Fonction publique : rappel du droit de se taire

Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : "Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi". Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.

Le rappel du droit de se taire : décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023
Droit de se taire : désormais applicable à toute sanction ayant le caractère d'une punition.

Principes fondamentaux du droit pénal

Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition.

Application à la procédure disciplinaire en droit de la fonction publique

Sur l’application de cette décision à la procédure disciplinaire en droit de la fonction publique :

Position et réaction du Conseil d’État

Encore récemment, pour le Conseil d’État, il résultat des décisions du Conseil constitutionnel n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, n° 2021-894 QPC et n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021 relatives au principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, que ce principe avait seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale.

Conseil d’État, 24 juin 2023 n° 473249

Le CE refusait donc de transmettre au Conseil constitutionnel la QPC interrogeant la constitutionnalité des dispositions applicables au litige tendant au prononcé d’une sanction disciplinaire à l’encontre d’un magistrat du siège, faute de prévoir la notification à l’intéressé de son droit de se taire.

Ce quand bien même les informations communiquées par l’agent au cours de la phase disciplinaire pourraient être transmises ultérieurement au juge pénal.

Dès lors, comment recevoir le paragraphe 9 de la décision du Conseil constitutionnel n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 ?

Portée de la décision

Le communiqué de presse du Conseil précise, s’il en était besoin, la portée du paragraphe 9 de cette décision du 8 décembre 2023 : « En des termes inédits, le Conseil constitutionnel juge que ces exigences impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire. »

Pour certains auteurs1, cette décision « étend le principe du droit de se taire (et son corollaire, la notification du droit au silence) à « toute sanction ayant le caractère d’une punition », en l’espèce à la procédure disciplinaire applicable aux notaires. Le paragraphe 9 concerne donc toutes les poursuites disciplinaires, professionnelles ou autres.

Conséquences et obligations

Applicable également au pouvoir de sanction dévolu aux autorités administratives indépendantes (de caractère pourtant non judiciaire et souvent non juridictionnel), que vise généralement cette définition de la sanction, le paragraphe 9 étend le « droit de se voir notifier le droit de se taire » à toute procédure sanctionnatrice. ».

Limites et critiques

Si en l’espèce le Conseil rejette la requête, c’est sur le terrain de l’incompétence de l’extension à laquelle il procède du droit de se taire aux procédures disciplinaires relève d’un Obiter dictum.

En théorie donc, « la généralisation opérée par le paragraphe 9 de la décision commentée n’oblige ni le pouvoir réglementaire ni les différentes instances sanctionnatrices non pénales, puisque, comme tout Obiter dictum, elle n’est pas le soutien nécessaire du dispositif. Elle n’est donc pas revêtue de l’autorité de chose jugée que confère aux décisions du Conseil constitutionnel l’article 92, alinéa 3, de la Constitution. ».2

Dans la même logique, Régis de Gouttes soutenait que « si l’autorité des décisions du Conseil constitutionnel s’attache non seulement au dispositif, mais aussi aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, ces décisions ne s’imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives et juridictionnelles qu’en ce qui concerne le texte soumis à l’examen du Conseil ».3

« Il n’en demeure pas moins que l’affirmation de principe a une « autorité jurisprudentielle persuasive »4 et que « l’autorité (…) de la décision interprétative du Conseil constitutionnel se justifie par un impératif de sécurité juridique, dans l’intérêt même des justiciables »5. En toute hypothèse, elle sera susceptible d’inspirer une ou plusieurs QPC. Son autorité morale et intellectuelle poussera, à n’en pas douter, à généraliser le droit de se taire à toute procédure susceptible de conduire au prononcé d’une mesure ayant le caractère d’une punition. »6

Cette extension fait craindre une transposée sans nuance au droit disciplinaire de tous les principes fondamentaux du droit pénal. Ses conséquences demeurent toutefois imprévisibles.

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Conclusion

Il est toutefois possible d’estimer que le droit de se taire ainsi élargi pourrait s’appliquer à la procédure disciplinaire prévue aux articles L. 530-1 à L. 533-6 du Code général de la fonction publique. La faute d’un agent public se définissant comme un manquement à ses obligations professionnelles ou statuaires, l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre témoigne en effet de la volonté de l’employeur public de sanctionner un comportement fautif.

La procédure disciplinaire conduit au prononcé d’une sanction disciplinaire par l’autorité administrative. Cette sanction est un acte administratif unilatéral à contenu punitif et vise à réprimer une faute plus qu’à la prévenir.

L’employeur public aurait ainsi l’obligation de notifier à l’agent public concerné son droit au silence, dès l’engagement de la procédure disciplinaire, sans quoi les droits de l’agent en défense s’en trouveraient compromis.


Références :

  1. Jean-Pierre Camby et Jean-Éric Schoettl, Droit de se taire : parlons-en !, La lettre juridique, janvier 2024 – https://www.lexbase.fr/article-juridique/104174069-jurisprudence-droit-de-se-taire-parlonsen
  2. Ibid.
  3. Concl. R. de Gouttes, Revue française de droit constitutionnel 2002/1 (n° 49)
  4. B. Genevois, Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international, Rev. Française de droit adm., 1999, p. 298, et Le Conseil constitutionnel et le droit pénal international, observations complémentaires, juillet 1999, p. 717, L. Favoreu, La Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et l’article 66 de la Constitution, D. 1986, chron., p. 169, G Drago, revue administrative 2011 n° 324, p. 637– O Delsaunier, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2011 n° 30.
  5. Concl. R. de Gouttes, préc. Note 3
  6. J-P Camby et J-E Schoettl, précédemment cités

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