Inaptitude du salarié : à propos de l'obligation de reclassement…

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Deux récentes décisions de la cour de Cassation viennent rappeler les obligations de recherche de solutions de reclassement de l’employeur, avant tout licenciement pour inaptitude physique. Les commentaires d’Amandine LECOMTE, consultante en droit social et paie chez GERESO.

Les deux arrêts récents de la cour de Cassation, relatifs à l’obligation de reclassement de l’employeur

Inaptitude et reclassement : rappel de l’obligation de recherche au sein du groupe

 Lorsqu’un salarié est déclaré inapte à tout emploi dans l’entreprise par le médecin du travail après un accident, l’employeur doit essayer de le reclasser avant d’envisager de le licencier pour inaptitude physique (c. trav. art. L. 1226-2).

Il est de jurisprudence constante que si l’entreprise appartient à un groupe, l’employeur doit rechercher toutes les possibilités de reclassement au sein de l’entreprise mais aussi parmi toutes les entreprises du groupe.

L’employeur qui ne recherche pas de reclassement dans l’ensemble du groupe en limitant sa recherche, comme dans cette affaire, à un certain périmètre géographique, ne respecte pas son obligation de reclassement.

En l’espèce, en recherchant des solutions de reclassement uniquement en Corse et dans les régions voisines du sud de la France, l’employeur n’a pas satisfait à son obligation de reclassement.

Source : Cass. soc. 12 janvier 2011, n° 09-70634 FSPB (3e moyen)

Inaptitude à tout emploi : l’obligation de reclassement demeure

Lorsque le médecin du travail conclut à l’inaptitude du salarié à tout emploi dans l’établissement ou l’entreprise, l’employeur n’est pas, pour autant, libéré de son obligation de reclassement. Il doit, malgré tout, rechercher une possibilité de reclassement au sein du groupe auquel il appartient au besoin par le biais d’une mutation, d’une transformation de poste ou de l’aménagement du temps de travail. A défaut de recherche effective, le licenciement pour inaptitude est sans cause réelle et sérieuse.

Source : Cass. soc. 16 décembre 2010, n° 09-67101 D

Les commentaires d’Amandine Lecomte, consultante en droit social et paie chez GERESO. 

Le code du travail dispose que « lorsque, à l’issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou un accident non professionnel, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, l’employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

Cette proposition prend en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur l’aptitude du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise.

L’emploi proposé est aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail » (art. L1226-2).

L’employeur doit donc essayer de reclasser le salarié avant de le licencier pour inaptitude en tenant compte, bien entendu, des conclusions du médecin du travail.

Et c’est là que se situe la première vraie difficulté des employeurs. Comment tenir compte de l’avis du médecin du travail lorsque ce dernier se contente de déclarer le salarié « inapte à tout poste » ou « inapte à tout travail ».

Le médecin du travail indique très clairement que le salarié ne peut pas travailler et pourtant l’employeur doit essayer de le reclasser. Tenter de reclasser un salarié que le médecin du travail indique comme étant inapte à travailler n’est-il pas contraire aux prescriptions médicales formulées ?

L’employeur doit-il trouver un « non-travail » pour le salarié afin de le reclasser afin de suivre les préconisations médicales ? Force est de constater que l’obligation même de reclassement systématique pose de sérieuses difficultés pratiques et les employeurs bien avisés ne doivent pas se contenter d’un avis d’inaptitude laconique.

Au contraire, ils doivent exiger autant que possible que le médecin du travail indique clairement les aptitudes du salarié, c’est-à-dire très concrètement, la liste des postes ou tâches que peut exercer ce salarié dans l’entreprise.

Déjà complexe, une deuxième difficulté est rajoutée par la jurisprudence : le périmètre du reclassement. Il est bien établi désormais que l’employeur doit rechercher toutes les possibilités de reclassement dans son entreprise mais aussi parmi les entreprises du groupe auquel il appartient et ce quelque soit la dimension du groupe.

Aussi, l’employeur qui limite sa recherche à un certain périmètre géographique ne respecte pas son obligation de reclassement. C’est ce qui est arrivé à l’employeur dans la première affaire présentée. En l’espèce, le salarié a été déclaré inapte. L’employeur a alors recherché des solutions de reclassement comme il y était obligé. Pour se faire, il s’est contenté de rechercher des postes disponibles en Corse où travaillait le salarié et dans les régions voisines de la moitié du Sud de la France. Compte tenu de la dimension du groupe d’appartenance, l’employeur a effectué une recherche de reclassement a minima géographiquement parlant, et les juges ne lui ont pas pardonné. Sanction logique de la part de la Cour de cassation au regard de sa jurisprudence actuelle. Pourtant, il n’est pas interdit de s’interroger sur les conséquences d’une telle jurisprudence qui frôle parfois l’absurde comme en témoigne un arrêt du 9 juillet 2008 (n°07-41318) où l’employeur s’est fait condamner car il n’a pas réussi à prouver qu’il s’était trouvé dans l’impossibilité de reclasser son salarié déclarer inapte à tout travail et classer en invalidité deuxième catégorie par la sécurité sociale.

Pourtant, il pourrait être intéressant de se demander pourquoi l’employeur n’a pas recherché de reclassement au-delà de cette zone géographique ? Est-ce par mauvaise foi délibérée ou est-ce parce qu’il savait très bien que le salarié refuserait un poste au-delà de cette zone ? Les deux attitudes ne devraient pas apporter la même décision. En effet, que penser d’un employeur qui fait des propositions de reclassement en Roumanie, en Chine ou encore en Bolivie… Est-ce réellement une recherche de reclassement raisonnable et acceptable par le salarié que de lui proposer des postes si lointains et si éloignés du droit français qu’ils risquent d’être refusés par le salarié ?

De même, l’employeur doit-il nécessairement parler toutes les langues du groupe afin de pouvoir rechercher convenablement un reclassement pour le salarié ? Il y a là un potentiel de lutte contre le chômage énorme par le biais de l’embauche d’interprètes ! La Cour de cassation ne devrait-elle pas se contenter de regarder si l’employeur a réellement fait ce qu’il fallait pour tenter de reclasser le salarié et sanctionner sa mauvaise foi plutôt que le fait d’avoir limité le périmètre de recherche ?

En effet, en voulant aller trop loin dans l’obligation de reclassement imposée aux entreprises, nombres d’employeurs risquent de
se décourager et de ne même plus faire d’efforts pour reclasser convenablement le salarié
puisque dans la plupart des cas, il y aura toujours une étape manquante qui leur permettra d’être condamné. Aussi, cette jurisprudence ne fait aucune distinction entre l’employeur qui ne fait aucun effort pour reclasser son salarié et celui qui met tout en œuvre dans la limite du raisonnable et de l’acceptable. Les deux seront identiquement condamnés, alors à quoi bon faire des efforts ?

Malgré tout, une dernière question reste ouverte : l’arrêt de la Cour de cassation aurait-il été le même si le médecin du travail avait imposé à l’employeur une recherche de reclassement au sein du groupe mais dans une zone géographique limitée ? Serait-il possible d’envisager que pour des raisons de santé, le médecin du travail indique à l’employeur les postes et tâches pouvant être effectuées par le salarié mais aussi dans quel périmètre géographique il est raisonnable de proposer ces postes et tâches au salarié ? L’employeur serait-il à nouveau condamné s’il ne fait que respecter strictement les préconisations du médecin du travail ?

On le voit, l’avenir du reclassement dépend probablement en grande partie du rôle que le médecin du travail acceptera ou non de jouer. Il est certain que cet interlocuteur détient dans ses mains une grande partie du contentieux en matière de reclassement.

 

Auteur : Amandine LECOMTE, consultante en droit social et paie chez GERESO

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Une réponse pour Inaptitude du salarié : à propos de l'obligation de reclassement…

  1. Bonjour,
    Les commentaires d’Amandine Lecomte sont tout à fait pertinents et le restent aujourd’hui. Cependant, une exception importante à l’obligation de reclassement a été prévue par les lois du 17 août 2015 et du 8 août 2016 : la possibilité pour le médecin du travail de contre-indiquer le reclassement du salarié inapte. Le médecin du travail peut, pour cela, mentionner sur l’avis d’inaptitude que « tout maintien du salarié dans l’emploi serait gravement préjudiciable à sa santé », ou que « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’emploi ». Ceci devrait éviter un certain nombre de situations absurdes, notamment quand le médecin du travail, le salarié et l’employeur n’envisagent pas la possibilité d’un reclassement.
    Bien cordialement.

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