Télétravail : un avenir en sursis ?

L'exercice d'une activité professionnelle effectuée en tout ou partie à distance du lieu où le résultat du travail est attendu, ou télétravail, s’est beaucoup développé depuis les années 80, favorisé en cela par les technologies de l'information et de la communication (Internet, téléphonie mobile,…). Récemment, la pandémie liée au COVID 19 a accéléré cette transformation des modalités d’exécution du travail. Pour les salariés, le télétravail permet un meilleur équilibre vie personnelle-vie professionnelle. Pour autant, plusieurs entreprises ont récemment décidé de revenir, totalement ou partiellement, sur le télétravail, au motif, notamment, qu’il conduit à un isolement des équipes, une baisse de l’engagement des employés,... Ces aspirations contradictoires sont l’occasion pour nous de faire le point sur cette modalité d’exercice des fonctions, et sa… suppression éventuelle.

Télétravail : un avenir en sursis ?
Télétravail : entre liberté et contraintes, son avenir reste incertain.

Comment le télétravail est-il mis en place ?

Si l’employeur souhaite proposer du télétravail aux salariés, il peut le mettre en place selon plusieurs modalités :

  • par accord collectif conclu avec les organisations syndicales, ou par le biais d’une charte élaborée unilatéralement. Dans ce cas, l’accord collectif ou la charte doit comporter un certain nombre de mentions : les modalités d’acceptation par le salarié des conditions de mise en œuvre du télétravail, les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail, la détermination des plages horaires durant lesquelles l’employeur peut habituellement contacter le salarié en télétravail, les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail (clause d’adaptation et de réversibilité), les modalités d’accès des salariées enceintes à une organisation en télétravail… Il est à noter que le Comité Social et Économique doit être consulté sur le projet d’accord ou de charte ;
  • par accord individuel entre l’employeur et le salarié, formalisé par tout moyen (trav., art. L. 1222-9), c’est-à-dire classiquement par le biais d’un avenant au contrat de travail.

L’employeur peut-il refuser l’accès au télétravail à des salariés ?

Oui, mais pas dans n’importe quelles conditions :

  • si le recours au télétravail est prévu par accord collectif ou charte unilatérale, l’employeur ne peut refuser d’accorder le télétravail à un salarié occupant un poste permettant d’en bénéficier qu’après avoir justifié son refus ; 
  • si aucun accord collectif ou charte unilatérale n’a mis en place le télétravail, l’employeur n’a pas l’obligation d’accéder à une demande en ce sens d’un salarié. La réglementation ne prévoit en effet aucun droit généralisé au télétravail au bénéfice de l’ensemble des salariés. Le télétravail est d’ailleurs incompatible avec l’exercice de certaines professions (dans l’agriculture ou le commerce par exemple). Toutefois, certains cas nécessitent, là aussi, de justifier un éventuel refus :  
    • si la demande est formulée par un salarié handicapé ou un salarié aidant d’un enfant, d’un parent ou d’un proche, l’employeur ne peut la refuser que s’il motive sa décision (C. trav., art. L. 1222-9), par des problèmes d’effectif dans l’entreprise par exemple ;
    • En cas d’inaptitude du salarié à occuper son poste, le médecin du travail peut préconiser le télétravail, et, dans ce cas, l’employeur doit étudier la possibilité pour le salarié de télétravailler : il ne peut le licencier pour impossibilité de reclassement qu’après avoir effectué cette recherche (Cass. soc., 15 janv. 2014, n°11-28.898). En outre, l’employeur ne peut refuser la mise en place du télétravail préconisé par le médecin du travail au titre d’un aménagement du poste au seul motif que le salarié a refusé une visite de son domicile par l’employeur : dans un cas où l’employeur, avant d’accéder à la demande de télétravail formulée par le médecin du travail, souhaitait visiter le domicile du salarié pour s’assurer qu’il respectait les règles de sécurité et les conditions de travail, la cour de cassation a posé en principe que, le domicile relevant de la vie privée, le salarié pouvait s’opposer à une telle visite, et que ce refus ne constitue pas pour l’employeur un motif valable pour s’opposer à la demande du médecin du travail (Cass. soc., 13 nov. 2025, n°24-14.322). 

Quels équipements doivent être fournis au télétravailleur ?

Les équipements nécessaires au télétravail doivent être fournis par l’employeur (ordinateur portable, écran, casque,…).

De manière plus exceptionnelle, le télétravail peut être organisé avec des équipements appartenant au salarié, mais dans ce cas, l’employeur devra verser une indemnité au salarié.

Par ailleurs, il convient de s’assurer que le télétravailleur est couvert par une assurance pour les dommages créés à son domicile. La plupart des accords d’entreprise précisent que le télétravailleur doit fournir une attestation d’assurance habitation.

Le télétravail génère-t-il des droits à indemnités particulières au bénéfice des salariés ?

Oui, à plusieurs titres :

  • l’employeur doit prendre en charge les frais professionnels lorsque le télétravailleur utilise son propre matériel à titre professionnel (abonnement téléphonique,…). De même, il doit prendre en charge les frais d’adaptation du local, les coûts liés à l’entretien, à la perte ou à la détérioration des équipements de travail et des données utilisées dans le cadre du télétravail, l’achat de consommables. Si l’employeur verse une allocation forfaitaire au télétravailleur, celle-ci est réputée utilisée conformément à son objet et exonérée de cotisations et contributions sociales dans une certaine limite globale (10 euro(s) par mois pour un salarié effectuant une journée de télétravail par semaine). Si le montant versé par l’employeur dépasse ces limites, l’exonération de charges sociales peut être admise, à condition de justifier de la réalité des dépenses professionnelles supportées par le salarié ;
  • le salarié a droit à une indemnité d’occupation du domicile : la cour de cassation pose en effet en principe que l’occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans sa vie privée, de sorte que le salarié peut prétendre à une indemnité à ce titre dès lors qu’un local professionnel n’est pas mis effectivement à sa disposition ou qu’il a été convenu que le travail s’effectue sous la forme du télétravail (Cass. soc., 19 mars 2025, n° 22-17.315). La difficulté est d’évaluer l’indemnité liée à l’occupation du domicile. Selon la jurisprudence, le montant de l’indemnité d’occupation dépend de l’importance de la sujétion, notamment du temps passé à travailler à son domicile et de l’espace affecté pour les besoins de l’activité professionnelle.

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Le salarié peut-il télétravailler de n’importe où ?

Le Code du travail ne prévoit rien sur le sujet. Il peut donc être tentant d’exercer le télétravail depuis sa résidence secondaire, pour concilier vie professionnelle et cadre de vie agréable. Il convient toutefois d’être vigilant en la matière, télétravail ne signifiant pas liberté totale de choix du lieu d’exercice : 

  • le lieu d’exercice du télétravail peut être prévu par l’accord ou la charte portant sur le télétravail, ou, à défaut le contrat de travail. Dans ce cas, il convient de se conformer à ce qui est prévu par ce document. L’employeur peut très bien exiger que le télétravail soit exercé à partir de la résidence principale du salarié (par exemple, pour favoriser un retour rapide sur le lieu de travail en cas d’urgence). Le fait de ne pas se conformer à ce qu’a autorisé l’employeur et de partir télétravailler dans une résidence secondaire expose le salarié à des sanctions qui peuvent aller du simple avertissement à un licenciement pour faute.
  • Si l’accord, la charte ou le contrat de travail ne prévoit rien en ce qui concerne le lieu d’exercice du télétravail, le salarié est libre, dans une certaine mesure, de télétravailler d’où il veut.  Il convient en effet d’être « raisonnable » dans le choix du lieu du télétravail, notamment si le salarié veut télétravailler depuis l’étranger, ce qui peut soulever des problématiques au regard de l’éloignement géographique du salarié. Il est à noter toutefois qu’une décision récente a posé en principe que le télétravail effectué depuis l’étranger ne pouvait caractériser un motif de licenciement dès lors que l’employeur savait que le salarié travaillait à son domicile situé à l’étranger et qu’il n’avait pas clairement marqué son opposition ni adressé de rappel à l’ordre. En outre, aucun accord collectif ou charte ne prévoyait l’obligation pour le salarié d’exercer son travail dans un endroit précis (CA Paris, 4 avr. 2024, n° 21/09585). En revanche, il a été jugé qu’un salarié ayant télétravaillé à l’étranger sans autorisation de son employeur peut voir son contrat de travail rompu pour faute grave. En l’espèce, le licenciement était justifié au regard de la gravité de la faute commise par la salariée, à savoir son refus répété de se conformer à la demande de son employeur de revenir travailler en présentiel, le fait qu’elle ait dissimulé qu’elle télétravaillait à l’étranger et les risques juridiques et fiscaux encourus par l’entreprise (C. prudh. Paris., 1er août 2024, n°21106451).

Est-il possible de mettre fin au télétravail ?

Oui. D’ailleurs, depuis un an environ, plusieurs entreprises (Société Générale, Amazon,…) ont envisagé la fin du télétravail. Les raisons avancées tiennent, notamment, au fait que le travail en présentiel favoriserait l’innovation, et que les employés seraient moins performants en l’absence de supervision directe.   

  • Les conditions de retour à une exécution de travail sans télétravail doivent être prévues dans l’accord collectif ou la charte sur le télétravail, par le biais d’une clause de réversibilité. Cette clause peut ainsi énumérer les situations autorisant la fin du télétravail, instaurer un délai de prévenance, prévoir le formalisme à adopter,… En pratique, la clause de réversibilité peut prévoir différents cas dans lesquels il sera mis fin au télétravail :
    • il est possible de prévoir la fin du télétravail à la demande de l’une des parties moyennant un délai de prévenance et selon un certain formalisme ;
    • la clause peut prévoir que la fin du télétravail sera subordonnée à l’accord de l’autre partie, hors le cas où le salarié peut faire jouer la priorité d’un emploi vacant sans télétravail correspondant à sa qualification et à ses compétences ;
    • enfin, la clause peut énumérer des situations où la fin du télétravail sera automatique (par exemple, en cas de déménagement du salarié, de  restructuration de l’entreprise…).

En tout état de cause, dès lors que les conditions, telles que prévues par la clause ou la charte pour mettre fin au télétravail, sont remplies, le salarié n’a pas d’autre choix que de s’y conformer : son refus de revenir travailler en présentiel serait constitutif d’une insubordination, qui justifie une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Enfin, si d’aventure, l’accord ou la charte sur le télétravail n’a pas prévu de clause de réversibilité, l’employeur qui entend revenir sur le télétravail doit engager une renégociation avec les organisations syndicales, ou modifier la charte unilatérale sur ce point, mais il ne peut le faire qu’après consultation du CSE (s’il existe).

  • En dehors des situations visées par la clause de réversibilité, lorsque le télétravail est régulier et constitue une condition d’embauche, l’employeur n’a pas le pouvoir de revenir, sans l’accord du salarié, sur un mode d’organisation qu’il a accepté (Cass. soc., 12 févr. 2014, n° 12-23.051).

Au-delà de ces aspects purement juridiques, il convient toutefois d’être prudent avant de prendre la décision de mettre fin purement et simplement au télétravail. La fin du télétravail peut être perçue comme un véritable recul par rapport aux précédents acquis, et entraîner des mouvements sociaux (comme ça a été le cas à la Société Générale ou chez Ubisoft). Par ailleurs, les salariés sont fortement attachés à ce mode d’exécution du travail, et les conditions de travail demeurent un critère majeur, surtout pour la jeune génération : les entreprises qui envisagent la suppression du télétravail pourraient s’exposer à des difficultés de recrutement. D’ailleurs, selon une étude de l’Apec de mars 2025, 82 % des cadres s’opposent à la suppression du télétravail, et 50 % envisageraient de quitter leur entreprise si cette possibilité disparaissait !

Quels sont les droits ou garanties particuliers dont bénéficient les télétravailleurs ?

D’une manière globale, les salariés en télétravail bénéficient des mêmes droits que les salariés qui exercent leurs missions dans l’entreprise en vertu du principe d’égalité de traitement. Ce principe d’égalité de traitement a d’ailleurs conduit récemment la cour de cassation à préciser que l’employeur ne peut refuser l’octroi de titres-restaurant à des salariés au seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail : l’employeur a donc été condamné à payer au salarié exerçant son activité en télétravail un rappel de salaire au titre des tickets restaurant (Cass. soc., 8 oct. 2025, n°24-12.373).

Par ailleurs, les accidents survenus durant les plages horaires de télétravail définies dans l’accord collectif ou la charte bénéficient d’une présomption d’accident du travail (C. trav., art. L. 1222-9 ). Dans ce cadre, il a été jugé que la salariée en télétravail, victime d’un accident pendant sa pause déjeuner, doit bénéficier de la présomption d’imputabilité dès lors que, même si l’accident s’est  produit en dehors des heures strictes de travail, la pause déjeuner est considérée comme une interruption légale de courte durée et est donc assimilée à une période d’activité professionnelle (CA Amiens, 2 sept. 2024, n° 23/00964). 

L’acte qui met en place le télétravail (accord collectif, charte unilatéral ou contrat de travail) doit préciser les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail.

Pour conclure…

Le télétravail reste une modalité d’exécution du travail fort appréciée des salariés : entre 2019 et 2023, la part des personnes salariées pratiquant le télétravail au moins occasionnellement est passée de 9 % à 26 % d’après une étude du ministère du travail. Selon cette même étude, environ un tiers des salariés souhaitent continuer ou commencer à télétravailler. Dans ces conditions, il semble difficile d’envisager de revenir à une organisation basée uniquement sur du présentiel. Les entreprises qui négocient actuellement sur le télétravail semblent davantage mues par la volonté de mieux encadrer la pratique du télétravail que par la volonté de le supprimer purement et simplement.

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