Partager la publication "Hiérarchie des normes en droit du travail : guide pratique pour les RH"
Comprendre la hiérarchie des normes en droit social
Rappel des sources du droit applicables en entreprise :
1. Le bloc de constitutionnalité
Au sommet de la hiérarchie interne, le bloc de constitutionnalité est constitué :
- de la Constitution de 1958[1] ;
- du Préambule de 1946[2] ;
- de la Déclaration des droits de l’homme de 1789[3] ;
- de la Charte de l’environnement[4].
Cet ensemble de principes fondamentaux concerne notamment en droit du travail :
- la liberté syndicale ;
- le droit de grève ;
- l’égalité entre salariés.
2. Les normes européennes et internationales
L’Union européenne veille également à uniformiser les principes fondamentaux et réglementations en vigueur concernant le droit du travail entre les différents pays adhérents.
Bien que la plupart des dispositions applicables ne viennent pas contredire la réglementation déjà en vigueur sur notre territoire, il est bon de rappeler que les lois françaises doivent respecter le droit de l’Union européenne. Ce dernier est principalement constitué :
- des conventions internationales, notamment celles de l’OIT (ex. : sur la liberté syndicale ou bien encore la non-discrimination) ;
- des règlements européens (application directe sans transposition en droit interne) ainsi que des directives européennes (nécessite une transposition préalable en droit interne afin d’être applicables) ;
- de la jurisprudence de la CJUE qui — bien que non contraignante en soi — apporte une influence suffisamment importante pour guider l’interprétation du droit du travail en France.
3. Les dispositions législatives et réglementaires
Le Code du travail constitue le socle principal qui régit les relations entre employeurs et salariés.
Ce dernier fixe les règles générales et d’ordre public en matière de durée du travail, de santé et de sécurité, de représentation du personnel, de congés, etc.
D’autres dispositions législatives concernant le droit social sont réparties dans différents codes. Par exemple :
- le Code de la sécurité sociale qui fixe les règles concernant la protection sociale des salariés (cotisations, affiliation, prestations, accidents du travail et maladies professionnelles…) ;
- le Code pénal qui établit la responsabilité pénale d’un accusé dans le cadre d’une relation de travail (harcèlement moral ou sexuel, discrimination, travail dissimulé, atteinte aux libertés fondamentales…).
4. Les accords collectifs : branche et entreprise
Les conventions et accords collectifs viennent préciser ou compléter les règles et principes précédemment évoqués.
Les conventions de branche définissent un cadre réglementaire dans un secteur d’activité déterminé. Elles concernent généralement l’établissement d’un salaire minimum, les classifications, l’égalité professionnelle, etc.
Depuis les ordonnances Macron de 2017, les accords d’entreprise ont une primauté sur les conventions de branche dans la majorité des domaines (temps de travail, primes, organisation interne…). Ce constat vaut également lorsqu’un accord d’entreprise prévoit des dispositions moins favorables aux salariés qu’une convention de branche. L’objectif ici est de permettre aux entreprises de s’adapter aux réalités du marché.
Attention : les accords d’entreprise ne peuvent prévaloir face aux conventions collectives de branche lorsqu’il s’agit de dispositions contenues dans le bloc de compétence réservé à la branche professionnelle (cf. art. L.2253-1 du Code du travail).
5. Usages et règlements intérieurs
Les usages proviennent de pratiques courantes et constantes dans l’entreprise (ex. : versement d’une prime annuelle). Ils sont généralement favorables aux salariés et s’appliquent tant qu’ils ne sont pas dénoncés.
Le règlement intérieur quant à lui est obligatoire dans les entreprises de 50 salariés et plus. Ce document fixe les règles de discipline, d’hygiène et de sécurité.
6. Le contrat de travail
Le contrat de travail établit un cadre normatif individuel pour chaque salarié. Ce dernier doit respecter toutes les normes supérieures (loi, convention, accord).
Toutefois, un contrat de travail peut prévoir des dispositions plus favorables pour le salarié (ex. : salaire supérieur au minimum conventionnel, jours de congés supplémentaires).
Il s’agit ici de l’application du principe de faveur qui protège les droits individuels dans l’articulation avec les normes collectives.
La logique de l’articulation des normes après les ordonnances Macron (2017)
La primauté de l’accord d’entreprise : un principe général
Depuis les ordonnances Macron de septembre 2017, l’accord d’entreprise occupe une place centrale dans la hiérarchie des normes.
En d’autres termes, un accord d’entreprise peut désormais primer sur un accord de branche, même si ce dernier est moins favorable aux salariés.
Il s’agit ici d’une inversion des normes, ayant pour objectif d’apporter plus de flexibilité aux entreprises.
Le rôle résiduel de la convention de branche : des zones de blocage et des règles supplétives
Les conventions de branche conservent toutefois leur primatie face aux accords d’entreprise concernant des blocs de compétences réservés. Il s’agit de 13 thèmes de compétence listés par l’article L.2253-1 du Code du travail :
- Les salaires minima hiérarchiques ;
- Les classifications professionnelles ;
- La mutualisation des fonds de financement du paritarisme ;
- La mutualisation des fonds de la formation professionnelle ;
- Les garanties collectives complémentaires mentionnées ;
- Les mesures relatives à la durée du travail, à la répartition et à l’aménagement des horaires ;
- Les mesures relatives aux contrats de travail à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire ;
- Les mesures relatives au contrat à durée indéterminée de chantier ou d’opération ;
- L’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ;
- Les conditions et les durées de renouvellement de la période d’essai ;
- Les modalités de poursuite des contrats de travail entre deux entreprises lorsque les conditions d’application de transfert des contrats ne sont pas réunies ;
- Les mises à disposition d’un salarié temporaire auprès d’une entreprise utilisatrice ;
- La rémunération minimale du salarié porté, ainsi que le montant de l’indemnité d’apport d’affaire en portage salarial.
Pour les autres cas qui ne sont pas spécifiquement mentionnés dans cet article, les conventions de branche jouent un rôle supplétif. Leurs dispositions ne s’appliquent que si aucun accord d’entreprise n’a été approuvé au sein de l’entreprise.
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Les conflits de normes : exemples pratiques et jurisprudences en vigueur
Exemples de conflits fréquents
Accord d’entreprise vs convention de branche
Un cas fréquent concerne l’articulation entre un accord d’entreprise et une convention de branche. Par exemple, une convention de branche peut prévoir une prime de résultats tandis qu’un accord d’entreprise souhaite ne pas l’appliquer.
Depuis les ordonnances Macron de 2017, l’accord d’entreprise peut prévaloir sur une convention de branche dans de nombreux domaines, exception faite concernant les blocs de compétences réservés à la branche professionnelle.
En l’occurrence, l’application d’une prime de résultats ne fait pas partie des blocs de compétences réservés à la branche professionnelle. De ce fait, un accord d’entreprise peut supprimer le versement de cette prime.
Contrat de travail vs accord collectif
Une autre situation litigieuse peut concerner un contrat de travail contenant un avantage individuel (ex. : 2 jours de congés supplémentaires) face un nouvel accord collectif qui supprime cet avantage.
Selon la hiérarchie des normes, l’accord collectif s’impose. Cependant, les avantages individuels acquis au sein d’un contrat de travail sont protégés selon l’application du principe de faveur. De ce fait, le salarié concerné peut continuer à bénéficier de cet avantage.
À noter qu’il existe 2 exceptions à l’application du principe de faveur :
- l’accord collectif ou le contrat de travail concerné ne peut déroger aux dispositions d’ordre public ;
- des dispositions moins favorables pour le salarié contenues dans un accord d’entreprise peuvent primer sur celles d’un contrat de travail lorsqu’elles sont justifiées par les nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou par la volonté de préserver et développer l’emploi.
Ce sera donc au conseil de prud’hommes le cas échéant d’apprécier le caractère nécessaire de l’application de dispositions moins favorables au salarié en cas de litige.
Point de vue sur des jurisprudences récentes
La primauté d’un accord d’entreprise sur la convention de branche
La Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 mars 2025[5] a rappelé qu’un accord d’entreprise prime sur la convention de branche lorsqu’il porte sur une matière hors blocs réservés à la branche professionnelle (art. L. 2253-1 du Code du travail).
En revanche, il ne peut déroger à une convention de branche dans un sens défavorable au salarié.
Un accord d’entreprise justifiant une différence de traitement entre les salariés
Un arrêt du 5 février 2025 de la chambre sociale de la Cour de cassation[6] a validé un accord d’entreprise qui instaurait une différence de traitement entre les salariés d’une même entreprise. Ces différences de traitement sont ici présumées justifiées jusqu’à preuve contraire, sans que l’entreprise ait besoin de justifier de cette inégalité entre salariés.
De ce fait, cette jurisprudence confirme la marge de manœuvre désormais laissée aux entreprises en ce qui concerne les nécessités liées à leur fonctionnement, notamment lors d’une période de transition (ex. : fusion-acquisition).
Pratiques RH pour sécuriser les accords collectifs et contrats de travail
Vérifier les dispositions de la convention collective applicables à l’entreprise
Avant toute négociation, les RRH sont invités à identifier la convention collective applicable à l’entreprise ainsi que les 13 blocs réservés à la branche professionnelle et listés au sein du Code du travail (art. L.2253-1).
Cette étape permet de déterminer :
- les domaines où un accord d’entreprise ne peut pas déroger aux accords de branche (les 13 thèmes de compétences pour lesquels une convention de branche prime sur un accord d’entreprise) ;
- les dispositions supplétives de la convention de branche qui s’appliquent uniquement en l’absence d’accord d’entreprise.
Cette vérification est indispensable pour éviter la conclusion d’accords internes invalides ou susceptibles d’interprétations litigieuses.
Faire une cartographie des usages existants dans l’entreprise
Les usages internes à l’entreprise doivent être répertoriés avant la rédaction d’un accord d’entreprise. Il peut s’agir par exemple de l’octroi de primes de résultats, de congés spécifiques ou d’avantages liés au télétravail.
Cette étape préalable permet :
- d’identifier les avantages déjà acquis par les salariés pour maintenir un climat social satisfaisant en cas de négociation d’un nouvel accord d’entreprise ;
- de déterminer quelles pratiques peuvent être maintenues, adaptées ou supprimées pour rester conformes à la loi.
Interpréter le principe de faveur
En cas de conflit dans l’application de différentes normes, la norme la plus avantageuse pour le salarié est retenue selon le principe de faveur et sauf exceptions précédemment mentionnées.
Les RRH doivent ainsi vérifier que :
- les clauses intégrées dans l’accord d’entreprise et le contrat de travail ne sont pas moins favorables pour le salarié que les dispositions légales et la convention de branche ;
- les dérogations envisagées ne concernent pas les blocs de compétences réservés à la convention de branche et sont conformes aux dispositions d’ordre public.
En suivant cette méthodologie, les RRH sécurisent les accords et contrats conclus en interne, en préservant une certaine marge de manœuvre pour l’entreprise.
Si vous souhaitez mener à bien vos négociations sociales en préservant le climat social et en respectant le cadre juridique en vigueur, vous pouvez suivre notre formation GERESO négociation sociale d’entreprise.
Ainsi, la hiérarchie des normes en droit social est loin d’être figée. Entre les évolutions constantes en droit européen et les politiques en droit interne souhaitant redynamiser nos entreprises, cette hiérarchie peut se renverser selon les domaines concernés.
Comprendre cette articulation entre dispositions législatives, accords collectifs, usages et contrat de travail constitue ainsi un levier stratégique pour le secteur RH et les dirigeants. En effet, tout l’enjeu réside dans l’anticipation des évolutions jurisprudentielles et le juste équilibre entre souplesse et conformité pour sécuriser les accords internes et soutenir la performance sociale de l’entreprise.
Références :
- Texte intégral de la Constitution du 4 octobre 1958 en vigueur. (s. d.). Conseil Constitutionnel.
- Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. (s. d.). Conseil Constitutionnel.
- Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. (s. d.). Conseil Constitutionnel.
- Charte de l’environnement. (s. d.). Légifrance.
- Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 5 mars 2025, 22-21.359, Inédit. (2025, 5 mars). Légifrance.
- Cour de cassation, Chambre sociale, 5 février 2025, 22-24.000. (2025, 5 février). Légifrance.