De la difficulté de suspendre un praticien hospitalier !

La gestion statutaire et notamment disciplinaire des praticiens hospitaliers est centralisée au Centre National de Gestion (CNG). Éloigné du terrain, le CNG peut parfois ne pas être aussi réactif que nécessaire dans la mise en œuvre d’actions disciplinaires que nécessite le comportement de certains praticiens hospitaliers, entrainant des difficultés, voir des risques pour les patients. D’ailleurs, la particularité des PH est qu’ils sont, en plus d’être des agents publics, des médecins, dont les difficultés peuvent avoir des conséquences graves.

De la difficulté de suspendre un praticien hospitalier !
Il existe plusieurs possibilités de suspension « à titre conservatoire » d’un praticien hospitalier par des autorités et sur des motifs différents.

Ce contexte entraine plusieurs possibilités de suspension « à titre conservatoire » d’un praticien par des autorités et sur des motifs différents ; la suspension d’un praticien hospitalier peut être effectuée de trois manières :

  • La suspension par l’ARS
  • La suspension par le CNG dans le cadre d’une procédure disciplinaire
  • La suspension par le Directeur de l’établissement

La suspension des praticiens hospitaliers par l’ARS

Sur ce point, conformément à l’article L4113-14 du code de la Santé publique, « En cas d’urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin, un chirurgien-dentiste ou une sage-femme expose ses patients à un danger grave, le directeur général de l’agence régionale de santé dont relève le lieu d’exercice du professionnel prononce la suspension immédiate du droit d’exercer pour une durée maximale de cinq mois. Il entend l’intéressé au plus tard dans un délai de trois jours suivant la décision de suspension. ».

L’article précise que le directeur général de l’agence régionale de santé dont relève le lieu d’exercice du professionnel informe immédiatement de sa décision le président du conseil départemental compétent et saisit sans délai le conseil régional ou interrégional lorsque le danger est lié à une infirmité, un état pathologique ou l’insuffisance professionnelle du praticien, ou la chambre disciplinaire de première instance dans les autres cas. Le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. En l’absence de décision dans ce délai, l’affaire est portée devant le Conseil national ou la Chambre disciplinaire nationale, qui statue dans un délai de deux mois. A défaut de décision dans ce délai, la mesure de suspension prend fin automatiquement.

L’ARS est par conséquent compétente pour suspendre un chirurgien lorsque la poursuite de son exercice par un médecin expose ses patients à un danger grave.

A titre d’exemple le Conseil d’Etat a pu considérer, en référé, comme justifiée la suspension d’un praticien pour ce motif à la suite de graves incidents qui se sont produits lors d’actes médicaux (Conseil d’État, 25/01/2022, 460430), mais comme ne mettant pas en péril la continuité du service et la sécurité des patients les gestes de palpation inutiles et en les messages à l’une de ses patientes d’un praticien sans justification médicale (Conseil d’État, 5ème chambre, 30/12/2021, 450814).

La suspension du praticien hospitalier par le CNG dans le cadre d’une procédure disciplinaire

Par ailleurs, conformément à l’article R6152-77 du code de la Santé publique, dans l’intérêt du service, le praticien qui fait l’objet d’une procédure disciplinaire, peut être immédiatement suspendu par le directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière.

L’intéressé conserve, pendant le temps où il est suspendu, le bénéfice des émoluments mentionnés au 1° de l’article R. 6152-23, c’est-à-dire une grande partie de sa rémunération. Toutefois, lorsqu’une décision de justice lui interdit d’exercer, ses émoluments subissent une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de leur montant.

Ce sont des dispositions similaires à celles applicables aux agents publics fonctionnaires et contractuels de droit public.

Seul le délai est différent puisque, à l’issue de la procédure disciplinaire ou lorsqu’aucune décision n’est intervenue dans le délai de cinq mois (contre 4 mois pour les agents publics) à compter de la suspension, cette dernière prend fin et l’intéressé reçoit de nouveau l’intégralité de ses émoluments. Toutefois, lorsque l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales, sa situation n’est définitivement réglée qu’après que la décision rendue par la juridiction judiciaire saisie est devenue définitive.

Le CNG peut donc, lorsqu’un praticien fait l’objet d’une procédure disciplinaire, suspendre ce dernier pour une durée maximum de 5 mois qui semble pouvoir être prolongé en cas de poursuite pénales durant laquelle lorsqu’une décision de justice lui interdit d’exercer, ses émoluments subissent une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de leur montant.

Ce type de suspension a une limite : il faut qu’une procédure disciplinaire soit engagée par le CNG, ce qui peut prendre du temps… C’est pourquoi, pour face à des situations urgentes, le juge administratif a créé un autre type de suspension relevant de l’autorité fonctionnelle de gestion, le Directeur d’Etablissement.

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La suspension du praticien hospitalier par le directeur d’établissement

Le Conseil d’Etat considère que, compte tenu des pouvoirs qu’il tient de l’article L6143-7 du Code de la santé publique, le Directeur d’un établissement peut légalement, pour assurer la continuité du service et prévenir de graves incidents, décider, à la seule condition, d’en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, de suspendre celui-ci de ses activités cliniques et thérapeutiques au sein du centre hospitalier (Conseil d’Etat, n°279822, 1er mars 2006).

La condition de la suspension d’un praticien par le Directeur d’Etablissement était « d’assurer la continuité du service et de prévenir de graves incidents », laissant une assez large de manœuvre aux établissements.

Mais le juge suprême a récemment renforcé les conditions de cette possibilité de suspension en conditionnant cette dernière à des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients (Conseil d’État, 5ème, 05/02/2020, 422922).

Par conséquent, si la suspension d’un praticien hospitalier était possible pour assurer la continuité du service et prévenir de graves incidents, le juge suprême a renforcé les conditions pour utiliser cette possibilité en précisant que le directeur de l’établissement peut suspendre le praticien avec maintien de sa rémunération dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients.

A titre d’exemple, si, sous l’empire de la jurisprudence de principe du 1er mars 2006 – assurer la continuité du service et prévenir de graves incidents- la Cour administrative d’appel de Nancy a pu considérer comme justifiée la suspension d’un praticien exerçant ses fonctions de manière isolée, sans respecter les règles de procédure, de fonctionnement et de soins instaurées au sein du service des urgences afin d’assurer la transmission des informations relatives aux patients entre les médecins de garde (Cour administrative d’appel, Nancy, n°16NC00862, 12 décembre 2017), la Cour administrative d’appel de Nantes a pu considérer que, dans le cadre de la jurisprudence de principe du 5 février 2020 -circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients -que bien que pouvant justifier l’engagement d’une procédure disciplinaire et perturber le bon fonctionnement du service, de sérieuses difficultés relationnelles au sein d’un service consécutives au comportement d’un praticien ayant des propos agressifs envers ces trois anesthésistes, un refus de communiquer oralement avec elles, notamment dans le cadre des transmissions à l’issue des gardes, et plus généralement un refus de se plier aux protocoles décidés en réunion et le non-respect des règles de constitution des plannings de garde, n’était pas de nature à mettre en péril la continuité du service ou la sécurité des patients et, partant, justifier une suspension sur le fondement de l’article L6143-7 du Code de la santé publique (CAA de NANTES, 3ème chambre, 26/05/2023, 22NT01718).

La cour administrative d’appel de PARIS a également pu considérer récemment que si l’agression physique de la fille d’un patient du service de cardiologie où un praticien exerçait, faisant suite à d’autres incidents, altercations verbales, propos désobligeants et humiliants à l’égard de médecins de l’établissement, de patients et de familles de patients, étaient grave, ils ne compromettaient pas de manière grave et imminente la continuité du service et ne faisaient courir des risques pour la santé des patients justifiant une suspension en application de l’article L6143-7 du code de la santé publique (CAA, Paris, 21/04/2023, n°21PA01650).

La Cour administrative d’appel de Nantes a, de son côté, considéré que la prise en charge inadaptée d’au moins deux patients avec séquelles ou risques de séquelles présentait un caractère de gravité et de vraisemblance suffisant pour justifier une mesure de suspension (CAA, Nantes, 9 février 2024, n°22NT03913).

La suspension d’un praticien hospitalier n’est par conséquent possible, par le directeur d’établissement que dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients ; le juge appréciant de manière sourcilleuse l’impact des comportements sur la mise en péril de la continuité du service et la sécurité des patients.

Une avancée pour les PH mais un obstacle pour les Directions qui se trouvent juridiquement démunis en cas de situation qui ne sont pas exceptionnelles où ne sont pas mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients mais nécessite des actions fortes notamment managériales du fait de la latence du CNG…

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