Partager la publication "Écologie de l’attention : le nouveau levier de performance en entreprise"

I. Comprendre l’écologie de l’attention en entreprise
1. L’attention, une ressource inestimable… et limitée
En 1971, le psychologue et économiste Herbert Simon formulait déjà la phrase suivante : « Dans un monde riche en information, l’abondance d’information entraîne la pénurie d’une autre ressource : (…) l’attention de ses receveurs ». Il souligne ici un fait essentiel : l’attention est une ressource limitée. En effet, nous ne disposons que d’une quantité prédéterminée de « temps de cerveau » pour le deep work, ces missions qui nécessitent une concentration optimale.
Or, dans le monde professionnel actuel, ce « temps de cerveau disponible » est constamment parasité par le multitasking. Chaque fois que nous passons d’une tâche à une autre, cela a un coût : perte de concentration, hausse du stress, baisse de la qualité du travail, etc. Le cerveau humain n’est pas conçu pour mener plusieurs activités complexes simultanément… Et c’est notre attention qui en fait les frais.
2. De l’économie à l’écologie de l’attention
Cette idée a ensuite été développée en 2014 par Yves Citton, dans son livre au titre évocateur L’Économie de l’attention : nouvel horizon du capitalisme ?. Il fait écho au terme « société de l’attention » dans laquelle nous évoluons tous aujourd’hui, notamment avec l’avènement du digital.
Citton parle d’économie de l’attention pour désigner ce système où notre attention devient une réelle marchandise. Les entreprises du numérique cherchent à maximiser le temps passé devant les écrans, et cette configuration se joue à la fois dans le côté personnel et professionnel. Conséquence : une concentration constamment fragmentée, qui altère notre capacité à réfléchir.
Citton propose alors de cultiver l’attention au lieu de la consommer. Il nous invite à la considérer comme un bien à protéger au même titre que l’environnement ou la santé mentale. C’est un enjeu que les entreprises ne peuvent plus ignorer si elles souhaitent favoriser une productivité durable et un véritable bien-être au travail.
3. L’attention au cœur du collectif
S’il est vrai que l’attention est une faculté individuelle, il ne faut pas oublier qu’elle se déploie également dans un cadre collectif, surtout dans la sphère professionnelle ou le travail d’équipe est primordial. Qui dit attention dispersée dit performances qui en pâtissent. C’est d’ailleurs plus répandu qu’on ne le croit : selon une étude menée par Economist Impact, 42 % des travailleurs admettent ne pas réussir à rester concentrés plus d’une heure sans interruption.
L’écologie de l’attention prend donc ici tout son sens. Elle invite les entreprises à considérer cette ressource comme un bien commun à entretenir. Elle se construit d’ailleurs au quotidien : comment nous échangeons avec nos collaborateurs, comment nous planifions des tâches communes, comment nous préservons la concentration des autres, etc.
II. Les conséquences du manque d’attention émotionnelle
1. La tyrannie de l’urgence et de la disponibilité permanente
Petit à petit, le numérique a imposé une nouvelle norme : celle de la réactivité immédiate. Emails, messagerie instantanée, appels en visio… Ils doivent être répondus dans l’heure, sinon dans la minute. Comme nous l’évoquions dans notre article sur la surcharge collaborative, l’idée selon laquelle être constamment occupé serait synonyme de performance persiste.
En réalité, c’est tout l’inverse. Cette hyper disponibilité permanente alimente le stress et crée un sentiment d’urgence omniprésent. Résultat ? Une surcharge cognitive élevée et un important épuisement attentionnel. Là où l’on devrait se concentrer pour réaliser des tâches importantes, nous nous retrouvons à jongler à droite à gauche sans fixer notre attention nulle part. Pourtant, la performance durable ne réside pas dans la rapidité des réponses, mais bien dans la qualité des réflexions.
2. La surinformation et le déficit de sens
Autre fléau de l’ère numérique, et grand facteur de décrochage de l’attention : l’infobésité.
Nous sommes souvent submergés de données, de rapports, de newsletters, de notifications… Et nous l’avons vu précédemment, le cerveau humain n’est pas conçu pour faire face à un tel volume. Cette abondance de données empêche les collaborateurs d’analyser les informations en profondeur.
Cette saturation de contenus provoque également un déficit de sens. L’attention, désormais reléguée au second plan, ne parvient plus à distinguer l’essentiel du superficiel. Il devient ainsi difficile de saisir le sens de son propre travail, encore plus de maintenir le lien avec la vision globale de l’entreprise. D’acteurs stratégiques, les salariés se transforment en de simples exécutants sans motivation. Être toujours occupé sans jamais être pleinement présent : c’est tout le paradoxe de ce phénomène.
3. Une érosion de la confiance et l’engagement
Le manque d’attention active a également des répercussions directes sur la sphère sociale de l’entreprise. Dans une relation, l’attention est cruciale. En donnant de son temps pour l’autre, nous lui montrons qu’il est notre priorité à l’instant T. C’est valorisant à la fois pour les salariés, qui se sentent compris et entourés, et pour et l’entreprise, qui bénéficie des idées nées de ces échanges.
Or, dans une équipe où chacun est sans cesse interrompu ou sur sollicité, il devient difficile d’être réellement à l’écoute des autres. Le lien humain s’effrite et crée un manque de confiance. À long terme, on peut assister à un véritable désengagement des collaborateurs. Pourquoi s’investir quand l’on ne reçoit rien en retour ?
Ce risque est difficile à mesurer mais redoutablement destructeur… Sauf si l’on met en place une vraie stratégie, où l’attention devient reine.
III. Les piliers d’une démarche d’écologie attentionnelle
1. Repenser l’environnement de travail
Il est indispensable de revoir l’environnement de travail pour que l’attention des collaborateurs soit mise au premier plan. Cela passe, par exemple, par un aménagement de l’open space. S’il est vanté pour sa convivialité, il peut se transformer en piège : les bruits, les interruptions ou la circulation incessante se révèlent parfois contraignants pour la concentration. Alors comment changer la donne ? En imaginant des zones spécifiques où les salariés peuvent mener à terme leur deep work sans distraction. L’attention est décuplée et les performances aussi.
L’organisation du temps est également un facteur clé d’une remise en question attentionnelle. Les plages de travail « sans interruption » ont de plus en plus le vent en poupe. C’est notamment le cas chez Google et Slack, qui ont adopté le « Focus Friday » : réserver le vendredi pour effectuer une tâche importante, qui nécessite une attention absolue. Aucune réunion n’est programmée ce jour.
2. Le rôle des RH et des managers
D’après Pumble, 86 % des cadres estiment qu’une mauvaise communication est la cause majeure des problèmes de productivité. Les RH et managers ont donc un évident rôle à jouer dans la transition vers l’écologie de l’attention.
Ils doivent avant tout instaurer un climat de confiance. On ne peut pas demander aux collaborateurs de mieux gérer leur attention sans leur fournir les outils pour le faire… Et sans la sécurité psychologique nécessaire pour se déconnecter, sans crainte de jugement ou de conséquences négatives.
Comment ? En leur donnant les outils pour reconnaître leurs limites cognitives, gérer les interruptions et hiérarchiser leurs priorités. Ces actions permettent ainsi de renforcer la qualité des échanges, d’améliorer la communication entre les équipes et d’encourager une culture du travail plus apaisée et efficace.
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3. Respecter le droit à la déconnexion
Enfin, aucune écologie de l’attention ne peut prospérer sans un respect absolu du droit à la déconnexion. C’est d’ailleurs lié à cette culture de la disponibilité et de l’urgence vu précédemment : sans véritable pause numérique, pas de concentration optimale et pas de productivité de l’entreprise.
Le droit à la déconnexion est inscrit dans le Code du Travail depuis 2017. Il est crucial de l’incarner au quotidien et plusieurs décisions sont possibles : désactiver les notifications le soir et le weekend, ne pas répondre aux mails après une certaine heure, limiter les réunions superflues où les salariés font « acte de présence », repenser la gestion des messages afin d’éviter la pression de la réponse immédiate… Cela paraît évident et, pourtant, ce droit est encore trop souvent symbolique.
Conclusion
L’écologie de l’attention, c’est finalement préserver l’humain au cœur du travail. En reconnaissant la concentration comme un capital limité, l’entreprise se dote d’un avantage compétitif durable, où productivité et épanouissement des collaborateurs font bon ménage. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière, mais bel et bien d’un pas en avant. Mieux penser, mieux collaborer, mieux innover… Et si c’était ça, la clé de la performance ?

