Évaluation professionnelle : pour une pratique humaine et responsable

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Souvent vécus comme des rendez-vous imposés, les entretiens professionnels peuvent cristalliser les insatisfactions liées aux relations de travail : manque de communication, de compréhension, de considération…

Les bonnes pratiques existent mais sont encore minoritaires. Il est pourtant possible, au cours de ces entretiens, de créer de la valeur, du lien entre l’individu et le groupe, de manière durable et responsable. Dans ce face-à-face, faire preuve d’ouverture donne la chance à l’autre d’être reconnu, respecté et considéré.

 

evaluation professionnelle

 La couverture de l’ouvrage de Stéphane Lhermie « L’Évaluation Professionnelle », paru aux Éditions GERESO en juin 2013

 

Dans cet ouvrage, l’auteur revient sur le contexte de ces évaluations, sur les éléments de culture collective qui leur sont associés, et propose des pistes pour revenir aux fondamentaux :

  • objectivité réciproque,
  • engagement,
  • compréhension,
  • mais aussi confiance et structuration.

Sa vision s’inscrit dans une volonté de changement réaliste et responsable.

Ce livre propose d’exister en ayant conscience de l’autre, sans pour autant renoncer à son propre développement et sa satisfaction individuelle. Parce que cet autre, c’est aussi vous !

En vente dans toutes les librairies et disponible en ligne sur www.la-librairie-rh.com :
Prix papier : 17€10 – Prix version e-book : 12€99 – 141 pages – ISBN : 978-2-35953-166-4

Extrait de l’ouvrage disponible en ligne sur la page de l’ouvrage : http://www.la-librairie-rh.com/ressources-humaines_6_l-evaluation-professionnelle__epro.html – Autre extrait :

Extrait de l’ouvrage « L’évaluation professionnelle – Pour une pratique humaine et responsable »

Réalisme et visibilité

L’évaluation professionnelle constitue un terrain de compréhension du comportement individuel et de la relation de cet individu à son environnement professionnel, à l’autre dans cet univers. Elle est elle-même un moment d’exprimer cette relation, la considération pour l’autre, la disposition à le découvrir. Elle reste objective, pour le laisser exister dans son univers de référence et lui accorder une place dans le groupe.

L’évaluation structurée et professionnalisée est un moment d’engagement, qui responsabilise chacun dans la relation, au-delà de médias qui peuvent jouer le rôle de paravent à la responsabilité individuelle.

 

Croire dans la relation

De la caverne à l’espace, l’Homme a fait un long voyage : celui du savoir, du développement de ses connaissances, de sa capacité intellectuelle à repousser les limites techniques, scientifiques, du contrôle, de la maîtrise de son environnement. Et humaines ? Est-il réellement devenu un « Être », capable d’exister autrement que par ce qu’il produit mais plutôt par sa capacité de conscience, de morale et de libre arbitre ?

La morale et la conscience sont-elles propres à une espèce ou le fait d’une éducation, d’une transmission d’un mode de relation au monde d’une partie de cette espèce, dont une autre partie serait dépourvue ?

La construction psychologique individuelle alimenterait-elle le développement de la capacité morale ?

Au fil du temps, les outils se sont sophistiqués, mais n’ont que peu modifié la relation de l’Homme à son environnement, à l’autre et au Pouvoir, illustration hiérarchique de son contrôle sur son environnement.

Le pouvoir apparaît le plus souvent comme une expression primaire de domination autour de laquelle se construit la relation entre individus. La performance n’est que le fruit de ce combat contre l’autre : la meute évolue dans un monde de sciences, mais développe toujours ses comportements primaires.

Cette culture du savoir, du contrôle de l’homme sur la nature et sur l’autre, révèle ses limites. L’évolution des technologies, à l’inverse de celle de l’implication de l’humain dans sa propre vie, nourrit le besoin de satisfaction immédiate et de réalisation par l’objet, par le matériel. Le vide laissé par l’investissement de l’humain dans la construction de sa vie doit être comblé rapidement, instantanément. « Je suis l’objet qui me représente. L’objet transmet l’image de moi que je veux créer ».

Notre société contemporaine renvoie cette impression que tout se joue aujourd’hui et maintenant, comme si l’instant devait répondre à l’ensemble des demandes individuelles.

C’est un comportement d’autant plus inquiétant que l’individu concerné occupe une responsabilité, une influence sur le groupe. N’est-ce pas la capacité de vision à long terme, d’anticipation, de recul, de vision globale et de prise de décision qui légitime le manager ou « l’homme de Pouvoir » ?

La confiance en effet.

Plus il s’élève, plus il devrait être en capacité de voir loin. La réalité comportementale individuelle peut créer un déséquilibre entre l’enjeu de la situation et l’acte individuel.

C’est sans compter sur l’ « e-outil » utilisé, qui affranchit l’utilisateur de toute limite si sa structure individuelle n’en apporte aucune, ou est insuffisante pour évaluer l’opportunité du moment et du message diffusé. L’outil peut être commun mais la façon de l’utiliser devrait l’être moins.

Notre société est marquée par une sophistication technologique toujours plus poussée, à laquelle s’associe une immaturité, individuelle ou collective, galopante.

Cette tendance s’illustre par la société du « caprice » : « J’aime/j’aime pas, je veux/je veux pas, j’ai envie/j’ai pas envie, je veux maintenant/je veux pas attendre, je veux une solution toute faite/je veux faire par moi-même, j’en veux pas parce que c’est pas ce que je voulais/ untel a dit qu’untel n’était pas ou était, ou avait dit que… »

Durant les premières années de la vie, cela peut s’entendre. Mais en phase supposée de maturité, et parfois à un certain niveau de responsabilité, c’est quelque peu gênant.

C’est aussi une société qui se communique, se montre et s’évalue par l’exemple, l’anecdotique, par la lorgnette. À ce rétrécissement, cette régression s’ajoute le renfort de ce qui est ressenti et s’exprime en toute occasion, sur tout, indépendamment de l’intensité du sujet censé déclencher… l’émotion. Au caprice s’ajoute cette nécessaire et authentique… émotion… partout, pour tout, en toute occasion.

C’est l’émotion de la passation de pouvoir entre deux présidents de la république, du match de foot, d’une star blessée par les turpitudes de son mari, de la publicité d’un nouveau véhicule, au même rang que celle des massacres en Syrie, des catastrophes naturelles, des effets sociaux de la crise…

Le sujet, l’événement disparaissent au profit de l’occasion de pouvoir exprimer un sentiment unique, permanent, presque standardisé. C’est « mon » émotion, mais pas celle de l’autre.

Tout pour éviter le réalisme face aux situations et à l’autre. C’est faire l’impasse sur l’objectivité nécessaire à l’évaluation de ces situations, au dépassement et à la résolution des problèmes ou des crises.

Le décalage entre l’enjeu des situations et ce qui est mis en œuvre pour les appréhender entretient cette culture de l’image et du fantasme, piliers de l’évitement et de la reproduction de la bonne conscience.

C’est l’utilisation du symbole pour éviter la remise en question en profondeur du système, et créer l’adhésion par l’anecdote : limiter les salaires de quelques patrons, ou des ministres mais conserver la même structure institutionnelle. Divulguer les patrimoines des ministres pour éviter d’aborder l’opacité de l’utilisation des fonds publics en région et dans les départements.

La visibilité du symbole se pose en référent de l’action, quitte à en révéler de fait la limite, alors que les initiatives de fond positives, publiques ou privées, individuelles ou collectives, efficaces mais discrètes, n’ont pas accès à la reconnaissance de l’exemple.

Ce qui est visible dans l’instant suffit à représenter une nécessité durable. Que faire de ce qui est possible, envisageable, à construire dans le temps, sans que les signes de l’instant ne démontrent mais suggèrent cette capacité ? Croire en ce qui n’est pas visible est cet acte de confiance pour susciter la curiosité, engager l’action et la décision qui rendront possible, à un moment, ce qui ne l’est pas encore.

La confiance n’est pas le fantasme, l’imagination d’un monde ou de solutions, de décisions déconnectées de la capacité de la situation ou du moment à les intégrer. La confiance n’est pas de projeter une société idéalisée dans le monde réel.

De manière anecdotique, ce n’est pas de supprimer les feux tricolores pour créer des « zones de rencontre » entre automobilistes, transports, cyclistes et piétons. Un espace partagé où chacun ferait attention à l’autre, sans autre code que l’empathie et… l’émotion, bien entendu.

Certainement dans une société où la responsabilité individuelle nourrit le sens collectif, certainement pas dans une culture individualiste, narcissique ou chacun réclame « son » espace, « son » attention, « sa » reconnaissance, « son » statut, et surtout, « sa » liberté.

C’est aussi transmettre l’idée aux plus jeunes que la structure et les codes sont inutiles. C’est tellement « sympa » de traverser au feu rouge, de griller un feu en vélo, en voiture, de rouler à contre-sens, sur le trottoir, de faire fi des barrières codées. C’est tellement « sympa » de frôler, découvrir, ressentir, rencontrer… le capot d’une voiture, une moto, un bus… Quelle chance de vivre l’émotion de l’anxiété, du risque, de la mise en danger !

Il ne suffit pas de faire tomber les barrières physiques pour créer les conditions de partage. L’outil n’influence pas la relation, c’est davantage la construction de la relation qui précède l’outil et génère la capacité de s’en détacher, sans forcément s’en défaire.

La confiance se construit en contact avec la réalité. Le réalisme pour construire des solutions durables, adaptées. C’est avancer en relation avec le monde tel qu’il est, pour innover, créer, inventer en lien avec sa réalité. Comme le disait François Chérèque (secrétaire général de la CFDT de 2002 à 2012) : « Avoir une vision moderne du monde, c’est le voir tel qu’il est, et pas tel qu’on voudrait qu’il soit ».

La confiance, c’est construire pour adapter, pour faire évoluer. C’est accéder à l’autre pour en faire une part du projet, sans renoncer à l’efficacité, au pragmatisme. C’est aussi accepter ce qui n’est pas, se satisfaire de ce qui est réalisé, sans renoncer à développer et dépasser. L’ambition ne signifie pas forcément la satiété.

La confiance démarre par la confiance en soi, pour accepter la part de l’autre dans la réalisation collective.

Il y a tant d’énergie investie dans l’accaparement de ce qui sera un jour abandonné, de fait. Serait-ce une façon d’exprimer une peur de la fin, plutôt qu’une foi en l’avenir ?

C’est le rôle de l’homme d’influence de s’inscrire dans cette capacité de confiance et d’emmener ceux dont il a la responsabilité vers une construction la plus équilibrée et réaliste de leur propre univers. N’est pas là toute sa légitimité ?

C’est peut-être aussi ce qui peut traduire sa capacité de s’élever, bien différente d’une volonté de « grimper » pour se rassasier.

Énoncer des incantations peut certes faire plaisir, mais ne suffit pas à concrétiser les intentions.

Comme nous l’avons évoqué, la construction de la relation à son environnement, à l’autre débute dans le cercle privé, se poursuit à l’école et au cours de l’apprentissage, des études supérieures, pour continuer de se développer dans l’univers professionnel.

Chaque acteur a l’occasion d’agir pour transmettre cette valeur de confiance chez l’autre. Encore faut-il lui accorder l’attention qu’elle mérite et intégrer dans la culture collective et éducative la valeur comportementale, la capacité individualisée de réaliser.

Préparer chacun à déployer ses talents, selon ses capacités, plutôt que fixer un seuil de réussite standardisé, qui fixe alors la règle de succès, de reconnaissance, voire de valorisation sociale.

Qui donne l’exemple ?

Une de nos caractéristiques est d’attendre que l’autorité, ou sa représentation, donne la direction, se pose en exemple et apporte la solution. Il serait alors logique que l’Institution qui exerce le Pouvoir soit, en période de nécessité aiguë, l’instigateur, le moteur du changement pour projeter et adapter la collectivité aux nécessités externes.

Cela supposerait la capacité de ceux qui l’animent de se remettre en question et d’accepter d’abandonner une part du bénéfice matériel ou statutaire. Un jour, un jour… bientôt… c’est prévu… mais pas tout de suite… après…

Pourquoi alors ne pas positionner comme exemple la pratique réelle, agissante et constructive ? Pourquoi ne pas considérer la visibilité comme un moyen, un outil d’influence… positive ? Le sujet ne serait donc pas de montrer ou non, mais de choisir ce qui est montré.

Les bonnes pratiques existent mais sont discrètes. Bien faire ne se dit pas… peut-être. Il devient pourtant nécessaire de reconsidérer cette discrétion, pour rétablir une valeur positive de l’exemple.

L’entreprise est aussi ce lieu de structuration des relations, une entité de construction économique, sociale qui répond à des objectifs de rentabilité. Ce sont aussi des lieux d’innovation, de valeurs, d’échanges, d’ouverture.

Leurs bonnes pratiques pourraient se révéler des arguments de choix par le consommateur, le client s’il se donnait la peine de se responsabiliser dans son acte de consommation, et d’avoir recours à son esprit critique actif.

La valeur de pollution accordée au mauvais exemple rejaillit sur l’ensemble des membres du groupe concerné, condamnés à la discrétion comme prise de distance avec ces mauvais représentants.

La bonne pratique un argument marketing ? Pourquoi pas si sa communication traduit le fait, transmet le réel et influence positivement son environnement.

 

Une visibilité responsable

Les comportements individuels et collectifs traduisent la valeur réaliste accordée à l’autre. Leur évaluation objective participe à la construction, le développement et la croissance de l’entreprise. Elle est un moment de représentation de la place accordée à l’individu et de la culture de groupe.

Les fonctions ressources humaines et managériales intègrent, accompagnent et développent la ressource vivante de l’entreprise, qui, en capacité d’exprimer ses talents, devient à son tour un levier de l’efficacité et du succès de l’entreprise.

Évaluer le plus justement cette ressource c’est aussi lui permettre de s’exprimer et se déployer au mieux. La valeur accordée à cet autre ne pourrait-elle au moins atteindre celle dédiée au produit qui bénéficie de nombreuses ressources dédiées à son développement et son innovation, à son positionnement et son déploiement, à sa diffusion sur le marché ?

Si l’inanimé est élevé au-delà de l’être, l’humain s’effondre et rejoint la meute, avide, insatiable, et destructrice, quel que soit le rang occupé dans cette meute.

Cet « appauvrissement de la richesse » serait-il une fatalité, un mouvement de société inéluctable soumis à l’hégémonie des systèmes, et à certains «sociopathes» qui les dirigent ?

Il n’existe certainement pas de réponse unique, mais nous pouvons au moins envisager une possibilité : la valorisation de l’investissement et de la responsabilité individuels et collectifs, et l’entreprise comme lieu de leur émergence et de leur expression.

L’objectif serait de divulguer l’existant positif, sans en faire une pratique absolue qui occulterait les situations moins valeureuses. Ce serait promouvoir la bonne pratique pour en faire un référent, pour créer une idée du possible, de confiance en un système dont le bénéfice dépend avant tout de l’orientation qui lui est donnée par son animateur : l’humain.

Pourquoi ne pas passer d’une culture de doute, inquiétude, protection statut, immobilisme, dépendance, acquis, image, représentation, évitement, concept, moyen, arrogance, prétention, généralité, subjectivité, apathie, négatif, conserver, figer… à une culture de confiance, audace, rôle, fluidité, autonomie, évolution, réalisme, pragmatisme, courage, action, résultat, relation, simplicité, devoir, responsabilité, globalité, objectivité, envie, positif, innovation, adaptation, comprendre…

Le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait ses propos au congrès national du parti socialiste en avril 2013 : « L’austérité ce n’est pas pour nous, c’est bon pour l’Espagne », arrogance et prétention, mépris, déni…

Imaginez plutôt : « Nous allons faire face, et faire de l’austérité une étape, en prenant des mesures de fond drastiques mais courageuses, pour préparer notre pays à une nouvelle organisation, un allégement des structures publiques, une adaptation aux enjeux… »

Un fantasme de courage, de lucidité, de réalisme, de pragmatisme… mais un fantasme.

L’objet est de faire émerger ce qui est positif et existe, pour le positionner au rang de moteur collectif, et le faire passer d’une action discrète et individuelle à un effet d’entraînement visible et global.

Il faudrait alors certainement lutter contre cette tendance culturelle qui consiste à rendre discret le bien qui se fait. Pourquoi la forme ne deviendrait-elle pas davantage un outil du fond ?

Il devient en effet nécessaire de dépasser le repli de la bonne pratique et associer « faire » et « faire savoir ».

Il n’est plus question d’habitude, de retenue policée, de discrétion, du bon usage mais d’urgence, voire de nécessité vitale d’une société usée par la visibilité de ses pires pratiques, parfois minoritaires, qui aboutit à cette expression quotidienne de la généralité.

Les patrons ne sont pas que des salauds, les entreprises ne sont pas que des lieux de détresse et d’abus, la diversité n’est pas qu’une abstraction, la société n’est pas uniquement déterminée par l’acquis et le statut, l’Institution n’est pas le seul moyen d’exister, les salariés n’attendent pas que de la protection, les banlieues ne sont pas des zones sans ressources ou talents, les syndicalistes ne sont pas tous opposés au changement…

Qui sont ces chefs d’entreprises et managers responsables, engagés dans le développement collectif de l’entreprise ? Qui sont ces entreprises qui investissent dans la dimension humaine et sociale, sans renoncer à l’efficacité ? Qui sont ces profils qui représentent une possible mobilité et ouverture de la société ? Quelle est cette société qui avance, évolue, s’ouvre, remet en question, agit ? Qui sont ces individus qui existent par leurs actions, leur engagement, leur sens de la responsabilité ? Qui sont ces salariés qui participent avec envie, bonne volonté, adhésion, mobilité et se battent pour leur entreprise ? Qui sont ces chômeurs qui avancent, se démènent, sont volontaires, sont prêts à aller là où se trouvent les opportunités ? Qui sont ces habitants de banlieue et d’ailleurs qui se battent et construisent leur parcours ?

 

Le peuple du silence et de l’action ?

Cette visibilité des pratiques positives serait également l’occasion de récréer un lien avec l’activité et le monde « réels », quelque peu mis à mal par le développement des activités immatérielles et la place qu’on leur accorde dans le paysage économique et social.

« Parmi ces activités, la surreprésentation hégémonique des marchés financiers. Ils réclament chaque jour avec avidité des rendements toujours plus importants et immédiats et s’imposent comme une bête impossible à rassasier, un trou noir qui aspire toute vie humaine et économique réelle. Ils ne sont pourtant pas si immatériels, puisqu’ils sont animés par des individus, des couards « planqués » derrière leurs écrans, qui, à défaut d’être de fumée, permettent à des investisseurs bestiaux de se nourrir de la mort sociale et économique. Les spéculations sur les matières alimentaires, les énergies, les cours à la baisse sur les entreprises cotées, alimentent la situation sacrificielle du monde réel : ce qui est produit n’a qu’une valeur nourricière de la bête repue et en sommeil, le temps d’une digestion trop courte pour laisser au marché le temps de se reconstruire. Rationaliser, réduire, rogner, déchiqueter, grappiller, disloquer, dépecer, mégoter… tout est bon pour nourrir celui qu’il faut calmer pour rester en place : « Prenez-les, ils ne valent rien, mais laissez-nous la place et le statut saufs ! » …

Les technologies protègent les « esclaves du vide » rapidement enrichis de leur responsabilité humaine, vis-à-vis de l’entreprise, de l’humain. Pourquoi se montrer vertueux et courageux, quand la pleutrerie rend l’acte de la charogne si jouissif ? Être connecté aux commandes de la « bête », pour s’absenter de la vie, de l’humain, de la conscience, ou d’une simple décence. Être immature, névrosé, mais faire du pognon… Les autres ? Des faibles, sans intérêt ! »

Excessif pensez-vous ? Ce ne sont que des mots, pourtant bien moins violents que la réalité des situations d’entreprises, humaines et sociales vécues. Une fois encore, la généralité n’est pas de mise. Il existe certainement des acteurs de la finance responsable, et aussi, comme déjà évoqué, des entreprises cotées ou non responsables et investies sur le long terme, sur la valeur d’innovation et humaine, qui choisissent par engagement de leur management la valeur collective et durable.

Il n’existe pas de situation ou action idéale, de structure ou d’individu parfaits qui représenteraient à eux seuls la vertu ou la morale absolue. Il y a en revanche des individus et organisations humaines, imparfaits, qui développent au moins l’envie, l’engagement et la volonté de s’investir dans une construction de qualité, individuelle et collective, tout en s’adaptant aux nécessités externes.

L’entreprise peut les réunir ou les représenter.

 

Du chaos à la confiance

L’entreprise ne se pose bien évidemment pas en seul système de structure et de valeurs, certaines sont autant source de confusion et de tensions. Il est en fait question d’identifier une source possible, une entité de responsabilité et d’innovation, une valeur du changement et de l’adaptation. L’association, le domaine public peuvent tout autant représenter ces caractéristiques. Il faut l’entendre comme organisation humaine.

C’est aussi le choix d’une entité capable d’évoluer, de s’adapter de manière plus réactive que l’Institution. C’est faire de la visibilité du pragmatisme et de la responsabilité une influence nécessaire sur l’Institution plus stagnante. C’est inviter, inciter et encourager une perception du champ du possible, pour évoluer avec confiance plutôt que défiance.

L’image visible de la société renvoie une perception anxiogène de celle-ci : la faillibilité, l’effondrement, la menace, la destruction, l’abus…

La faillite de la Grèce, oui, non, oui, oui, non, sa sortie de l’euro, la catastrophe, les banques, leur folie, leur faiblesse, leurs dépôts, leurs comptes, vidés, faussés, maquillés, l’Europe, perdue, terminée, son travail, licencié, oui, non, peut-être, les médias, ils l’ont dit, le scoop, le gouvernement, non, jamais, mais si, lutter, c’est perdu, trop tard, ça va casser, s’effondrer, c’est perdu, et nous, comment, qui va… nous sauver ?

La confiance n’est pas spontanée, elle se transmet, se construit. Comme les parents qui encouragent leurs enfants à se construire sur leurs talents, leurs capacités et les amènent à prendre confiance en eux, pour avancer, faire face, dépasser leurs limites, identifiées.

La transmission collective pourrait, elle aussi, s’appuyer davantage sur l’exemple de la réussite, du courage, de la capacité de se projeter au-delà des difficultés, des obstacles, en lien et avec le reste du monde, pour y prendre une place, en confiance.

Le sujet n’est donc pas de ne choisir que ce qui fonctionne pour remplacer ce qui ne fonctionne pas, mais de s’appuyer davantage sur ce qui fonctionne pour rendre visible ce qui avance, et faire évoluer ce qui résiste.

Il est aujourd’hui possible de passer de cette culture du chaos à la capacité de mobiliser énergie et capacité de construire, sans nier les difficultés, mais au contraire en lien avec le réel pour le faire progresser. C’est nécessaire.

Il serait presque question d’invoquer l’esprit d’entreprise comme manifestation de sa présence : entreprise responsable, si tu es là, montre-toi ! Quelque peu léger certes par rapport aux enjeux, mais pas tant que ça par rapport au besoin de voir aujourd’hui autre chose que l’absence de bonnes pratiques.

L’entreprise agissante et responsable envers l’humain autant qu’envers ses marchés, clients et financiers, est à un carrefour de notre société qui l’engage à se dévoiler, à s’identifier, à s’individualiser par la valorisation de ses réalisations.

C’est aussi l’occasion pour l’entreprise de se détacher d’une perception collective d’un secteur d’activité, trop générale pour en révéler les particularités. C’est se positionner par une identité correspondant à son histoire, ses valeurs, son quotidien et ses projets, en tant qu’entreprise individualisée et non plus comme un élément d’un univers, d’un marché perçu comme uniforme et standardisé.

 

Un marketing de la valeur

La « marque employeur » est un outil qui permet à l’entreprise de se positionner sur le marché de l’emploi en valeur individualisée, par ses actions réalistes et responsables, plutôt qu’en association à la notoriété d’une marque produit pour en assurer le relais.

La « marque employeur » prend toute son ampleur si elle communique à l’extérieur des pratiques professionnelles et humaines réelles, en évitant la construction d’une image idéalisée comme outil d’attractivité institutionnel. Le marché est en attente de discours réaliste et cohérent avec les pratiques que les collaborateurs présents et futurs vivent et trouveront au quotidien.

Le réalisme de la marque employeur est autant une occasion de considérer avec transparence le niveau de pratiques réelles et un seuil identifié pour les faire progresser.

La « marque » concerne ce qui est produit à l’intérieur et s’adresse à l’extérieur, le marché client. La « marque employeur » concerne ce qui se construit, se vit à l’intérieur et s’adresse à l’extérieur, le marché professionnel.

Le marketing RH se positionne donc comme la traduction de la dynamique ressource humaine réelle et interne et peut agir comme une stimulation de l’amélioration des pratiques internes.

Le développement du marketing RH crée l’opportunité pour l’entreprise d’affirmer sa capacité de se positionner par rapport aux autres, et de diffuser une valeur positive et observable : la confiance de l’entreprise en ses atouts, ses ressources humaines et matérielles. C’est encourager sa propre capacité de mouvement, de progrès et son rôle d’entraînement par rapport à une partie du marché moins valeureuse.

Le marketing RH implique une compréhension de l’histoire, de l’identité culturelle, métier, produit et humaine de l’entreprise, de ses particularités et spécificités pour se positionner de manière individualisée. En effet, certaines entreprises partagent davantage de valeurs communes avec d’autres de secteurs différents, qu’avec celles de leur propre activité. Comprendre ce qui lui est propre et ce qu’elle partage avec le marché.

Cette individualisation des pratiques de l’entreprise est un des points d’appui pour se positionner en valeur de l’exemple, pour participer à créer un référent collectif de réussite et de confiance dans la notion même d’entreprise.

Cette confiance nourrit la capacité d’engagement sur le long terme. Comprendre pour avancer, pour projeter et construire son avenir en respectant son histoire. Avancer et transmettre la confiance par l’exemple positif de réalisation. Produire une énergie des bonnes pratiques nécessaire à une société plus souvent en protection, en attente, en hésitation, en état d’âme, qu’en initiative et action.

C’est communiquer le positif que notre société est aussi capable de produire, pour en révéler des référents visibles plus élevés. C’est à la création vertueuse de valeurs de peser de tout son poids sur la direction que nous devons prendre, pour faire de cette époque une transition vers une autre attitude que le constat de la nécessité : la confiance. C’est diffuser pour influencer.

La « marque employeur », comme la « marque produit », serait une partie de la « marque entreprise », qui deviendrait à son tour porteuse des bonnes pratiques humaines, environnementales, sociétales et produits, au-delà d’une association positive fabriquée et projetée.

Le nom de l’entreprise devient alors la « marque entreprise » qui produit la valeur globale, réelle, au-delà de la notoriété produit et de ses marques, au-delà du marché de l’emploi et de sa marque employeur, au-delà de son nom, de sa communication institutionnelle.

La « marque entreprise » devient une entité visible porteuse du sens actif, vécu et investi par le management et les collaborateurs, qui synthétise l’effort et la confiance de chacun dans la capacité de son entreprise à progresser et faire des choix, en acceptant le réalisme de l’imperfection et l’envie de l’adhésion au projet quotidien et collectif.

Sans attendre que cette valeur collective ne prenne une forme mature, c’est à chacun, dans son périmètre de vie, personnelle et professionnelle, et selon les possibilités de l’exprimer, de créer une valeur de l’acte individuel en cohérence avec ce qu’il souhaite de l’exemple collectif.

Quelle est ma contribution à ce que j’attends ? Quelle part de la solution est-ce que je représente ?

Notre société ne pourrait-elle suivre ce mouvement de confiance, en accordant davantage de valeur à la capacité individuelle de chacun à devenir, à construire, plus qu’à son image et à sa référence collective : « Où allez-vous ? », plutôt que « D’où venez-vous ? »

C’est proposer la valeur du possible, de la capacité de réaliser, du succès comme un facteur de motivation et d’adhésion à un socle collectif plus homogène et durable.

C’est projeter en acceptant de renoncer aux pesanteurs, structurelles et comportementales, pour encourager le renouvellement et l’ouverture.

Ce changement collectif, c’est aussi un engagement individuel dans le changement.

Il est temps, pour chacun, dans l’intérêt de tous.

 

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