Stratégies de rémunérations, entre continuité et chamboulements (partie 2)

Les DRH sont parfois confrontés à des exigences salariales démesurées et éprouvent des difficultés à trouver des solutions à la fois compétitives et cohérentes avec leurs politiques. Après un aperçu du cadre de référence et des dispositifs dans un précédent article (Stratégies de rémunérations, entre continuité et chamboulements partie 1), il s’agit dans un second temps de connaitre l’application managériale qui en découle.

Stratégies de rémunérations, entre continuité et chamboulements (partie 2)
Les primes ne sont plus simplement basées sur le niveau d’engagement individuel mais sur la réussite de l’ensemble des collaborateurs d’une équipe.
Figure 1 : 9 points clés des politiques salariales
Figure 1 : 9 points clés des politiques salariales

L’application managériale : vers le sens du collectif

Le ratio individuel de rémunération

À ce cadre et ces dispositifs qui évoluent, il faut rajouter la nécessité d’une politique salariale différenciée en raison de budgets réduits depuis 2008. Comment amener les managers à faire des vrais choix ? Les politiques pluriannuelles facilitent l’approche managériale dans le temps ; il est aussi possible de définir un taux de sélectivité, un mini d’augmentation… Mais il y a aussi le RIR (7), et ce n’est pas une faute de frappe…

Le RIR ou « Ratio Individuel de Rémunération » est l’un des outils les plus pertinents : simple, il permet en effet de situer les salariés dans le cadre de l’entreprise, indépendamment de leur métier et de la valeur absolue de leur rémunération (Figure 2). L’équité s’applique ainsi de manière transverse et non métier par métier.

Le RIR, ratio individuel de rémunération
Figure 2 – le RIR, ratio individuel de rémunération

Un autre fondamental parfois perdu de vue est de veiller à la cohérence entre parcours professionnel et rémunération. Sur une bande donnée, privilégier les entrées en fonction dans les premiers quartiles, préparer l’évolution dans le 3ème et conserver le 4ème pour les salariés en fin de carrière (Figure 3).

assurer la cohérence entre rémunération et parcours professionnel
Figure 3 – assurer la cohérence entre rémunération et parcours professionnel

Renforcer le collectif et le sens

Ces fondamentaux, le RIR, ou l’approche corrélée entre parcours professionnel et rémunération ont parfois été oubliés dans des politiques privilégiant coûte que coûte la performance immédiate. Il s’agissait alors de la performance individuelle. Face à la complexité des sujets, c’est bien l’équipe et son talent collectif qu’il s’agit de valoriser, plus que des individus (8). Les stratégies d’expérience client couplées aux attentes des salariés conduisent à une perte de vitesse du bonus. Au demeurant, la différenciation comme nous l’avons vu plus haut, peut s’opérer par une plus grande sélectivité.  Le bonus, sujet très débattu actuellement (au moins dans les échos médiatiques), prend alors une dimension plus collective et davantage liée à des éléments stratégiques qu’à des éléments opérationnels. Beaucoup de banques par exemple sont ainsi passées d’une politique de vente de produits à un NPS (Net Promotion Score, taux de recommandation nette), pertinent dans une stratégie de conquête qualitative comme d’expérience client. J’ai connu une entreprise où, selon les différents critères individuels et collectifs, il y avait selon les entités jusqu’à 54 formules de calcul différentes. C’est bien fini. Le bonus doit aussi trouver du sens et pour cela être clair. Quant aux managers, plus attendus comme facilitateurs ou coachs que reconnus par un statut, ils voient évoluer sensiblement les critères de leur variable : dans beaucoup d’entreprises canadiennes que je connais, le bonus des managers, facilitateurs ou coachs, est non seulement basé sur le niveau de l’engagement, mais aussi sur la réussite des collaborateurs de leurs équipes, et parfois réduit en cas de turn over élevé et de départ de talents clés.

L’auto-évaluation

Enfin ce qui est probablement une des nouveautés les plus disruptives est celle qu’apportent les entreprises qui tentent de « libérer » les rémunérations (9). Il y a 25 ans, IBM avait expérimenté avec succès le fait de ne pas fixer de budget d’augmentation et de laisser ses managers proposer. Il en était résulté des demandes inférieures au budget qu’aurait proposé la Direction Générale. Aujourd’hui un phénomène proche se produit ici ou là. Chez ce grand du sport, les chefs de rayons proposent à leurs pairs leur propre augmentation, celle qui leur semblerait raisonnable. Et cette auto-régulation fonctionne, les rémunérations sont affichées et connues de tous… Un peu comme chez Morning Star décrit par Frédéric Laloux dans « Reinventing Organizations ». Ce phénomène est lié aux motivations intrinsèques, bien plus puissantes que la carotte, parfois perçue comme humiliante. Chez Favi, même les commerciaux n’ont pas de prime, les bénéfices sont partagés sous forme de participation ; s’y ajoute la reconnaissance de leurs pairs qui savent que du travail des commerciaux dépend leur subsistance. Dans une entreprise de 250 personnes que je connais bien à Montréal, l’employé qui demande une augmentation, et se voit alors proposer de prendre des responsabilités additionnelles et un poste dont le niveau de responsabilité plus élevée. S’il accepte, il a un an pour s’y préparer, car c’est de sa responsabilité, mais l’entreprise lui verse de suite la rémunération demandée.

Une carrière de cadre est perçue comme linéaire en termes de responsabilité croissante et donc de rémunération toujours supérieure, sans lien avec les contraintes réelles. Ceci conduit à beaucoup de jeux de rôles et in fine de ruptures. Une approche plus transparente des rémunérations peut même permettre de prendre en compte les situations personnelles. Après tout, c’est ce que nous faisons en donnant des jours de congé solidaire, en soutenant les aidants familiaux… Nous pouvons même envisager, j’ai eu l’occasion de le pratiquer, de négocier à la baisse de la rémunération lorsque les responsabilités et le besoin de ne le justifient plus. Encore faut-il pour cela laisser de côté quelques-uns de nos schémas mentaux…

Nous pouvons même envisager que certaines entités d’une même organisation disposent de budgets d’augmentation différents selon les enjeux d’entreprise qu’elles portent ou les transformations qu’elles doivent mener. Si vous avez de tels exemples, je les regarderai avec intérêt. Toujours est-il que dans tous ces changements, la créativité est d’autant plus possible que le sujet est sensible et attendu. En touchant aux rémunérations, vous touchez toute l’entreprise à travers sa raison d’être, sa culture et son management… et ses résultats !

Politique salariale : 20 leviers et marges de manœuvre utilisables

  1. Utiliser la noria (rémunérations des sortants supérieure à celle des entrants) pour financer une partie de la politique salariale,
  2. Définir si nécessaire et faire appliquer un taux de sélectivité pour éviter le saupoudrage.
  3. Limiter les mesures collectives, si elles sont nécessaires, en deçà de l’inflation lorsque politique salariale doit rester modérée
  4. Évaluer sur une longue période de 3 à 5 ans l’effort salarial de l’entreprise et le résultat en gain de pouvoir d’achat pour tenir compte des mesures passées au regard de l’inflation.
  5. Assurer un niveau suffisant de variabilité pour la rémunération variable tout en la rendant socialement acceptable (20% représente 2,5 mois de salaire).
  6. Intégrer ou non le budget promotions dans le budget des mesures individuelles.
  7. Définir une mesure salariale sous condition de l’atteinte d’un budget majeur pour l’entreprise, d’une prise de commande ….
  8. Négocier un budget d’augmentations pluriannuel, prévoyant des ajustements possibles dans la NAO. Ceci donne plus de visibilité pour les managers pour relier rémunération, perspectives, performance.
  9. Remplacer une mesure collective par une prime pour passer si besoin du récurrent au ponctuel
  10. Jouer sur les effets de calendrier, plusieurs périodes d’augmentation, permet de gérer les effets en masse salariale et gérer les effets de report.
  11. Offrir un avantage social temporaire au lieu d’une mesure récurrente. Par exemple, financer exceptionnellement le régime frais de santé à 80% au lieu de 50% sur une durée déterminée.
  12. Augmenter le plafond de l’intéressement en pourcentage de la masse salariale ou augmenter la valorisation des indicateurs. Ce type de mesures est souvent réalisé souvent post crise. Les accords d’intéressement complémentaire sont aussi un vecteur utile.
  13. Auditer les éléments de paie que l’on verse et remettre en question la pertinence de certains qui peuvent être obsolètes.
  14. Poursuivre et appliquer les politiques d’égalité professionnelle hommes femmes, avec si besoin des budgets dédiés et la gestion responsable des périodes de maternité.
  15. Développer une politique de reconnaissance non monétaire : Temps de Travail, Équilibre Vie Privée / Vie Professionnelle, Flex Office, temps partiel, formation, mobilité etc….
  16. Mettre en place le Bilan Social Individuel, en veillant à distinguer ce qui relève des obligations légales et conventionnelles de ce qu’apporte le seul fait d’être salarié de l’entreprise. La valorisation de cette part facultative peut s’apprécier par rapport au salaire de base,
  17. Utiliser les possibilités offertes par la Loi Pacte qui supprime le forfait social de 20% pour les entreprises de moins de 250 salariés qui négocient un accord d’intéressement,
  18. Proposer une politique d’abondement tant pour le PEE que le PERCO dans une enveloppe d’abondement globale avec des modalités qui peuvent différer entre les deux,
  19. Préparer la compensation de la baisse des régimes obligatoires de retraite (évolutions de retraite dans le cadre d’un régime universel en points) par des mesures sur le PERCO, type abondement ou des régimes supplémentaires par capitalisation, 
  20. Appuyer la prise en charge par les régimes mutualisé et appuyer les aidants familiaux. (Les enjeux liés à la dépendance concernent 1,3 million de personnes et leur coût dépasse 30 Mds€ et pourrait à l’avenir représenter 1,8% du PIB)

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