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La réforme 2025 sur le pilotage de la masse salariale et des effectifs dans les EPSCP et ses enjeux pour les établissements
L’année 2024 marquera indéniablement un tournant dans l’histoire budgétaire des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Le décret n° 2024-1108 du 2 décembre 2024 vient enfin concrétiser une évolution attendue depuis plus d’une décennie, depuis l’avènement de la Responsabilité et Compétences Élargies (RCE). Cette réforme, qui entre en vigueur dès le 1er janvier 2025, poursuit un double objectif : d’une part, renforcer la capacité de pilotage budgétaire des établissements en assouplissant leur cadre de gestion, et d’autre part, insister sur le caractère pluriannuel de ce pilotage tout en rénovant les conditions de la soutenabilité financière.
Depuis l’adoption de la loi LRU en 2007 et le passage progressif des universités aux responsabilités et compétences élargies, les établissements ont dû apprendre à gérer de manière autonome leur masse salariale, qui représente leur principale dépense. Cette autonomie s’est révélée à la fois une opportunité et un défi majeur. Si certains établissements ont su développer des outils de pilotage sophistiqués et anticiper les évolutions de leur masse salariale, d’autres ont connu des difficultés nécessitant la mise en place de plans de retour à l’équilibre. Le retour d’expérience de près de dix-sept années d’autonomie a permis d’identifier les points de vigilance et les leviers d’amélioration qui ont inspiré cette réforme.
Une convergence progressive vers le GBCP tout en préservant les spécificités universitaires
Cette réforme s’inscrit dans une trajectoire de modernisation amorcée par la LOLF en 2001, renforcée par le décret GBCP de 2012 et la loi LRU de 2007 qui a ouvert la voie à la RCE. Le nouveau décret de 2024 poursuit cette logique de convergence vers les standards du GBCP, tout en maintenant les spécificités indispensables au bon fonctionnement des EPSCP. Il s’agit de garantir un équilibre entre autonomie de gestion et soutenabilité financière, en reconnaissant les caractéristiques particulières de ces établissements, notamment la part prépondérante de la masse salariale dans leur budget.
L’objectif de convergence vers le GBCP répond à une exigence de cohérence et d’harmonisation au sein de la sphère publique. Le décret GBCP a établi un cadre de référence commun pour l’ensemble des organismes publics, reposant sur des principes de sincérité budgétaire, de transparence et de soutenabilité. Les EPSCP, malgré leurs spécificités, ne pouvaient rester à l’écart de cette dynamique de modernisation. Toutefois, la réforme de 2024 ne procède pas par simple alignement mécanique : elle maintient les adaptations nécessaires au fonctionnement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, tout en renforçant les garde-fous indispensables à leur pérennité financière.
Le remplacement du critère de la perte comptable par trois indicateurs de soutenabilité
L’une des innovations majeures de cette réforme réside dans l’abandon du critère unique de la perte comptable, jugé trop rigide. Ce critère est remplacé par trois indicateurs complémentaires de soutenabilité budgétaire.
Le premier indicateur concerne le niveau final de trésorerie, qui doit être supérieur à 30 jours de fonctionnement en crédits de paiement, hors investissement. Il garantit que l’établissement dispose d’une capacité suffisante pour faire face à ses obligations de court terme, notamment le paiement des salaires et des charges courantes.
Le deuxième indicateur porte sur le niveau final de fonds de roulement, qui doit être supérieur à 15 jours de crédits de paiement hors investissement. L’évolution majeure est qu’à compter de 2025, le fonds de roulement pourra être consommé pour toute nature de dépense : personnel, fonctionnement ou investissement. Cette souplesse accrue constitue une avancée pour les établissements, qui pourront mobiliser leurs réserves de manière plus stratégique, dans le respect des conditions d’équilibre budgétaire.
Le troisième indicateur, le ratio « Dizambourg », impose que les charges de personnel soient inférieures à 83 % des produits encaissables (85 % pour les établissements à dominante sciences humaines et sociales). Cette différenciation reconnaît les spécificités économiques de ces établissements, généralement moins dotés en ressources propres. Les seuils sont définis dans un arrêté conjoint MESR-MESFIN.
Des conséquences majeures sur le déclenchement des plans de retour à l’équilibre financier
Les conditions de déclenchement d’un plan de retour à l’équilibre financier (PREF) évoluent en cohérence avec ces nouvelles modalités d’appréciation de la soutenabilité. Désormais, un PREF pourra être déclenché par le recteur ou le ministre dès lors que l’un des trois critères de soutenabilité n’est pas respecté.
Cette multiplication des critères implique que les établissements devront mettre en place des dispositifs de surveillance et d’alerte plus sophistiqués. Le pilotage budgétaire ne peut plus se limiter à une gestion au fil de l’eau, mais requiert une approche prospective et intégrée, capable d’anticiper les évolutions et de simuler l’impact des décisions sur l’ensemble des indicateurs.
Le risque d’entrer dans un processus de redressement n’est pas anodin. Un PREF s’accompagne de contraintes importantes : obligation de soumettre toute décision importante à l’autorisation préalable, gel de certaines dépenses, report ou annulation de projets. La prévention de ces situations doit donc devenir une priorité stratégique pour les équipes de direction.
Un renforcement nécessaire du pilotage de la masse salariale
Ces nouvelles dispositions ont des conséquences majeures dans le pilotage budgétaire. La principale exigence porte sur la nécessité de maîtriser rigoureusement la masse salariale et son évolution à court, moyen et long terme. Dans un contexte où elle représente généralement 80 à 85 % du budget de fonctionnement, toute dérive compromet rapidement l’équilibre financier global.
Le pilotage de la masse salariale doit s’appuyer sur une connaissance fine des mécanismes d’évolution : glissement vieillesse technicité (GVT), mesures catégorielles, promotions, recrutements, départs en retraite, effets des réformes statutaires. Les outils de projection doivent permettre de simuler différents scénarios et d’évaluer leur impact sur les indicateurs de soutenabilité sur un horizon pluriannuel.
La dimension pluriannuelle du pilotage constitue un changement culturel majeur. Il ne suffit plus de boucler le budget de l’année en cours ; il faut s’assurer que les décisions prises aujourd’hui ne compromettent pas l’équilibre des années futures. Cette exigence de soutenabilité intertemporelle impose une discipline collective et une capacité à résister aux pressions de court terme.
Le rôle central du contrôle interne dans la sécurisation du pilotage
Pour répondre à ces exigences accrues, les établissements devront renforcer leurs dispositifs de contrôle interne, tant RH que financier. Le contrôle interne de la rémunération devient crucial : chaque erreur de paie, chaque régularisation tardive, chaque anomalie non détectée peut compromettre le respect des ratios de soutenabilité.
Les processus de recrutement constituent une source potentielle majeure de dérive budgétaire. Chaque décision de recrutement doit faire l’objet d’une analyse d’impact pluriannuel, intégrant le coût direct de la rémunération, les évolutions prévisibles liées au GVT, aux promotions potentielles et aux charges patronales. La mise en place de procédures de validation rigoureuses, associant les services RH, les directions financières et les responsables de composantes, devient indispensable.
Le suivi des effectifs constitue un autre élément clé. La multiplicité des situations individuelles (titulaires, contractuels, temps complets, temps partiels, détachements, mises à disposition) rend ce suivi particulièrement complexe. La fiabilisation des données RH, leur rapprochement avec les prévisions budgétaires et leur consolidation régulière doivent faire l’objet de procédures formalisées et de contrôles périodiques.
Les établissements devront également développer une cartographie des risques spécifiquement orientée vers les enjeux de soutenabilité. Cette cartographie permettra d’identifier les processus les plus critiques et de concentrer les efforts de contrôle sur les zones à risque. Les risques budgétaires liés aux ressources humaines devront faire l’objet d’une attention particulière : défaut de pilotage de l’enveloppe masse salariale, inadéquation entre recrutements et ressources disponibles, erreurs dans les prévisions d’évolution de la masse salariale, insuffisance des systèmes d’information pour le pilotage RH.
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Vers une gestion financière plus souple et plus responsable
Cette réforme ouvre également des perspectives positives. L’assouplissement du cadre de gestion, notamment la possibilité de mobiliser le fonds de roulement pour différentes natures de dépense, offre une marge de manœuvre pour financer des projets stratégiques ou faire face à des situations exceptionnelles. Le conseil d’administration pourra autoriser un prélèvement sur la trésorerie et sur le fonds de roulement, lorsque cela sera nécessaire et possible, au vu des critères de soutenabilité.
Cette souplesse accrue s’accompagne d’une responsabilité renforcée. Les équipes dirigeantes devront développer une culture du pilotage budgétaire, s’appuyant sur des outils de projection fiables, des tableaux de bord actualisés et une capacité à prendre des décisions stratégiques éclairées. La professionnalisation des fonctions financières et RH devient un enjeu majeur. La réforme s’accompagne également d’une simplification des régimes financiers des établissements publics administratifs (EPA) associés.
Conclusion : une réforme structurante qui appelle une transformation managériale
Le décret du 2 décembre 2024 marque une étape importante dans la maturation du modèle de gestion des EPSCP. Dix-sept ans après la loi LRU et l’introduction de la RCE, cette réforme tire les enseignements de l’expérience accumulée et propose un cadre à la fois plus souple et plus exigeant. Elle reconnaît l’autonomie des établissements tout en renforçant les garde-fous nécessaires à la préservation de leur soutenabilité financière.
La réussite de cette réforme dépendra de la capacité des établissements à s’approprier ces nouvelles règles et à transformer leurs pratiques de pilotage. Elle suppose une mobilisation de l’ensemble des acteurs : équipes de direction, services financiers, directions des ressources humaines, responsables de composantes et instances de gouvernance. Elle nécessite également des investissements dans les systèmes d’information, dans la formation des personnels et dans le développement d’une véritable culture du contrôle interne et du pilotage budgétaire.
Les systèmes d’information des ressources humaines (SIRH) devront être particulièrement robustes et fiables. Ils constituent l’infrastructure technologique sur laquelle repose l’efficacité du pilotage de la masse salariale. Les établissements qui n’ont pas encore modernisé leurs outils devront accélérer cette transition.
Les établissements qui sauront relever ce défi disposeront d’une capacité de pilotage renforcée, d’une meilleure visibilité sur leur trajectoire financière et d’une plus grande sérénité dans la conduite de leurs projets stratégiques. Ceux qui tarderont à s’adapter s’exposeront au risque d’un redressement contraint. L’enjeu de cette réforme dépasse largement les aspects techniques : il s’agit de la pérennité même du modèle d’autonomie universitaire conquis au cours des deux dernières décennies.