Transparence des salaires : ces entreprises qui jouent cartes sur table

La transparence des salaires n’est pas un usage répandu en France, que ce soit au sein d’une entreprise ou dans la vie privée. À la question : combien gagnes-tu ? Beaucoup d’entre nous contournent cette interrogation en évoquant une fourchette salariale. Face à ce tabou, les inégalités salariales ont prospéré sans que l’on puisse réellement mesurer leurs étendues.

Dans un souci de transparence notamment initié par la RSE, les entreprises sont invitées – pour ne pas dire progressivement contraintes avec la nouvelle directive européenne (2023/970 du 10 mai 2023)  – à communiquer sur leur politique de rémunération auprès de leurs parties prenantes.

Transparence des salaires : ces entreprises qui jouent cartes sur table
Transparence salariale : ces entreprises qui cassent les codes et misent sur l’équité.

Ces entreprises qui montrent l’exemple

En France

Shine : une start-up avant-gardiste qui mise sur la communication

Shine est une banque française en ligne qui s’est rapidement imposée sur le marché à destination des TPE, PME et travailleurs indépendants. Voulant dépoussiérer le modèle financier des banques traditionnelles, l’équipe Shine s’évertue depuis sa création à communiquer sur ses valeurs et sa volonté de s’adapter aux besoins de ses utilisateurs.

Ainsi, Shine a mis en place une grille salariale[1] consultable par ses salariés dès 2018.

Trois critères principaux sont pris en compte dans cette grille salariale :

  1. le métier, avec différents niveaux allant de débutant à expert/inspirateur ;
  2. l’ancienneté dans la vie active, ce qui permet de prendre en compte la carrière de chaque salarié et pas seulement son ancienneté au sein de l’entreprise Shine ;
  3. un bonus par personne à charge, afin de prendre en compte la réalité économique des salariés ayant à leur charge des enfants ou des parents dépendants.

La communication est bien rodée dans ce groupe, avec une volonté affirmée :

  • de lutter contre les inégalités salariales ;
  • d’être transparent sur ce que l’entreprise estime être un salaire convenable selon chaque poste et profil de salarié ;
  • de faire évoluer tous les ans la grille salariale, afin de maintenir un niveau de rémunération supérieur à la moyenne, de fidéliser ses employés et d’attirer les meilleurs talents.

Concrètement, Shine utilise un outil d’analyse des marchés afin de déterminer un salaire de base cohérent pour chaque profil. Afin que le mode de calcul de chaque salaire soit le plus compréhensible possible, l’entreprise a également créé un simulateur de salaire en ligne pour ses salariés et candidats à un poste.

Alan : une transparence au service de la performance

Alan est une entreprise d’assurance santé pour les TPE et PME. Tout comme Shine, Alan mise sur une communication active et transparente concernant sa politique de rémunération[2]. Cependant, quelques différences sont à noter concernant les valeurs de cette entreprise l’ayant poussé à rendre publique sa grille salariale.

La lutte contre les inégalités salariales fait bien évidemment partie des objectifs avancés. À côté de cette responsabilité sociétale, Alan mise sur la performance de ses collaborateurs en incitant les progressions de carrière. En résumé – au-delà du salaire de base – les employés chez Alan sont mieux rémunérés :

  • en cumulant de l’ancienneté au sein de l’entreprise ;
  • en atteignant leurs objectifs en termes de performance

En outre, Alan assume refuser la négociation salariale lors des entretiens de recrutement. Cette position fait écho au strict respect de sa grille salariale, interdisant ainsi toute négociation individuelle.

Lucca : des salariés qui déterminent leur propre rémunération

Lucca est une entreprise commercialisant des logiciels RH. Ici la transparence salariale est intimement liée à une forme de responsabilité des salariés concernant leurs rémunérations.

En effet – chez Lucca[3] – les salariés qui cumulent plus de 3 ans d’ancienneté au sein de l’entreprise peuvent déterminer librement leur rémunération. Ces salariés peuvent par la suite renégocier leur salaire tous les ans. Le partage d’information concernant les éléments validés par le responsable RH et le manager lors de cette procédure permet de mettre fin aux négociations individuelles opaques. L’objectif est de fidéliser ses salariés – tout en respectant les réglementations à venir.

À l’étranger : Buffer avec une totale transparence sur les salaires de chaque employé

Outre-Atlantique, nombreuses sont les entreprises qui adoptent des politiques plus ambitieuses en ce qui concerne la transparence salariale. Buffer[4] – une plateforme de gestion des réseaux sociaux – a intégré cette politique dès 2013. Cette entreprise mise sur la transparence la plus totale, en communiquant au grand public le salaire de chacun de ses employés. Cette pratique peut être critiquable et contrevenir au respect de la vie privée en France. Cependant, d’autres pratiques de cette société peuvent inspirer nos entreprises françaises :

  • un salaire calculé selon le poste occupé et le coût de la vie du lieu de résidence du salarié ;
  • dans un souci d’équité, un même salaire entre les salariés occupant le même poste, à compétences égales ;
  • une formule de calcul pour les salaires facilement compréhensible et communiquée au grand public ;
  • l’interdiction de négociations salariales individuelles pouvant entraîner des inégalités, avec en contrepartie des salaires au-dessus de la moyenne du marché afin d’attirer et de fidéliser les meilleurs talents.

La transparence salariale joue ici un rôle de régulation des inégalités au-delà de l’entreprise, intégrant notamment le niveau de vie selon la localisation géographique.

De la théorie à la pratique : réussir la transparence salariale pas à pas

Voici plusieurs pratiques concrètes de transparence salariale, inspirées de ce que font les entreprises pionnières en la matière.

Réaliser un audit de rémunération en interne

Un tel audit avec la mise en place d’une grille salariale permet :

  • d’identifier les écarts de rémunération qui ne reposent pas sur des critères objectifs (entre hommes et femmes, entre services…) ;
  • de garantir un salaire cohérent selon le poste occupé, le niveau de responsabilité et les pratiques du marché ;
  • de répondre aux obligations légales (ex. : index de l’égalité professionnelle) en effectuant les correctifs nécessaires.

Cet audit peut être réalisé en interne au sein de l’équipe RH avec la coopération des dirigeants et des managers ou en faisant appel à un cabinet d’expertise.

Redéfinir et rendre accessible la grille salariale

La transparence salariale passe inévitablement par la communication des critères d’évaluation des salaires. Les RRH, managers et salariés doivent clairement comprendre comment est calculé chaque salaire, selon le poste et l’ancienneté.

Pour cela, la grille salariale représente le format le plus pratique. Ce document permet également de satisfaire les obligations légales en matière d’index d’égalité salariale. Les entreprises peuvent ainsi facilement justifier de l’équité des salaires entre les hommes et les femmes.

Concrètement, voici les principaux critères utilisés pour établir une grille salariale :

  • le poste occupé, avec pour chaque poste une fiche descriptive des missions attendues, des compétences clés et des critères permettant une montée en compétence ou une promotion ;
  • la localisation du poste (Paris ou en province) ;
  • le niveau de responsabilité et le degré d’autonomie, afin d’établir une fourchette salariale permettant une certaine flexibilité dans le calcul de la rémunération.

Voici un exemple de grille salariale, à compléter selon les besoins de chaque entreprise.

Tableau des niveaux
Niveau Intitulé générique Expérience (années) Fourchette salaire brut annuel (€) Critères d’évolution
N1 – Débutant Employé junior 0–2 28 000 – 35 000 Autonomie
N2 – Confirmé Employé confirmé 2–5 35 000 – 45 000 Maîtrise du poste, formateur
N3 – Senior Employé senior 5–8 45 000 – 60 000 Expertise, capacité à résoudre des problèmes complexes
N4 – Expert / Lead Référent technique / Chef de projet 8–12 60 000 – 75 000 Leadership, gestion transversale
N5 – Manager / Directeur Responsable d’équipe / Manager / Directeur 10+ 75 000 – 95 000 Vision stratégique, gestion d’équipe

Bon à savoir : une grille salariale doit être révisée idéalement tous les ans. Cette révision permet d’éviter un décalage entre les salaires versés et les évolutions sociétales (ex. : métiers émergents, coût de la vie, développement du télétravail…).

Impliquer les équipes dans la construction de la grille salariale

L’un des objectifs de la transparence salariale est d’éviter la partialité ainsi que l’opacité dans la fixation des salaires. De ce fait, l’implication des équipes RH et des managers est vivement conseillée dans :

  • la création et la révision de la grille salariale ;
  • les décisions de répartition collective concernant les compléments de salaire (ex. : bonus, prime…).

Les salariés peuvent également participer le cas échéant, selon la politique de l’entreprise. Cette stratégie permet de renforcer le sentiment d’équité et de confiance vis-à-vis de l’entreprise.

Communiquer sur la politique de rémunération

Une bonne communication va de pair avec une politique de transparence. Une entreprise qui s’évertue à établir une grille salariale sur des critères objectifs doit rendre accessibles ces données.

Au-delà de la communication des grilles salariales, les responsables RH et les managers sont invités à présenter :

  • la politique de rémunération de l’entreprise (ex. : privilégier l’ancienneté ou favoriser la performance) ;
  • les critères de progression salariale pour chaque poste.

Pour cela, les RRH peuvent publier différentes informations sur l’intranet de l’entreprise (ex. : nouveaux critères d’évaluation des salaires) et distribuer des fiches informatives en PDF ou format papier.

Choisir les bons outils de communication

Plusieurs outils permettent de communiquer efficacement sur sa politique de transparence salariale :

  • un simulateur de rémunération – disponible en interne ou sur le site de l’entreprise ;
  • une FAQ dédiée à la rémunération (ex. : Quel est le salaire de base par métier ? Quels sont les bonus proposés ? Existe-t-il une indemnité pour le télétravail ?).

Les entreprises peuvent également organiser des réunions d’information ou des ateliers RH pour une communication proactive sur leur politique salariale.

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 TRANSPARENCE SALARIALE : TRANSFORMER L’OBLIGATION EN AVANTAGE STRATÉGIQUE 

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  • Identifier les principales dispositions de la directive européenne sur la transparence des rémunérations, y compris en amont du recrutement et l’obligation d’information des salariés.
  • Utiliser des outils de diagnostic pour identifier et corriger les écarts de rémunération au sein de l’entreprise.
  • Évaluer les risques juridiques et financiers liés au non-respect des obligations de transparence salariale.
  • Mettre en place une politique de rémunération transparente et équitable conforme aux exigences légales et aux bonnes pratiques.

Quels sont les bénéfices attendus pour les entreprises ?

Au-delà de respecter et d’anticiper les réglementations à venir concernant la transparence salariale (directive du 10 mai 2023 transposée en droit interne au plus tard le 7 juin 2026), les entreprises peuvent :

  • améliorer l’engagement de leurs salariés, en misant sur l’équité et une reconnaissance objective des compétences de chacun ;
  • inciter à une évolution de carrière, avec des critères concrets et chiffrés permettant de prétendre à une montée en compétence et à une augmentation de salaire ;
  • fidéliser les talents, avec une rémunération non arbitraire qui est perçue comme un élément de motivation ;
  • renforcer leur marque employeur, avec une stratégie salariale éthique et engagée.

Avec l’entrée en vigueur de la nouvelle directive européenne sur la transparence des salaires, de plus en plus d’entreprises seront contraintes de s’y astreindre (entreprises de + 100 salariés). Celles qui ne sont pas concernées – pour l’instant – seront incitées à leur emboîter le pas.

En effet, l’on peut légitimement s’attendre à ce que les salariés comparent les rémunérations proposées par chaque entreprise. Celles qui ne jouent pas le jeu de la transparence pourraient rapidement être soupçonnées d’appliquer des critères subjectifs ou des salaires revus à la baisse par rapport au marché.

Les entreprises françaises – quelle que soit leur taille – sont donc invitées à rendre public leur politique de rémunération à des fins réglementaires, mais également concurrentielles.


Références :

  1. Callède, M. (2022, 10 février). La transparence des salaires chez Shine
  2. Alan. Au clair sur les salaires. (2020, 3 novembre)
  3. La boîte pratique by Lucca (2023, 7 novembre). Laisser les salariés fixer leurs propres salaires : quelles règles suivre pour favoriser l’engagement ?
  4. Transparent Salaries | Buffer. (s. d.). Buffer : All-you-need Social Media Toolkit For Small Businesses.

 

 

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