Le respect du principe de laïcité et de l’obligation de neutralité par les agents publics

Selon le dictionnaire Larousse, la neutralité renvoie à l’état d’une personne qui reste neutre, qui évite de prendre parti, qui s’abstient ou ne s’implique pas. Juridiquement, la neutralité est synonyme d’impartialité, est neutre la personne qui ne prend pas parti pour l’un plutôt que pour l’autre ; qui ne favorise pas l’un aux dépens de l’autre (Larousse).

Le respect du principe de laïcité et de l’obligation de neutralité par les agents publics

D’origine jurisprudentielle (CE, sect. 3 mai 2000, n° 217017, Mlle Marteaux), l’obligation de neutralité des agents publics a été consacrée par le législateur au travers de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, modifiant l’article 25 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983. Ainsi, dans l’exercice de ses fonctions, l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité. Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. À ce titre, il s’abstient notamment de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses. L’obligation de neutralité va au-delà des manifestations religieuses, elle implique également une neutralité politique liée à l’obligation de réserve.

La loi renvoie les chefs de service à leur qualité de manager en ressources humaines : «  Il appartient à tout chef de service de veiller au respect de ce principe dans les services placés sous son autorité. Tout chef de service peut préciser, après avis des représentants du personnel, les principes déontologiques applicables aux agents placés sous son autorité, en les adaptant aux missions du service ».

Face aux multiples demandes des agents, les chefs de service se retrouvent parfois face à une impasse : refus de la demande pouvant conduire à une atteinte aux droits fondamentaux des agents publics, ou à contrario, accord de principe ou l’inaction face à une situation à risque conduisant à des violations de l’obligation de neutralité. La frontière entre protection de l’intérêt général et respect des droits et libertés des agents publics devient poreuse.

Afin d’éviter tout risque juridique, les managers RH doivent maitriser les contours du champ d’application de l’obligation de neutralité des agents publics.

Les champs de l’obligation de neutralité des agents publics

La circulaire du 15 mars 2017, relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique a précisé que l’obligation de neutralité est applicable à tous les agents publics y compris les contractuels de droit public ou de droit privé. La laïcité est le fondement d’une obligation de neutralité absolue des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions.

L’obligation de neutralité n’interdit pas la liberté de conscience et de culte, elle prohibe uniquement la manifestation par l’agent public de ses opinions religieuses dans le cadre de ses fonctions. Récemment, dans un arrêt du 27 juin 2018, le Conseil d’Etat a rappelé que la neutralité des services publics impose à tout agent public de ne pas manifester ses opinions religieuses dans l’exercice de ses fonctions mais en en aucun cas, il ne doit être écarté de la procédure de recrutement pour des motifs religieux (Conseil d’Etat, 27 juin 2018, req. n° 419595). En l’espèce, il s’agissait d’un prêtre postulant aux fonctions de Président d’université.

L’obligation de neutralité s’applique à l’ensemble des services publics, y compris ceux assurés par une personne morale de droit privé (Soc. 19 mars 2013, n° 12-11.690, CPAM de Seine-Saint-Denis, AJDA 2013. 597)

Ainsi, l’obligation de neutralité s’impose à tous les agents publics, de tous les services publics, quelles que soient les fonctions exercées (Mlle Marteaux, précité) y compris les stagiaires de la fonction publique durant leurs périodes de stage professionnel au sein d’un service public (CE 28 juill. 2017, n° 390740, Mme C., Mme A. et Association de défense des droits de l’homme). Cette interdiction généralisée a été validée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il est précisé que l’obligation de neutralité ne doit pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience et de culte des agents publics (CEDH, 26 novembre 2015, n° 64846/11, Ebrahimian c. France).

Portée de l’obligation de neutralité

L’agent public sert l’intérêt général. Ainsi, il ne doit pas détourner la mission qui lui a été confiée au profit d’une propagande politique ou religieuse. Une obligation de stricte neutralité s’impose dès lors à tout agent collaborant à un service public. Cela implique pour les agents publics l’interdiction de distribuer des écrits de nature politique dans les locaux d’un service public pendant l’exercice de leurs fonctions. De manière similaire, il est totalement proscrit de manifester ses croyances religieuses. L’atteinte au principe de laïcité et à l’obligation de neutralité qui s’impose à tout agent public » est une faute disciplinaire. Il en va ainsi d’un fonctionnaire qui a utilisé son adresse électronique et les moyens de communication informatique dont il disposait dans le service à des fins personnelles d’échanges en sa qualité de membre de « l’association pour l’unification du christianisme mondial ». « (CE 15 oct. 2003, M. Odent, n° 244428).

En conséquence, l’agent public se doit de ne pas manifester une quelconque opinion politique ou religieuse dans l’exercice de ses fonctions.

Une obligation sanctionnable

« Le fait, pour un agent public, quelles que soient ses fonctions, de manifester dans l’exercice de ces dernières ses croyances religieuses, notamment en portant un signe destiné à marquer son appartenance à une religion, constitue un manquement à ses obligations professionnelles et donc une faute » (CAA Lyon, 27 nov. 2003, Mlle Ben Abdallah, req. no 03LY01392). De même, toute forme de prosélytisme auprès d’autres agents ou des usagers est constitutive d’une faute (CE, 19 février 2009, n° 311633), y compris par l’utilisation d’outils numériques mis à sa disposition, tels qu’Internet et les courriels, ou de propos visant à diffuser ses convictions religieuses auprès des usagers et de ses collègues (CAA de Versailles, 30 juin 2016, n°15VE00140).

Les décisions juridictionnelles consacrant la légalité d’une sanction soulignent la réitération du comportement fautif malgré les tentatives de dialogues et les injonctions répétées des supérieurs hiérarchiques, pour convaincre l’agent public de respecter le principe de neutralité.

Il en va ainsi d’un agent des services fiscaux qui, en dépit de plusieurs rappels à l’ordre, « a continué à porter, sur son lieu de travail, une coiffe masquant ses cheveux, ayant elle-même reconnu dans sa réponse écrite au compte-rendu de l’entretien du 21 juin 2006 qu’elle portait une coiffe par simple coquetterie et pour des raisons religieuses » (CAA Versailles, 21 mars 2013, Mme C. B., req. no 11VE00853).

L’atteinte au principe de neutralité doit être matériellement établie. À défaut, une sanction sera jugée irrégulière lorsque « la requérante, dans l’exercice de ses fonctions, n’a jamais manqué au devoir de stricte neutralité » (CE 8 déc. 1948, Dlle Pasteau).

Le cas particulier des autorisations d’absence pour motif religieux

La liberté du culte est une liberté fondamentale en France mais les autorisations d’absence pour motif religieux ne sont pas de droit. Notre calendrier des jours fériés est fondé sur les fêtes chrétiennes dites « légales » ou des autorisations d’absences précisément identifiées tels que le mariage, la naissance, le décès… Ainsi, les nécessités de la pratique d’un culte autre que ceux du calendrier n’entrent dans aucune des diverses catégories de congés ou d’autorisations d’absence énumérées par les dispositions légales ou règlementaires applicables aux agents publics. En conséquence, les autorisations qui peuvent être éventuellement accordées, par les chefs de service, pour motif religieux, constituent des mesures purement gracieuses mais sont dépourvues de tout caractère impératif (CE 19 nov. 2004, M. Marty, req. no 265064).

Une circulaire du 10 février 2012 relative aux autorisations d’absence pour motifs religieux précise que les chefs de service peuvent accorder aux agents qui désirent participer aux cérémonies célébrées à l’occasion des principales fêtes propres à leur confession, les autorisations d’absence nécessaires. Cette autorisation d’absence n’est pas décomptée des congés et des RTT. Néanmoins, le chef de service peut refuser l’autorisation d’absence si celle-ci est incompatible avec les nécessités du fonctionnement normal du service.

Dès lors, un chef de service ne peut pas automatiquement refuser l’octroi d’autorisations d’absences, il commettrait une erreur de droit. Néanmoins, il revient à tout chef de service, dans le silence des lois et règlements, de fixer les règles applicables en matière de demandes d’autorisations d’absence pour participer à des cérémonies catholiques autres que les fêtes légales (CE 12 févr. 1997, Mlle Henny, req. no 125893). L’autorisation peut être sollicitée au titre de toute religion et ne saurait être limitée aux adeptes de ce qu’on appelle « les grandes religions » (CAA Paris, 22 mars 2001, M. Crouzat). L’appréciation de la demande se fera au cas par cas de manière à ne pas perturber le bon fonctionnement d’un service. En cas de contentieux, le chef de service doit justifier le refus par des nécessités de service.

Recommandations pour sécuriser ses pratiques

Pour éviter que la sanction ne soit jugée irrégulière, il faut d’abord avertir l’agent public oralement de l’obligation de neutralité puis par écrit en cas de réitération de l’acte. Il faut prendre le temps de communiquer afin que l’agent comprenne que ce sont les règles du service public et qu’elles ne résultent pas de la volonté du chef de service. Enfin, il faut préalablement à la révocation, envisager une sanction proportionnée telle que l’avertissement ou le blâme afin que l’agent public comprenne que toute atteinte à l’obligation de neutralité durant l’exercice de ses missions est sanctionnable.

A défaut, la sanction peut paraitre manifestement disproportionnée. Ainsi, il a été jugé que le déclenchement de la procédure de licenciement dans un délai d’un mois sans avertir oralement ni par écrit l’intéressée, ni préavis ni indemnité, est jugée entachée d’une erreur manifeste d’appréciation, malgré la gravité et la réitération des faits. Il aurait fallu une sanction intermédiaire avant d’envisager la procédure de licenciement (voir en ce sens TA Versailles 16 déc. 2004 Mme Ait Ouaanab-Ruffray, req. no 02-4263 et 03-160 ; dans le même sens à propos d’une assistante maternelle ayant associé les enfants placés sous sa garde aux activités de la secte des « Témoins de Jéhovah » : CAA Nantes, 28 déc. 2001, Département du Cher).

Neutralité et laïcité : les textes de référence

Loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires,

Circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique

Circulaire du 10 février 2012 relative aux autorisations d’absence pouvant être accordées à l’occasion des principales fêtes religieuses des différentes confessions

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