Partager la publication "L’utilisation des réseaux sociaux par les salariés : quelles incidences sur la gestion du personnel ? "

Au stade du recrutement, l’entreprise peut-elle se servir d’informations publiées par des candidats sur les réseaux sociaux ?
Si les réseaux sociaux offrent de nombreuses opportunités pour les RH, notamment en matière de communication de la marque employeur, et de diffusion des offres d’emploi, les recruteurs ou employeurs peuvent être tentés de se servir d’informations sur les candidat(e)s diffusés sur ces réseaux pour arrêter leur choix entre les candidats. Cette question est loin d’être neutre : le fait pour un recruteur d’apprendre, via un réseau social, qu’une candidate est mère de deux enfants en bas âge ou qu’un candidat est syndiqué, risque d’avoir une conséquence négative sur le choix du candidat retenu. Théoriquement, l’utilisation de telles informations tombe sous le coup de l’interdiction de discriminations à l’embauche, punie en cas de violation d’un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. Par ailleurs, le recours à des informations publiées par des candidats à l’emploi sur des réseaux sociaux pourrait être assimilé à des méthodes et techniques d’aide au recrutement au sens des articles L. 1221-6 et suivants du Code du travail, qui imposent à l’employeur d’informer le comité social et économique des méthodes de recrutement utilisées (C. trav., art. L. 2323-32).
Ces interdictions/obligations risquent cependant, dans bien des cas, de rester lettre morte car un recruteur qui écarte un candidat en raison d’informations personnelles glanées sur un réseau social se gardera bien de le lui dire.
Sans doute conscients de la difficulté d’appliquer les textes existants en la matière, les professionnels du recrutement n’hésitent pas à délivrer quelques recommandations en la matière. Une charte des cabinets de recrutement, intitulé » Réseaux sociaux , internet, vie privée et recrutement « , signé par le MEDEF et l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, incite à privilégier les réseaux sociaux professionnels (LinkedIn plutôt que Facebook) afin de diffuser des offres, d’entrer en relation avec des candidats, et de n’utiliser ni les moteurs de recherche, ni les réseaux sociaux, comme outils d’enquête pour collecter des informations d’ordre personnel, voire intimes, même si celles-ci sont rendues accessibles par les utilisateurs eux-mêmes.
Le salarié peut-il être sanctionné pour des propos tenus sur les réseaux sociaux ?
Oui, le salarié peut être sanctionné en raison de ses publications sur les réseaux sociaux, même si elles ont été diffusées hors temps de travail. Ce pouvoir de sanction de l’employeur est toutefois limité :
- Par principe, tout salarié dispose d’une liberté d’expression dans et hors de l’entreprise, qui lui permet, via les réseaux sociaux, de tenir des propos, même critiques, au sujet de ses conditions de travail, de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise.
Les propos tenus ne deviennent sanctionnables que si le salarié commet un abus, et, à cet égard, les tribunaux considèrent généralement qu’il y a abus lorsque le salarié, par les propos tenus, transgresse ses obligations de discrétion, de loyauté ou qu’il se montre injurieux vis-à-vis de ses collègues ou de l’employeur. Ainsi, a manqué à son obligation de confidentialité et commis une faute grave la salariée, engagée en qualité de chef de projet export par une société de fabrication de vêtements, qui a publié sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été présentée exclusivement aux commerciaux de la société (Cass. soc., 30 sept. 2020, n°19-12.058). De même, le fait pour une salariée d’avoir réalisé un défi Facebook vidéo, au cours duquel elle s’est mise en scène, face caméra d’un téléphone portable, dans l’enceinte de l’établissement, déguisée d’une perruque, assise sur un fauteuil roulant de l’établissement, avec un scotch sur la bouche et les mains liées par une bande de contention, et a fait participer ses collègues, qui l’ont arrosée à l’aide de seaux d’eau et d’un tuyau d’arrosage de l’établissement, crée une atteinte à l’image de l’entreprise et des résidents qu’elle accueille (CA Reims, ch. soc., 16 nov. 2016, n° 15/03197). En revanche, le simple fait pour un manager sportif de pratiquer une activité sportive dans une salle concurrente et de diffuser des images de son entraînement sur un réseau social, dans le cadre de sa vie personnelle, ne constitue pas une méconnaissance des obligations découlant de son contrat de travail (Cass. soc., 23 oct. 2024, n°23-18.381) ; - Tout dépend de la « publicité » donnée par le salarié à ces propos : les juges tiennent en effet compte de la « visibilité » du message injurieux. Si les propos litigieux ne sont accessibles qu’aux personnes qui ont été « agréées » comme amies de celui ou celle qui les diffuse, ils relèvent de la vie privée du salarié et sont donc protégés par le respect de la correspondance privée.
Pour pouvoir être sanctionnés, les propos tenus sur les réseaux sociaux doivent donc identifier, ou permettre l’identification, de l’employeur ou de l’entreprise, et ils doivent présenter un caractère public que l’employeur doit prouver. A titre d’illustration, les propos échangés au sein d’un groupe Facebook fermé, intitulé « extermination des directrices chieuses », accessible uniquement à des personnes agréées et peu nombreuses (14 membres), relèvent d’une conversation de nature privée et ne justifient pas un licenciement pour faute grave (Cass. soc., 12 sept. 2018, n° 16-11.690). Il convient toutefois de noter sur ce point que la jurisprudence n’est pas complètement stabilisée : certains tribunaux retiennent, à l’appui d’une sanction disciplinaire, des propos tenus sur un réseau social accessible aux seuls amis de celui qui les tient, dès lors que l’employeur en a eu connaissance par l’un des « amis » du salarié…
Le salarié est-il en faute si les publications litigieuses ont été diffusées pendant le temps de travail ?
Pas nécessairement. Il est en effet admis un usage modéré et raisonnable par les salariés, à des fins privées, de l’ordinateur professionnel, et donc d’internet. Concrètement, cela signifie que si les publications ne sont pas injurieuses, ne caractérisent pas un manquement à une obligation de discrétion ou de loyauté, et ne sont accessibles qu’à un groupe restreint d’amis du salarié, l’employeur ne peut pas se baser sur le simple fait qu’elles ont été publiées pendant le temps de travail pour sanctionner le salarié. Une sanction n’est possible qu’en cas d’utilisation abusive des réseaux sociaux par un salarié durant son temps de travail. A titre d’exemple, commet une faute grave le salarié qui a usé de la connexion Internet de l’entreprise, à des fins non professionnelles, pour une durée totale d’environ quarante et une heures durant le mois de décembre (Cass. soc., 18 mars 2009, n°07-44.247).
Dès lors, comment l’employeur peut-il limiter l’utilisation par les salariés des réseaux sociaux, au moins pendant le temps de travail ?
Si l’employeur ne peut interdire l’utilisation par le salarié des réseaux sociaux pendant leur temps de repos, il peut, à titre préventif des règles de bonne conduite et de contrôle sur l’utilisation du matériel informatique de l’entreprise à des fins privées. Ces règles, à définir en étroite collaboration avec les institutions représentatives du personnel, doivent être intégrées au règlement intérieur de l’entreprise et dans la charte informatique lorsque celle-ci existe. Le règlement intérieur ou/et la charte informatique peuvent ainsi limiter l’usage par le salarié du matériel mis à sa disposition pour l’exécution de son travail ainsi que limiter et surveiller les connexions internet à des fins privées : restriction sur les sites web non-professionnels, règles concernant l’utilisation des ordinateurs, tablettes, logiciels ou téléphones fournis par l’entreprise, bonnes pratiques pour la protection contre les cyberattaques, … La charte aide à prévenir les abus et les utilisations inappropriées des outils informatiques, protégeant ainsi à la fois les intérêts de l’entreprise et ceux des salariés. Elle contribue également à sensibiliser le personnel aux enjeux de la cybersécurité et au respect de la législation en vigueur en matière de technologies de l’information. En outre, en cas d’abus par un salarié dans l’utilisation du matériel à des fins privés, l’existence de la charte conduit à considérer qu’il était parfaitement informé des règles à respecter en la matière.
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En conclusion, on ne peut que conseiller :
- aux salariés d’être prudents quant aux contenus de leurs publications sur les réseaux sociaux, sans perdre de vue que la diffusion de leurs messages hors temps de travail ne leur confère pas un totem d’immunité,
- aux chefs d’entreprises de se doter d’une charte informatique pour sensibiliser ses salariés aux bonnes pratiques à suivre en la matière !