De l’individuel au collectif : comment réapprendre à travailler ensemble ?

Une telle question peut sembler superflue ou hors propos, au sein d’organisations de plus en plus connectées et transverses. Pourtant, récréer un lien collectif en environnement hybride s’impose comme défi dans un contexte d’incertitude et face à des fractures sociales croissances.

De l’individuel au collectif : comment réapprendre à travailler ensemble ?
Réinventer le collectif pour redonner du sens au travail ensemble.

Une individualisation croissante du travail depuis la pandémie

Depuis la crise sanitaire, le travail s’est individualisé : les collaborateurs ont appris à performer seuls, parfois au détriment du collectif. Le lien social, la communication informelle et le sentiment d’appartenance se sont érodés. En réalité, le télétravail a totalement bousculé nos repères. Les routines collectives se sont effacées, les moments de coordination spontanée ont disparu, et les interactions humaines se sont développées derrière les écrans. Chacun s’est recentré sur ses priorités, son confort et son efficacité personnelle, parfois au détriment du « faire ensemble ».

Réapprendre à travailler ensemble, c’est donc reconstruire les bases de la coopération, en revisitant les attentes et les rituels du collectif dans un environnement hybride. Et bien entendu, cela nécessite la valorisation des temps collectifs. En 2023, deux tiers des salariés déclarent ne pas vouloir revenir au bureau, même avec une hausse de salaire de 15 %, signe d’un rapport au travail profondément transformé.

Plutôt que d’imposer un retour au bureau donc, les entreprises gagnent à redonner envie de revenir en restaurant le sens et la qualité du collectif. Les injonctions descendantes – “trois jours minimum au bureau”, “tous ensemble le lundi” – peinent à susciter l’adhésion. Car si la présence devient une obligation, elle perd tout son sens.

Faire du retour au présentiel un projet collectif

Certaines entreprises ont réussi à faire du présentiel un temps de transmission et d’innovation :

  • Chez Decathlon, les équipes définissent à présent elles-mêmes leurs jours de présence au bureau, selon leurs besoins opérationnels et la nature des projets à mener.
  • AXA France, de son côté, a mené des ateliers participatifs intitulés « Notre modèle hybride idéal », réunissant managers et salariés pour définir ensemble les critères de présence, les temps de créativité, et les rituels communs.
  • Airbus, a lancé le programme Team Reset, pour permettre aux équipes de redéfinir ensemble leurs règles de fonctionnement post-crise : communication, rythme collectif, répartition des rôles.
  • Le Crédit Agricole a misé sur des séminaires de “reconnexion” centrés sur le relationnel, la cohésion et la redécouverte du plaisir de travailler ensemble.

Ces démarches reposent sur un même principe : confier au collectif la responsabilité de définir son propre cadre de fonctionnement. Elles recréent un climat de confiance et redonnent au présentiel toute sa légitimité, en le recentrant sur ce qu’il a de plus précieux : la coopération et la relation humaine.

Vers une vraie valeur ajoutée du collectif

Il ne suffit plus de venir au bureau “parce qu’il le faut”. Pour que les collaborateurs aient envie d’être ensemble, chaque moment collectif doit avoir une véritable valeur ajoutée : apprentissage, innovation, créativité, cohésion. Le bureau n’est plus seulement un lieu d’exécution, c’est un espace d’expérience et de lien.

Redonner du sens au collectif, c’est d’abord clarifier la raison d’être de la présence partagée. Quand le présentiel se limite à des réunions descendantes ou à des tâches que chacun pourrait effectuer à distance, il perd tout son sens. Mais lorsqu’il devient un espace de cocréation, de feedback, de résolution de problèmes complexes ou d’apprentissage entre pairs, il retrouve sa légitimité.

Certaines entreprises l’ont bien compris. L’Oréal a ainsi repensé sa politique hybride autour du principe “Work From Office For Purpose” : la présence au bureau est encouragée lorsqu’elle crée de la valeur collective — formation, innovation, transmission. D’autres, comme la MAIF, consacrent des journées entières à des temps de réflexion collective, où l’équipe se retrouve pour partager la vision, résoudre des irritants ou inventer de nouvelles façons de collaborer.

Être ensemble n’est donc plus une contrainte, mais un levier de sens et de performance partagée.  Le défi pour les RH et les managers est désormais d’orchestrer cette présence choisie en donnant envie de se réunir pour ce qui ne peut se faire qu’ensemble.

Repenser les espaces et les rituels collectifs

Réapprendre à travailler ensemble passe aussi par une transformation concrète de nos espaces de travail et de nos rituels collectifs. Le bureau d’aujourd’hui ne peut plus ressembler à celui d’hier : il doit être pensé comme un lieu de connexion, pas de contrainte.

Les entreprises qui réussissent cette mutation réinventent leurs environnements pour favoriser les échanges et la créativité. BNP Paribas, par exemple, a repensé ses locaux en zones d’usages : espaces de focus individuel, salles de cocréation, zones de détente, lieux de convivialité. L’objectif n’est plus de revenir à un poste attitré, mais de choisir le bon cadre selon le moment et le type d’interaction.

Mais repenser les espaces ne suffit pas. Il faut aussi réapprendre à orchestrer le temps collectif. Le présentiel devient plus efficace lorsqu’il s’appuie sur des rituels partagés : réunions d’équipe en début de semaine pour aligner les priorités, moments d’échange informel pour nourrir le lien, temps de feedback collectif pour renforcer la cohésion. Chez Accor, par exemple, les “Monday Syncs” sont devenus un repère hebdomadaire : un temps court, régulier et structurant qui permet à chaque équipe de se reconnecter autour d’objectifs communs.

Ces rendez-vous redonnent du rythme et de la vitalité au collectif. Ils permettent de retrouver le plaisir de la coordination et de la créativité partagée, deux leviers essentiels de l’engagement au travail.

Pas de performance collective sans confiance interpersonnelle

Si la performance collective s’est fragilisée, c’est aussi parce que la confiance s’est appauvrie. Une étude de Great Place to Work (sur 67 000 salariés) montre que dans les entreprises certifiées, 84 % des employés estiment pouvoir compter sur la coopération de leurs collègues — contre 65 % en moyenne dans d’autres structures — ce qui souligne l’importance de la confiance comme levier de performance collective.

Or, le travail à distance a souvent remplacé la confiance interpersonnelle par des indicateurs, des tableaux de bord, une communication numérique de plus en plus asynchrone. On a continué à collaborer, mais avec moins de spontanéité, moins d’écoute, et parfois moins d’empathie. Or, sans confiance, aucun collectif ne peut vraiment se réinventer.

Retisser ce lien passe par la création d’un climat de sécurité psychologique, un concept popularisé par la chercheuse Amy Edmondson à Harvard. Il désigne la capacité d’une équipe à se sentir suffisamment en sécurité pour oser poser des questions, exprimer des doutes ou reconnaître une erreur sans crainte d’être jugée. C’est ce terreau invisible qui permet à la collaboration, à la créativité et à l’apprentissage collectif de prospérer.

Des pratiques simples permettent de renforcer la sécurité psychologique au sein des équipes :

1. Organiser des débriefs d’équipe réguliers

Chez Decathlon, les équipes se retrouvent chaque semaine pour un court “point d’amélioration continue”, où chacun propose une idée pour simplifier un process ou améliorer la satisfaction client. Blablacar pratique le même principe avec son “Friday Debrief”, un moment collectif informel pour partager réussites, difficultés et apprentissages.

2. Créer des cercles de parole

Danone a instauré des “listening circles” animés par des facilitateurs formés à l’écoute active, afin d’offrir aux collaborateurs un espace d’expression sans jugement après la crise sanitaire.

3. Pratiquer le feedback “feedforward”

Chez Microsoft, les traditionnels entretiens annuels ont été remplacés par des “Connects” réguliers centrés sur la progression et l’avenir. L’Oréal, de son côté, forme ses managers à la culture du feedback continu, en valorisant les forces et en formulant des pistes d’évolution positives.

4. Montrer la vulnérabilité managériale

Google encourage ses dirigeants à partager publiquement leurs erreurs ou apprentissages lors des “TGIF meetings”, pour normaliser la transparence et la prise de risque. À la MAIF, les managers sont formés à une posture de leadership authentique, qui assume les doutes et favorise un climat de sincérité. Cette vulnérabilité managériale devient une force : elle ouvre la voie à une parole plus libre.

5. Célébrer les apprentissages autant que les réussites

Chez Airbus, les “Failure Fridays” invitent les équipes à partager leurs échecs et les leçons tirées dans une logique d’apprentissage collectif. Pixar cultive le même esprit avec ses “Notes Days”, où chacun peut exprimer ses retours sans filtre pour améliorer les processus créatifs. Dans les deux cas, l’échec devient source de progrès.

Retisser la confiance, c’est réapprendre à se parler sans crainte, à s’écouter avec bienveillance et à oser coopérer. Mais dans des environnements hybrides et internationaux, il est également essentiel de maîtriser la technologie et de dépasser les barrières que crée le numérique.

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2 jours – En présentiel ou à distance

  • Distinguer les temps collectifs et leur finalité.
  • Développer une posture d’animateur et de facilitateur.
  • Stimuler le travail collectif et la dynamique d’équipe.
  • Favoriser l’engagement et la contribution individuelle.

Dépasser les barrières numériques

Jamais les équipes n’ont été aussi connectées… et pourtant, rarement elles se sont senties aussi fragmentées. Les échanges se multiplient, mais la qualité de la coopération s’érode. Trop de réunions, trop de canaux, trop de notifications : la surcharge informationnelle épuise et brouille les messages..

Réapprendre à coopérer, c’est donc aussi réapprendre à communiquer consciemment. Cela suppose de repenser les usages numériques, de clarifier les canaux de communication et de redonner du sens aux interactions. Mieux vaut moins d’échanges, mais mieux orchestrés, plus clairs et plus utiles.

Plusieurs entreprises ont déjà engagé cette transformation.

  • Orange a instauré une Digital Decency Charter, une charte de “sobriété numérique” précisant les bonnes pratiques : plages de concentration sans sollicitations, réunions limitées à l’essentiel, caméras coupées pour alléger la charge cognitive.
  • Doctolib, de son côté, a formé ses équipes à la conduite de réunions plus efficaces grâce à son programme “Better Meetings”, axé sur la clarté des objectifs, la durée maîtrisée et la qualité d’écoute.

Ces initiatives rappellent qu’une collaboration réussie ne se mesure pas au nombre d’interactions, mais à leur pertinence. Coopérer, ce n’est pas tout partager, c’est choisir ce qui doit être partagé pour avancer ensemble.

En conclusion

La question n’est plus de savoir s’il faut revenir au bureau, mais comment réinventer le collectif. Dans un monde du travail hybride, transverse et multigénérationnel, la coopération devient un savoir-faire stratégique. Les RH et les managers ont désormais un rôle d’architectes du lien : orchestrer les espaces, les temps et les pratiques qui transforment la simple coexistence en véritable collaboration.

 

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