Partager la publication "Liberté de la preuve et loyauté de l’employeur public dans le contentieux disciplinaire"
Contexte de l’affaire
Dans cette affaire récente, la sanction disciplinaire d’une agente, auxiliaire de puériculture dans une garderie municipale, fondée sur des images de vidéosurveillance, permet de faire le point sur ce procédé et, plus largement, sur l’admissibilité des modes de preuves dans le contentieux de la discipline des agents publics.
La contestation de l’agent
En l’espèce, devant les juridictions administratives, l’agente soutenait que « la commune avait utilisé des preuves illégales pour prendre une sanction à son encontre »
Puisqu’il appartient à l’administration d’établir la réalité des faits qui fondent sa décision d’infliger une sanction (Conseil d’État, 22 décembre 1976, n° 96271), la question s’était déjà posée auparavant, de savoir si l’administration pouvait avoir recours à tout procédé, même illégal ou déloyal, pour établir la preuve de ces faits.
Évolution jurisprudentielle
Avant de dégager une solution de principe en 2014, le juge administratif a pu rendre quelques décisions dont l’orientation générale tendait à prévalence de la liberté de la preuve : à titre d’exemple, la circonstance qu’un tribunal se soit fondé sur un document confidentiel obtenu par vol n’avait eu pas d’incidence sur la régularité d’un jugement.
Conseil d’État 8 novembre 1999, Élection cantonale de Bruz, n°201966
La décision de 2014 sur l’admissibilité des preuves
Mais c’est en 2014 que le Conseil d’État a été amené à trancher solennellement la question de l’admissibilité des preuves recueillies au moyen de procédés illégaux ou déloyaux dans le contentieux de la discipline des agents publics (CE, 16 juillet 2014, n°355201)
Dans cette affaire, afin d’établir qu’un de ses agents exerçait sans autorisation, en lien avec son épouse, une activité lucrative privée par l’intermédiaire de deux sociétés, la commune avait confié à une agence de détectives privés le soin de réaliser des investigations dans le but « de mettre en évidence les activités professionnelles du couple et d’en administrer les preuves par des surveillances ».
Rappel des obligations de l’administration
Dans sa décision, le Conseil d’État rappelait d’abord « qu’en l’absence de disposition législative contraire, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire, à laquelle il incombe d’établir les faits sur le fondement desquels elle inflige une sanction à un agent public, peut apporter la preuve de ces faits devant le juge administratif par tout moyen ».
Sans aller jusqu’à dégager un nouveau principe général de loyauté dans l’administration de la preuve en droit administratif, le Conseil nuançait toutefois sa position précisant que « tout employeur public est tenu, vis-à-vis de ses agents, à une obligation de loyauté ; qu’il ne saurait, par suite, fonder une sanction disciplinaire à l’encontre de l’un de ses agents sur des pièces ou documents qu’il a obtenus en méconnaissance de cette obligation, sauf si un intérêt public majeur le justifie ».
Le rôle de l’espace public dans l’admissibilité des preuves
Arbitrant la conciliation du principe de liberté de la preuve qu’il affirmait alors avec l’obligation de loyauté incombant à tout employeur public vis-à-vis de ses agents, le juge considérait qu’en l’espèce, la filature avait donné lieu à un «rapport reposant sur des constatations matérielles du comportement de l’agent mis en cause à l’occasion de son activité et dans des lieux ouverts au public et que de tels constats ne traduisaient pas un manquement de la commune à son obligation de loyauté vis-à-vis de l’intéressé. Partant, ce document pouvait légalement constituer le fondement de la sanction disciplinaire litigieuse.
Ici, le caractère « ouvert au public » des lieux dans lesquelles les constatations avaient été faites par l’agence de détectives privés des manquements de l’agent semble avoir constitué un critère de taille dans l’admissibilité des preuves ainsi recueillies.
Référence à la jurisprudence récente
On retrouvait ce critère tenant au caractère public des informations relatives à l’agent mis en cause ou à son comportement dans un arrêt de la Cour administrative de Bordeaux rendu en 2021 : « l’intéressée, dont la version des faits a évolué au cours de l’enquête administrative, s’est prévalue de l’existence d’un témoin direct présenté comme une inconnue alors qu’elle faisait partie de ses “amis” sur le réseau social Facebook. Il ressort des pièces du dossier, notamment des captures d’écran produites par le département, que cette information était susceptible d’être appréhendée par toute personne se connectant au profil de Mme E., son “mur» sur lequel elle figurait étant d’accès public ».
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 11 octobre 2021, n°19BX03567
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Utilisation des éléments publics par l’administration
Il s’en concluait que l’administration est en droit d’utiliser des éléments diffusés publiquement par l’un de ses agents sur ses réseaux sociaux pour prouver la matérialité des faits qui lui sont reprochés. Dès lors que les informations en cause sont rendues publiques et susceptibles d’être appréhendées par toute personne, l’administration peut les utiliser pour fonder le prononcé d’une sanction disciplinaire sans contrevenir à la loyauté qui lui incombe, comme à tout employeur public, à l’égard de son agent.
C’est ainsi que, logiquement, pour la CAA de Marseille dans l’arrêt qui nous occupe : « Les images extraites d’un système de vidéosurveillance disposé sur la voie publique, constituent des éléments de preuve qui, n’ayant pas été obtenus par des stratagèmes ou des procédés déloyaux, peuvent légalement être utilisés pour établir la réalité des faits retenus à son encontre ».
Dans une affaire similaire, la CAA de Marseille avait déjà jugé que « la vidéosurveillance, disposée sur la voie publique, peut légalement être utilisée pour établir des faits ayant justifié une sanction disciplinaire à l’encontre d’une agente de la commune ».
Cour administrative d’appel de Marseille, 4 mars 2021, n°19MA04107