèlement moral ont de beaux jours devant eux !

 

Auteur : Amandine LECOMTE, consultante en droit social et paie chez GERESO

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2 réponses pour Harcèlement moral : quand le management va trop loin…

  1. Moi travaillant dans une société depuis huit ans, je suis victime de harcèlement morale. Que dois je faire je suis perdu et ma sante se dégrade de jour en jour

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