Les arrêts de la Cour de cassation en matière de congés payés : simple application du droit européen ou décision tragique pour les finances des entreprises ?

Par plusieurs arrêts rendus le 13 septembre 2023, la Chambre sociale de la Cour de cassation a appliqué le droit européen en matière de congés payés.

Les arrêts de la Cour de cassation en matière de congés payés : simple application du droit européen ou décision tragique pour les finances des entreprises ?
Septembre 2023, application du droit européen aux congés payés en France.

Elle a décidé :

Les réactions ont été immédiates et l’agitation est encore bien tangible, plus de deux mois après le prononcé des arrêts.

Toute la communauté des juristes de droit social et des praticiens des ressources humaines, mais également de la paye, s’est saisie de la question, oscillant entre une approbation des arrêts et, majoritairement, de très vives inquiétudes concernant le coût induit par ce changement radical ainsi que la nécessité de recalculer tous les droits à congés des salariés.

Dans un premier temps, il est nécessaire de comprendre la raison d’être et la portée de ces arrêts du 13 septembre 2023.

I. La vigueur des réactions et la motivation juridique des arrêts

L’on est frappé par la variété des réactions mais également par leur vivacité.

Pour Maître Michèle Bauer, avocate à Bordeaux et sans doute l’une des personnalités qui s’est le plus exprimée sur ce revirement de jurisprudence, il faut « dégonfler la baudruche » et bien saisir que cette nouvelle ligne de conduite de la Cour de cassation était non seulement inévitable mais avait été précédée de signes précurseurs.

Au sujet du droit français, il est manifeste pour elle qu’il était notamment contraire à des points de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 « concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail » et, en particulier, à son article 7 relatif au « congé annuel ».

Cet article 7 n’opère aucune distinction selon le fait que le travailleur est présent dans l’entreprise ou bien est en congé pour maladie.

Dès lors, si un texte européen n’opère pas cette distinction, les législateurs nationaux doivent également éviter d’opérer cette même distinction.

Cette contrariété du droit français par rapport à la lettre et à l’esprit de la directive allait forcément finir par être tranchée par la Cour de cassation qui, en l’espèce, a appliqué le droit de l’Union européenne, puisque celui-ci s’impose vis-à-vis du droit national.

En outre, Maître Bauer rappelle que la Cour de cassation avait déjà indiqué dans différents rapports – et notamment dans son rapport annuel au titre de l’année 2013 – « qu’il était nécessaire de légiférer et de se mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne, au risque d’engager la responsabilité de l’État ».

Très précisément, le verbatim du rapport était le suivant : « Il est donc proposé de modifier l’article L. 3141-5 du Code du travail afin d’éviter une action en manquement contre la France et des actions en responsabilité contre l’État du fait d’une mise en œuvre défectueuse de la directive » (cf. développements figurant dans les pages 64 à 66).

En effet, il faut bien comprendre que dans les cas où une directive est mal ou incomplètement transposée, les particuliers (tout comme les entreprises) disposent d’une voie d’action auprès de la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] pour faire valoir leurs droits.

A contrario – et c’est à nouveau l’un des arguments essentiels de Maître Bauer pour dédramatiser la situation et lui permettre d’affirmer qu’il n’y aura pas trop de contentieux à venir – les particuliers (ici, les salariés) ne disposaient pas de recours contre les entreprises françaises qui ne faisaient qu’appliquer le droit français tel que formulé par le Code du travail.

Autrement dit, et afin d’être parfaitement clair, les salariés travaillant en France et soumis au Code du travail français ne pouvaient – jusqu’au 13 septembre 2023 – qu’attaquer l’Etat pour mauvaise transposition ou transposition incomplète de la directive.

Ce n’est que depuis qu’existe ce revirement de jurisprudence que les salariés peuvent faire valoir les arrêts de la Cour de cassation auprès de leur employeur.

C’est là le propre d’une jurisprudence : il revient à chacun de se saisir d’un arrêt et d’aller négocier avec son employeur pour que la nouvelle ligne de conduite de la Cour de cassation se traduise concrètement dans la relation individuelle de travail.

La conséquence qu’on peut en tirer sur un plan pratique est qu’assez peu de monde va aller se manifester auprès de son employeur avec une telle revendication.

Pour la « Confédération des petites et moyennes entreprises » [CPME], au contraire, ces arrêts du 13 septembre 2023 sont une catastrophe économique qui s’abat sur les entreprises françaises.

La CPME l’a exprimé notamment dans un communiqué de presse du 30 octobre 2023, où elle indique que : « Sur le fond, découpler travail effectif et congés payés est profondément choquant. C’est la valeur travail qui est ainsi attaquée ».

Elle poursuit en écrivant : « Cette décision, qui risque de coûter plusieurs milliards d’euros chaque année aux entreprises françaises, grandes ou petites, et de condamner certaines PME, est donc totalement inacceptable. Les choses ne peuvent rester en l’état. Le gouvernement doit comprendre l’indignation des chefs d’entreprise et agir. Il en a les moyens. C’est le sens de la pétition « Non aux congés payés acquis pendant les arrêts-maladies » que la CPME lance aujourd’hui ».

Or, le problème est bien là pour le gouvernement : contrairement à ce qu’écrit la CPME, « Il [n’]en a [pas] les moyens » puisque le droit de l’Union européenne s’impose en vertu de la hiérarchie des normes fixée par notre propre Constitution.

Le réalisme juridique va donc probablement l’emporter en dépit de la situation tragique que décrit la CPME car le Code du travail français prévoit qu’il faut travailler pour pouvoir acquérir des congés.

Ce sont les articles L. 3141-3 à L. 3141-5 du Code du travail qui conditionnent l’acquisition des congés payés à un « travail effectif ».

Ce sont donc ces articles (et cette notion de « travail effectif ») qui ont été écartés par la Cour de cassation au profit du droit européen.

En outre, la Cour de cassation a « interprété les articles L. 3141-1 [selon lequel « tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur »] et L. 1225-55 du Code du travail [sur le congé parental d’éducation] de façon à les rendre conformes au droit européen », explique Bérénice Bauduin, maître de conférences à l’Ecole de droit de la Sorbonne.

Comme mentionné précédemment, la directive européenne de 2003 ne prévoyant pas une condition pour l’acquisition de congés payés, le législateur national ne peut prévoir une distinction là où le texte européen n’en a pas prévu.

D’ailleurs, dans les autres pays de l’Union européenne, tout salarié peut acquérir des congés qu’il travaille ou bien qu’il soit en arrêt de travail.

L’on peut également penser que le réalisme économique va prévaloir au regard du nombre de salariés qui feraient réellement une demande auprès de leur employeur car :

  • pour les salariés en poste, comme on l’a vu plus haut, aller réclamer des jours de congé supplémentaires en considération de telle ou telle absence (passée) pour maladie sera très problématique, sauf à vouloir tendre ou rompre la relation avec l’employeur ;
  • pour les salariés ayant déjà quitté l’entreprise (démission ou licenciement), on peut gager que les demandes seront relativement peu nombreuses car il faudra mettre en balance le coût d’une procédure et le bénéfice financier retiré du paiement de jours de congés payés supplémentaires. En pratique, seuls les ex. salariés ayant bénéficié d’un salaire important et ayant été en arrêt-maladie pendant longtemps auront intérêt à effectuer une telle démarche.

Dès lors, il ne restera plus que les salariés actuellement en conflit juridique avec leur entreprise qui, effectivement, seront fortement tentés d’ajouter une ligne à leurs demandes financières auprès du conseil de prud’hommes ou de la cour d’appel appelés à statuer sur leur cas.

II. La délicate question de la prescription

Une fois la nouvelle digérée quant au principe même de l’acquisition de jours de congés lorsque l’on est en arrêt maladie pour une raison non professionnelle, l’enjeu se déplace vers la question de l’effet dans le temps de cette jurisprudence.

Cette section de l’article va montrer que si le principe de l’acquisition de jours de congé payés est simple, son application est autrement problématique, ce qui fait que l’on est loin d’être sortis de l’incertitude.

La première constatation qui s’impose est de noter que la prescription n’a pas débuté.

En effet, ainsi que cela a été vu plus haut, le point de départ du délai de prescription a été fixé par la Cour de cassation au jour où l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer son droit à congé payé acquis durant l’arrêt maladie.

Or, par définition, l’on peut penser qu’aucun employeur n’a permis à ses salariés d’exercer ce droit puisqu’il n’était pas inscrit dans le Code du travail.

Dès lors, plusieurs pistes ont été évoquées.

Une partie des commentateurs a plaidé pour la prescription classique de trois ans en matière salariale puisque, comme chacun sait, il s’agit là de la prescription légale concernant la récupération des arriérés de salaire.

D’autres observateurs ont écrit qu’il convenait de se reporter aux dispositions de la convention collective [CCN] applicable.

Enfin, une autre partie des juristes s’est intéressée, à juste titre, à la « question préjudicielle » posée par le Conseil des prud’hommes d’Agen à laquelle la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] a répondu le 9 novembre 2023 (aff. jtes C-271/22, C-271/22, C-272/22, C-273/22, C-274/22 et C-275/22).

Ils craignaient que le report illimité des congés ne soit déclaré conforme à l’article 7 de la directive de 2003.

Or, dans son arrêt, la CJUE n’a imposé aucune limite temporelle, mais a renvoyé la problématique aux Etats membres – et donc, en l’espèce, à la France – en énonçant en substance qu’il incombe aux Etats de légiférer sur ce point.

La CJUE a pris soin d’apporter la précision suivante : selon elle, la question des reports de congés n’est pas contraire à la directive de 2003.

Elle a fourni un exemple en l’espèce en approuvant quinze mois pour la bonne et simple raison que c’est la durée qui était en question dans l’affaire qui lui était soumise.

La CJUE a interprété la directive en considérant qu’elle « ne s’oppose pas à une législation nationale et/ou à une pratique nationale qui, en l’absence de disposition nationale prévoyant une limite temporelle expresse au report de droits à congé annuel payé acquis et non exercés en raison d’un arrêt de travail pour maladie de longue durée, permet de faire droit à des demandes de congé annuel payé introduites par un travailleur moins de quinze mois après la fin de la période de référence ouvrant droit à ce congé et limitées à deux périodes de référence consécutives ».

En lisant a contrario la formule, l’on peut donc en déduire que le législateur français pourrait organiser une purge glissante des congés acquis.

Sans toutefois se positionner précisément sur la question de la prescription, la CJUE reconnaît la possibilité en droit national de limiter dans le temps le cumul des droits en cas de longue maladie, par une période de report à l’expiration de laquelle ces droits s’éteignent.

Néanmoins, la CJUE indique que cela n’est possible qu’à condition de garantir l’effectivité du droit par la possibilité pour le salarié de disposer de périodes de repos susceptibles d’être planifiables et disponibles à plus long terme.

A notre sens – et de façon moins biscornue et alambiquée que le langage de la CJUE – il convient de se reporter à l’un des arrêts de la Cour de cassation de septembre 2023 (Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-10.529) où elle a considéré que, lorsque dans un litige relatif aux congés payés, l’employeur oppose la prescription, celle-ci ne peut être admise que s’il démontre avoir accompli toutes les diligences qui lui incombent légalement pour mettre le salarié en mesure d’exercer effectivement son droit à congé.

Dans cette affaire, la Chambre sociale a reproché au juge du fond de ne pas avoir constaté que l’employeur justifiait d’avoir accompli les diligences mises à sa charge par le Code du travail.

On peut en tirer comme conséquence pratique que le juge devra donc vérifier que l’employeur est bien en mesure d’opposer la prescription à l’action du salarié.

À défaut, comme relevé plus haut, la prescription n’aura pas commencé à courir.

Dans ce cas de figure, il faudrait alors remonter, selon certains spécialistes, au 1er décembre 2009 pour opérer la régularisation, puisque c’est la date où la « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne » (du 7 décembre 2000) a acquis une force obligatoire.

A noter :

L’explication concernant le 1er décembre 2009 est simple.
Il s’agit de la date d’entrée en application du « Traité de Lisbonne » qui est parallèle à la date d’entrée en vigueur de la « Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».

L’article 31 de cette charte, relatif aux « conditions de travail justes et équitables », fonde aujourd’hui la position de la Cour de cassation car il indique :

  1. « Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité.
  2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».

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III. Les premières applications par les juges du fond et les nouvelles questions à éclaircir

Comme cela était prévisible, des juges du fond ont commencé à appliquer cette nouvelle jurisprudence.

On peut citer la Cour d’appel de Paris qui, par un arrêt du 27 septembre 2023 (RG n° 21/01264), a accordé 6.000 euros d’indemnité pour des absences de 2018 à 2020.

On peut également mentionner cette même juridiction qui, dans un arrêt du 12 octobre 2023 (RG n° 20/03063), a fixé à 7.336 euros et 69 centimes la somme qui restait encore à payer pour des absences pour maladie sur une période de trois ans.

On relève aussi un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 5 octobre 2023 (RG n° 22/02795) qui a ordonné à l’employeur d’abonder au compteur les congés payés du salarié acquis durant ses arrêts maladie, car le salarié était encore en poste.

Pour terminer cette série d’exemples, l’on mentionnera un arrêt de la Cour d’appel de Reims qui affirme qu’il appartient à l’employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d’exercer effectivement ses droits à congés payés. La cour note qu’« en l’espèce, l’employeur ne peut en justifier puisqu’il dénie au salarié son droit à congé [pendant son arrêt maladie]. Par conséquent, il ne saurait y avoir de prescription » concluent les juges (CA Reims, 18 oct. 2023, RG n° 22/01293).

Voilà pour les effets concrets connus à ce jour des arrêts du 13 septembre 2023.

Cependant, de multiples autres thématiques restent en suspens et seul le futur viendra apporter des réponses.

On s’interroge notamment sur :

  • le sort des cotisations sociales retenues ;
  • l’augmentation mécanique de la masse salariale qui impacterait par voie de conséquence les coûts des accidents du travail et des maladies professionnelles (puisque l’assiette de calcul tient compte de la masse salariale) ;
  • le cas de figure du salarié qui n’a pas été empêché de prendre ses congés payés ;
  • la situation du salarié licencié pour faute lourde quand ce motif était privatif de l’indemnité compensatrice de congés payés.

Un autre sujet incertain à aborder dans la foulée des arrêts du 13 septembre 2023 est celui du calcul des primes.

Sans pouvoir généraliser le propos puisque le calcul des primes dépend de la rédaction des dispositions conventionnelles, l’on sait que la prime de treizième mois est souvent calculée en prenant en considération la rémunération habituelle du salarié, proratisée ensuite en cas d’absences au cours de l’année.

Or, depuis que le salarié en arrêt-maladie acquiert des congés payés puisqu’il est considéré comme présent au regard du calcul de la prime de treizième mois, il est évident que le calcul s’en trouve modifié.

Un dernier point peut paraître surprenant au profane mais est imparable sur le plan juridique : celui de la différence entre la loi et la jurisprudence du point de vue de la prescription, déjà évoqué plus haut mais dont on va approfondir l’analyse avec un cas concret et réel.

En effet, si c’était le législateur qui avait érigé la nouvelle règle, cette dernière serait appliquée à compter de la date de promulgation de la loi et les salariés n’auraient pas pu réclamer les congés payés acquis antérieurement. Mais, dans la mesure où c’est la Cour de cassation qui, par un revirement de jurisprudence, décide par ses arrêts d’appliquer le droit européen et donc d’accorder les congés payés au salarié malade, il s’agit nécessairement d’une décision de justice qui interprète la loi. Partant, il n’y a pas de point de départ d’application de la nouvelle jurisprudence. Celle-ci est donc rétroactive.

Comme vu précédemment, les salariés peuvent réclamer les congés payés accumulés en maladie pour des périodes antérieures au 13 septembre 2023.

L’arrêt n° 22/10.529 du 13 septembre 2023 en fournit l’illustration.

En l’espèce, une personne a travaillé pour un institut de formation dans le cadre d’une prestation de service. Elle parvient en justice à faire requalifier l’ensemble de la période – soit dix ans en l’occurrence – en contrat de travail.

L’employeur invoquait la prescription de trois ans applicable aux salaires (cf. article L. 3245-1 du Code du travail).

A tort, lui répond la Cour de cassation pour qui le délai de prescription ne commence à courir qu’à partir du moment où le salarié peut effectivement exercer son droit à congés payés. Pour être plus précis encore, la prescription ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer son droit en temps utile (cf. article 2224 du Code civil).

S’agissant de cette personne, puisque l’employeur l’avait privée pendant dix ans de congés payés car il ne lui avait pas proposé de contrat de travail, c’était donc dix ans d’arriérés de congés payés qui étaient dus (10 ans x 12 mois x 2,5 jours par mois = 300 jours de salaire). Ramené en termes d’indemnités, cela représente dix mois de salaire à payer au titre des congés payés non pris.

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