Retraites : le système universel sera-t-il vraiment plus redistributif ?

Aujourd’hui, la solidarité du système de retraite représente entre 20 et 25% des 320 milliards d’euros de dépenses annuelles soit entre 64 et 80 milliards d’euros (https://www.reforme-retraite.gouv.fr/). Elle se caractérise par une multitude de dispositifs censés réduire les inégalités entre les assurés sociaux qui peuvent être liées à une interruption de carrière (maladie, chômage), une situation familiale (naissance et éducation d’un enfant, veuvage) ou encore à la rémunération.

Le système universel sera-t-il vraiment plus redistributif ?

On observe cependant que malgré ces dispositifs les modalités de calcul du système actuel sont plutôt favorables aux carrières constantes et ascendantes, et très défavorable aux carrières heurtées, courtes et à temps partiel. Cette redistribution « à l’envers » s’explique notamment par les modalités de prise en compte de la rémunération : la référence aux six derniers mois dans la Fonction publique et aux vingt-cinq meilleures années dans le régime privé permet aux carrières dynamiques (généralement associées à des rémunérations plus élevées) d’effacer les années les moins favorables de leur carrière.

Ainsi, selon le Conseil d’orientation des retraites, pour les, la rémunération des 10 % les plus aisés des générations nées entre 1955 et 1964 est 5,85 fois plus élevées que celles des 10 % les plus modestes. Et lorsque l’on compare leur montant de retraite, c’est 6,66 fois plus (Rapport annuel du COR – juin 2019)[. En incluant les dispositifs de solidarité (trimestres et points non cotisés, pension minimum, pension de réversion, majorations familiales etc.), l’écart se réduit et tombe à 4.

Dans son programme pour l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir un système de retraite « plus juste, plus lisible et plus équitable ». La part de solidarité nationale financée par la retraite devra être maintenue au moins à l’identique, avec l’objectif affiché de réinventer tous les dispositifs et « de les rendre plus efficients pour réduire l’écart des pensions entre les précaires et les personnes plus aisées, entre les hommes et les femmes et pour soutenir les familles et apaiser la crainte du veuvage[» (Extrait du rapport « Pour un système universel de retraite » – Haut-commissariat à la réforme des retraites – juillet 2019).

1. Soutien aux précaires et aux carrières hachées : Relèvement du minimum de pension et taux plein à 64 ans

Le minimum de pension doit permettre à une personne ayant cotisé toute sa vie et ayant accumulé suffisamment de trimestres pour obtenir le taux plein de voir le montant global de sa retraite relevé à hauteur d’un montant forfaitaire. Ce montant varie considérablement d’un régime à l’autre. Ainsi, un salarié bénéficiant du minimum de pension, appelé minimum contributif, perçoit une pension de l’ordre de 815 euros nets par mois, c’est près de 100 euros de plus qu’un commerçant (730 euros). Les agriculteurs, quant à eux, bénéficient d’un minimum de pension équivalent à 75% net du SMIC soit 890 euros (www.gouvernement.fr).

On aboutit ainsi à une situation paradoxale dans laquelle le montant de la pension d’un assuré ayant cotisé toute sa vie sur des « bas salaires » est inférieur au minimum vieillesse de solidarité. En effet, toute personne âgée d’au moins 65 ans, résidant de manière régulière sur le territoire français, et ne justifiant d’aucune ressource, a droit à une allocation de solidarité aux personnes âgées d’un montant de 903 € nets par mois (Valeur au 1er janvier 2020).

Dans une optique à la fois d’harmonisation des règles et de soutien aux travailleurs « précaires », le gouvernement souhaite profiter de la mise en œuvre du système universel pour garantir un montant minimum de pension de retraite équivalent à 85% du SMIC soit 1.000 euros net par mois. Il serait revalorisé comme le SMIC (plus favorable), et non sur l’inflation comme c’est le cas actuellement. Cette mesure entrerait en vigueur dès le 1er janvier 2022 et s’appliquerait à tous, même à ceux qui ne sont pas concernés par le système universel.

Cette proposition appelle au moins 2 remarques :

  • Le relèvement du minimum de pension n’est pas une idée nouvelle. Il est même en réalité déjà inscrit dans la loi depuis plus de 15 ans ! En effet, la réforme « Fillon » de 2003, qui a notamment entériné le relèvement progressif de la durée de cotisation requise pour le taux plein de 37,5 à 41 annuités, prévoyait également que « la Nation a pour objectif d’assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps plein et disposant d’une carrière complète une retraite au moins égale à 85% du smic » (Article 4 – loi du 21 août 2003).
  • Un certain nombre d’organisations syndicales, CFDT en tête, souhaitent que le gouvernement aille plus loin et qu’il garantisse un minimum de pension équivalent à 100% du SMIC. Ce sujet doit être évoqué lors des prochaines semaines de concertation avant la présentation d’un projet de loi fin janvier en conseil des ministres. L’exécutif pourrait être tenté de répondre favorablement à cette demande pour mettre fin au mouvement de contestation et assurer le vote de la loi.

Les contours de ce minimum de pension revalorisé doivent encore être précisés. Par exemple, le bénéficie de ce minimum restera réservé aux assurés qui justifient d’une « carrière complète ». Cela prendra-t-il en compte les personnes en situation de temps partiel ?

2. Soutien aux familles

Actuellement les droits retraite acquis au titre des enfants peuvent être classés en 2 catégories :

  • Les trimestres ou bonifications familiales : il s’agit d’octroyer au parent qui élève un enfant (essentiellement les mères) des trimestres de retraite supplémentaires afin de les aider à atteindre « plus rapidement » le taux plein et ainsi de compenser l’impact qu’il a « subi » sur sa carrière professionnelle. Néanmoins le gouvernement estime que ce dispositif nécessite d’être réformé : les droits sont inégaux selon les régimes (un enfant donne droit à 8 trimestres au régime privé, 4 dans la Fonction publique), les droits sont « inutilisables » si le bénéficiaire justifie déjà d’une carrière complète.
  • Les majorations « familles nombreuses » : il s’agit ici de majorer le montant de la pension des parents qui ont eu au moins 3 enfants d’un pourcentage progressif avec le nombre d’enfants. Là encore le mécanisme comporte quelques défauts : les droits sont inégaux selon les régimes, la majoration a un effet anti-redistributif en ce qu’elle bénéficie plutôt aux hommes (qui ont une pension généralement plus élevée), et surtout elle n’est ouverte qu’à partir du 3e enfant.

Afin de tenir compte de tous ces éléments, le gouvernement a souhaité remplacer les dispositifs existants par l’attribution dès le 1er enfant d’une majoration unique de 5 % des points acquis par les assurés au moment du départ à la retraite dans le système universel. En soutien aux familles nombreuses, un supplément de 2% sera octroyé par enfant supplémentaire à compter du 3e enfant.

Ce droit sera attribué au choix des deux parents, ou éventuellement réparti entre eux s’ils le souhaitent. À défaut, les droits seront automatiquement attribués à la mère.

S’il est acquis que ce nouveau dispositif bénéficiera a plus de familles, les perdants sont sans aucun doute les familles nombreuses puisque désormais le droit sera octroyé par famille et non plus par parent.

3. Harmonisation des règles relatives à la réversion

La réversion est un sujet extrêmement sensible politiquement. On se souvient de la polémique qui avait enflé mi-2018 lorsqu’une rumeur, tirée d’une note adressée aux partenaires sociaux dans le cadre de la concertation posant la question suivante : « Compte tenu des évolutions en matière de taux d’emploi des femmes et de conjugalité, doit-on maintenir des pensions de réversion ? », avait laissé entendre que le gouvernement envisageait la diminution, voire la suppression, de ce dispositif dans le cadre de la réforme systémique. Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, avait alors été obligée de faire une déclaration publique, rappelant qu’il n’a « jamais été question de supprimer les pensions de réversion. Les pensions de réversion sont et resteront un outil extrêmement puissant pour lutter contre la pauvreté des veuves ».

Actuellement, les droits acquis au titre du veuvage varient considérablement d’un régime de retraite à l’autre :

  • Dans le Régime général par exemple, il s’agit d’un droit assistanciel, soumis à condition de ressources strictes. Il s’agit d’assurer un minimum de subsistance à la veuve ou au veuf qui ne bénéficie plus des revenus de son conjoint décédé.
  • Dans la plupart des autres régimes (Fonction publique, régime AGIRC-ARRCO), il s’agit plutôt d’un droit assurantiel, donc non soumis à conditions de ressources. L’objectif est plutôt de maintenir le niveau de vie du conjoint survivant.

Dans le projet de réforme systémique, le gouvernement a pris le parti d’harmoniser le droit à réversion dans une logique assurantielle. La personne veuve conservera 70 % des droits à retraite dont bénéficie le couple, sans qu’aucune condition de ressources ne soit imposée. Elle sera réservée aux couples mariés (comme c’est le cas aujourd’hui) et attribuée à compter de 62 ans.

Ce nouveau dispositif suscite plusieurs interrogations :

  • Par exemple, la plupart des régimes de retraite actuels prévoient une répartition du montant de la réversion entre le conjoint et les ex-conjoints survivants au prorata de la durée du mariage et sous réserve de ne pas s’être remarié. Demain, le dispositif n’ouvrir un droit que pour le conjoint survivant. Pour les ex-conjoints, la question devra être traitée au moment du divorce sous la forme d’une prestations compensatoires dont les contours restent à définir…
  • Une condition d’ouverture de droit uniformisée à 62 ans est également prévue. Or, actuellement, certains régimes prévoient des conditions plus favorables ; ainsi dans le régime privé les droits sont ouverts à partir de 55 ans (régime de base) ou 60 ans (régime complémentaire AGIRC-ARRCO), dans la fonction publique les droits sont même ouverts sans condition d’âge. Que se passera-t-il pour les « jeunes » veufs mais surtout veuves qui pourraient se retrouver en précarité financière.

En conclusion, il apparaît assez clairement dans l’exposé ci-dessus que le projet de réforme souhaite promouvoir une retraite plus redistributive à destination des publics fragilisés, à savoir les travailleurs « précaires » et les femmes. Néanmoins, à ce stade et en l’absence de chiffrages précis, il reste difficile de déterminer précisément l’impact de ces mesures. Les règles variant considérablement d’un régime à l’autre, il est de toute façon probable qu’il y ait des perdants… Nous devrions y voir plus clair dans le futur projet de loi qui doit être présenté en conseil des ministres le 22 janvier puis devant le Parlement à partir de fin février.

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