Réforme des retraites : Acte 2, équité et justice sociale

Suite de notre précédent article consacré au cycle 1 « Emploi des séniors et prévention de l’usure professionnelle » de la concertation retraite en cours. Le 2e cycle « équité et justice sociale » vient de s’achever, il avait pour objectif d’échanger avec les partenaires sociaux sur les leviers potentiellement mobilisables pour réduire les inégalités et harmoniser les règles de la retraite.

Si le Gouvernement a d’ores et déjà annoncé qu’il ne ferait pas une réforme « systémique » sur le modèle du projet de système universel de retraite désormais abandonné, il ne veut pas non plus circonscrire la réforme à venir à des mesures purement financières.

Réforme des retraites : Acte 2, équité et justice sociale
La réforme des retraites vers plus d'équité et de justice sociale entre les individus.

Deux sujets pouvaient être identifiés ici :

  • La contribution du système de retraite à la réduction des inégalités constatées entre les assurés, c’est à dire la solidarité vis-à-vis des plus pauvres ou des plus fragiles.
  • La complexité du système, qui génère des traitements différents d’assurés dans des situations similaires, source d’un sentiment (avéré ou non) d’iniquité.

Nous nous attacherons dans un premier temps à faire une analyse de la situation du système de retraite au regard de ces thématiques, puis à commenter les propositions ou pistes de réflexion formulées par le Gouvernement et susceptibles d’être intégrées au projet de réforme des retraites.

1. Diagnostic : un système de retraite plutôt redistributif qui nécessiterait cependant d’être harmonisé

La solidarité du système de retraite peut se mesurer aux mécanismes à effet direct ou indirect mis en place pour réduire les inégalités de fait ou de chance observables entre individus et groupes sociaux, en particulier entre les plus pauvres et les plus fortunés, et entre les sexes.

1.1. Situations de personnes percevant de petites pensions de retraite

Le seuil de 1 000 euros par mois, qui correspond quasiment au seuil de pauvreté, est communément retenu pour définir une « petite pension ». On évalue à environ un tiers le nombre de retraités qui perçoivent une pension mensuelle brute inférieure à 1 000 euros1, soit un montant inférieur ou équivalent au minimum vieillesse2 (953,45 € par mois pour une personne seule). Plusieurs facteurs déterminants peuvent expliquer cette situation :

Le déroulement de la carrière professionnelle

En effet, les assurés qui subissent des périodes de non activité, peu ou pas cotisés (maternité, chômage, inaptitude, entrée plus tardive sur le marché du travail), voient leurs droits durement impactés. Il en va de même pour celles et ceux qui cumulent des périodes de temps partiel. Les femmes sont donc logiquement très exposées.

Le statut joue également beaucoup puisqu’on constate que les travailleurs indépendants et les exploitants agricoles (ainsi que leurs conjoints) sont surreprésentés parmi les retraités modestes. Ces statuts ont longtemps été marqués par de faibles niveaux de cotisations, voire l’absence de couverture en retraite complémentaire.

Autre facteur qui peut jouer sur niveau de pension, les périodes d’activité effectuées à l’étranger.

La zone géographique

Il existe de fortes disparités sur le territoire français. Les petites pensions sont ainsi surreprésentées en outre-mer. Dans la métropole, les écarts sont également importants selon le département : les pensions versées aux retraités résidant dans les départements les plus urbain, comme l’Île-de-France, sont très supérieures à la moyenne nationale (+40 % à Paris par exemple). A l’inverse elles sont bien inférieures dans les départements plus ruraux comme ceux du nord, du nord-est ainsi que du Massif central.

La génération des retraités concernés

Les petites pensions sont plus nombreuses parmi ceux ayant liquidé leur retraite anciennement. Elles représentaient ainsi plus de 50% de la totalité des pensions versées pour ceux ayant liquidé leur retraite avant 1990 contre environ 30-35% pour les dernières générations. Cela s’explique notamment par l’allongement des carrières (plus de cotisations versées, plus de droits) et le renforcement de certains mécanismes de solidarité qui compensent davantage les interruptions de carrière (garde d’enfant, chômage etc.).

1.2. Écarts de pension entre hommes et femmes

L’écart de niveau de retraite entre les femmes et les hommes reste aujourd’hui très important. Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), la pension de droit direct d’une femme ne représentait en 2020 que 60% en moyenne de celle d’un homme. Un chiffre bien en deçà de la moyenne des pays de l’OCDE, qui tend néanmoins à se réduire avec la participation de plus en plus active des femmes sur le marché du travail.

Si l’écart de pension n’est pas contestable, il faut néanmoins souligner l’existence de plusieurs mécanismes d’atténuation :

  • La pension des femmes est perçue sur une durée de retraite plus longue eu égard à leur espérance de vie supérieure aux hommes. 
  • La pension du Régime général est calculée sur la base des 25 meilleures années de la carrière, ce qui permet de ne pas tenir compte des années où les rémunérations sont les plus faibles voire nulles ; par exemple des périodes de temps partiel ou d’interruptions d’activité auxquelles les femmes sont particulièrement exposées.
  • Un moindre effort contributif en cours de vie active, les femmes étant davantage concernées par les allègements de cotisations patronales sur les bas salaires.

À l’issue de ces neutralisations, les écarts de rendement de la retraite entre femmes et hommes sont quasiment éliminés.

A cela s’ajoutent donc les mécanismes de solidarité destinés à compenser les interruptions d’activité, notamment liés aux enfants. Enfin, la réversion, qui bénéficie globalement plus aux femmes eu égard à leurs revenus et leur espérance de vie, participe à réduire sensiblement les différences. Aujourd’hui, la solidarité représente pratiquement 30 % des pensions versées aux femmes (contre 18 % pour celles versées aux hommes).

1.3. Complexité du système de retraite

Le système de retraite français est aujourd’hui composé de 42 régimes de retraite différents, ce qui tend à complexifier sensiblement la compréhension des assurés de leurs futurs droits retraite, d’autant plus s’ils ont changé de statut en cours de vie professionnelle.

Selon la DREES, plus de 60 % sont affiliés à au moins trois régimes de retraite et perçoivent en conséquence autant de retraites différentes. Si la plupart des régimes ont été progressivement harmonisés sur le régime privé en termes de durée d’assurance ou d’âge minimum de départ en retraite, il subsiste de nombreuses différences qui créent un fort sentiment d’injustice.

Les fameux « régimes spéciaux » sont aujourd’hui pointés du doigts pour les avantages qu’ils octroient et le coût qu’ils représentent pour les finances publiques. En voici une synthèse ci-dessous :

Régime

IEG

SNCF

CRPCEN

RATP

ENIM

FSPOEIE

Banque de France

Opéra de Paris

Comédie Française

CESE

Nombre de cotisants

135 427 (2021)

119 753 (2021)

62 854 (2021)

42 444 (2021)

27 580 (2021)

19 655 (2021)

8 392 (2021)

1 807 (2021)

346 (2021)

175 (2021)

Nombre de pensionnés de droit direct

139 636 (2021)

167 076 (2021)

71 568 (2021)

39 484 (2021)

64 709 (2021)

67 056 (2021)

14 647 (2021)

1 480 (2021)

341 (2021)

Non disponible

Nopmbre de pensionnés de droit dérivé

40 255 (2021)

74 301 (2021)

7 663 (2021)

11 150(2021)

41 048 (2021)

29 605 (2021)

2 972 (2021)

361 (2021)

109 (2021)

Non disponible

Âge moyen de départ à la retraite

60 ans

54 ans et 4 mois (agents de conduite) et 59 ans et 5 mois (autres agents)

63 ans et 10 mois

56,81 ans

57,2 ans

Non disponible

61 ans et 9 mois (flux 2021)

48 ans (danseurs), 57,5 ans ans (techniques), 62 ans (admnistratifs) et entre 60 et 63 ans pour artistes

64,1 ans (flux 2021)

Non disponible

Financement État

1,7 Md€ (taxe affectée)

3,3 Md€ (subvention)

0,4 Md€ (taxe affectée)

0,7 Md€ (subvention)

0,8 Md€ (subvention)

1,4 Md€

minoration dividende Etat si couverture inférieure à 100 %

0,02 Md€ (subvention)

0,01 Md€ (subvention)

Subvention CESE

Flux annuel de nouveaux embauchés

4 607 (2021)

0 (plus de recrutement au statut

7 606 (2021)

1 033 au statut (2021)

8 200 (2020)

Environ 500 (2020)

Environ 120 (202.)

168 (2021)

21 (2021)

sept 2016

En raison des possibilités de départs anticipés, la durée de versement des pensions est plus élevée dans ces régimes, d’autant plus que l’espérance de vie y est globalement identique à celle constatée pour les autres régimes. A cela s’ajoute des écarts de pension importants qui reflètent des règles de calcul globalement plus intéressantes. Selon la Direction de la sécurité sociale, la pension moyenne des retraités ayant principalement cotisé dans un régime spécial atteint 2 500 € brut par mois, contre 1 510 € pour l’ensemble des retraités.

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  • Identifier l’impact d’une réforme paramétrique ou systémique.

2. Les mesures possibles pour rendre le système plus juste et plus équitable

3 types de mesures sont envisagées / expertisées :

2.1. Le relèvement du minimum de pension

Il s’agissait déjà d’un engagement du Président de la République dans le cadre de son projet de système universel de retraite : augmenter le montant minimum de pension à 1 100 € par mois, pour atteindre à moyen terme 85% du SMIC net.

Plusieurs questions en suspens, notamment sur le champ d’application de la mesure. Si elle ne s’applique qu’aux nouveaux retraités, la mise en place du dispositif uniquement pour les pensions liquidées à partir de 2023 a été évaluée dans un rapport parlementaire de mai 20213 à 10 M€ en 2023, 230 M€ en 2030 et 2,1 Mds€ en 2050. Si elle devait s’appliquer également au « stock » de retraités le coût serait de 2,1 Mds€ dès son entrée en vigueur.

2.2. Le renforcement des mécanismes permettant la réduction des inégalités femmes-hommes

Peu ou pas de propositions sur la table pour ce sujet. Le Gouvernement s’interroge sur la meilleure manière de valoriser le travail et de lutter contre les freins périphériques au travail (exemple : la garde d’enfant) qui pèsent avant tout sur les femmes.

Les mécanismes de solidarité censés en atténuer l’impact (majorations enfants, AVPF4, validation des périodes de congé parental) pourraient être révisés afin d’améliorer leur rendement.

Le sujet du non recours à certaines prestations de solidarité, comme le minimum vieillesse, fait également parti des discussions. Il est nécessairement relié à la promesse du Président de mettre en œuvre la « solidarité à la source » : A l’image du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, il s’agit de calculer et de verser directement et automatiquement, aux bénéficiaires, les prestations de solidarité. Selon une autre étude récente de la DREES, une personne seule sur deux, éligibles au minimum vieillesse n’y recourt pas (dont une majorité de femmes). Ils pourraient pourtant bénéficier, s’ils en faisaient la demande, de 205 euros en moyenne de ressources supplémentaires par mois.

2.3. La suppression des régimes spéciaux

Il s’agit d’une mesure régulièrement mise en avant par les gouvernements successifs. L’harmonisation du système de retraite passerait par la mise en extinction des régimes spéciaux de retraite. Cela a déjà été fait pour le régime SNCF, avec la fin du recrutement au statut depuis le 1er janvier 2020. Désormais les agents recrutés sont affiliés au Régime général comme les salariés du privé. C’est ce qu’on appelle communément la « clause du grand-père » (maintien des anciennes règles pour les agents recrutés antérieurement).

Comment faire pour les autres, et notamment les plus importants donc les plus coûteux (RATP, EIG) ? La question se pose, elle est évidemment très sensible politiquement eu égard au fort risque de conflit social qui pourrait en découler.


Références :

  1. Données 2021 – statistiques CNAV
  2. Allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA)
  3. Rapport « retraites et retraités modestes », Lionel Causse et Nicolas Turquois

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