Partager la publication "Les règles de prescription en matière d’action disciplinaire"
Quelles règles de prescription s’appliquent aux fautes disciplinaires commises avant le 22 avril 2016 ?
Le Conseil d’Etat a été amené à préciser que le délai de prescription est immédiatement applicable aux procédures en cours mais il ne peut courir qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi, soit à compter du 22 avril 2016. Ainsi, des faits reprochés à un agent dans le cadre d’une procédure disciplinaire initiée en 2015 pouvaient être invoqués par l’administration dans un délai de trois ans à compter du 22 avril 2016, alors même qu’ils ont été commis en 2008 et 2009 (2). En effet, juge ledit Conseil, lorsqu’une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d’une action disciplinaire dont l’exercice n’était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est immédiatement applicable aux procédures en cours mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Une procédure pénale interrompt-elle le délai de prescription ?
L’article L. 532-2 du CGFP précise qu’en cas de poursuites pénales exercées à l’encontre du fonctionnaire, ce délai est interrompu jusqu’à la décision définitive :
- de classement sans suite ;
- de non-lieu ;
- d’acquittement ;
- de relaxe ;
- ou de condamnation.
Comment s’articule procédure pénale et poursuite disciplinaire ?
Passé ce délai, et si aucune autre procédure disciplinaire n’a été engagée à l’encontre de l’agent avant l’expiration de ce délai, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d’une procédure disciplinaire
Il convient de rappeler que l’autorité d’emploi n’est pas liée par une procédure pénale engagée. En outre, elle peut engager une procédure disciplinaire quand bien même le juge pénal ne s’est pas encore prononcé. A l’inverse, l’autorité investie du pouvoir disciplinaire peut attendre le prononcé du juge pénal, mais il doit s’appuyer sur la matérialité des faits reconnus pénalement.
Les deux procédures étant autonomes : un même agent peut, pour les mêmes faits :
- Être condamné pénalement et sanctionné disciplinairement ;
- Être relaxé au pénal, mais sanctionné disciplinairement ;
- Être condamné au pénal, mais non sanctionné disciplinairement ;
- Ou encore être relaxé et non sanctionné disciplinairement.
La procédure disciplinaire et la procédure pénale sont donc indépendantes l’une de l’autre, mais jusqu’à un certain point seulement, en effet :
- la procédure disciplinaire peut s’appuyer sur des éléments issus de la procédure pénale.
Aussi, l’autorité disciplinaire peut-elle faire état dans la procédure disciplinaire d’informations recueillies au cours d’une instruction judiciaire, dès lors qu’elles sont portées à la connaissance de l’intéressé (3). En outre, un agent peut être sanctionné pour des faits qu’il a avoués au cours d’une procédure judiciaire, même si celle-ci n’était pas arrivée à terme et même si l’intéressé a, par la suite, rétracté ses aveux (4). En revanche l’administration ne peut se fonder sur les seuls indices graves et concordants relevés par un juge d’instruction pour en déduire que les faits reprochés et leur imputabilité à l’agent sont établis (5).
- et l’autorité investie du pouvoir disciplinaire ne peut passer outre les considérations du juge du fond. Ainsi, lorsque le juge pénal a établi l’inexactitude matérielle des faits, l’autorité de la chose jugée empêchera l’administration de sanctionner l’agent, car cela reviendrait à nier le jugement au fond.
En revanche, du moment que leur inexactitude matérielle n’a pas été établie, des faits pourront donner lieu à sanction disciplinaire même si l’agent a fait l’objet, au pénal :
- d’une relaxe pour vice de procédure (6) ;
- d’une relaxe tirée de ce que les faits ne sont pas établis ou de ce qu’un doute subsiste sur leur réalité (7) ;
- d’une relaxe faute de caractérisation des faits reprochés en raison des irrégularités du rapport de police ; l’administration n’a pas méconnu son obligation de loyauté à l’égard de l’agent en fondant la sanction sur les conclusions de ce rapport (8) ;
- d’un classement sans suite (9) ;
- d’un acquittement (10) ;
- ou encore d’un abandon des poursuites en raison de l’annulation de la procédure d’instruction (11).
Ainsi, dans tous ces cas, l’administration et le juge administratif peuvent apprécier par eux-mêmes la matérialité des faits.
En revanche, l’administration ne peut se fonder sur les seuls indices graves et concordants relevés par un juge d’instruction pour en déduire que les faits reprochés et leur imputabilité sont établis (12).
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POUVOIR DISCIPLINAIRE DANS LA FONCTION PUBLIQUE
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En cas d’interruption du délai de prescription du fait d’une procédure pénale, à quelle date recommence-t-il à courir ?
C’est à cette question que le Conseil d’Etat a dû répondre dans une décision du 24 juin 2025 (13). En l’espèce, un professeur certifié détaché auprès de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), a été définitivement condamné, par un arrêt du 26 février 2016 d’une cour d’assises statuant en appel, à une peine de dix années de réclusion criminelle pour des faits de complicité de violences volontaires avec arme, suivies d’une mutilation ou d’une infirmité permanente sur une personne chargée d’une mission de service public. Après que la rectrice de l’académie de Lille l’a informé par courrier de l’engagement d’une procédure disciplinaire à son encontre et après avis favorable de la commission administrative paritaire académique, siégeant en formation disciplinaire, le ministre de l’Education nationale a prononcé sa révocation pour motif disciplinaire par un arrêté du 23 septembre 2019. Cet arrêté a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Lille, confirmé par la cour administrative de Douai, c’est dans ce cadre que le ministre se pourvoit en cassation devant le Conseil d’Etat.
Pour ce dernier, doit être regardée comme une décision pénale définitive au sens des dispositions de l’article L. 532-2 du CGFP une décision devenue irrévocable. Et le délai de prescription recommence à courir pour trois ans à compter de la date à laquelle le caractère irrévocable de la décision est acquis, sans qu’ait d’incidence la date à laquelle l’administration prend connaissance de cette décision.
En revanche, précise le Conseil d’Etat, dans la même décision, quand l’administration n’avait aucune connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits jusqu’à ce qu’elle découvre l’existence d’une condamnation définitive, c’est la date à laquelle l’administration est informée de cette condamnation qui constitue le point de départ du délai de trois ans.
La date d’engagement des poursuites correspond à celle à laquelle l’intéressé s’est vu notifier l’engagement d’une procédure disciplinaire de la part de l’administration.
Par ailleurs, lorsqu’une loi nouvelle institue, sans comporter de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, un délai de prescription d’une action disciplinaire dont l’exercice n’était précédemment enfermé dans aucun délai, le nouveau délai de prescription est applicable aux faits antérieurs à la date de son entrée en vigueur mais ne peut, sauf à revêtir un caractère rétroactif, courir qu’à compter de cette date. Par suite, lorsque, selon le cas, la date à laquelle l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits, ou la date à laquelle est devenue irrévocable la décision mettant fin à la procédure pénale engagée à raison de ces faits, est antérieure au 22 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016, le délai de trois ans court à compter du 22 avril 2016. Dans ces conditions le Conseil d’Etat décide que le ministre n’est pas fondé à exercer des poursuites disciplinaires, le délai de prescription ayant été dépassé.
A noter que le délai de prescription de l’action disciplinaire n’est pas applicable aux sapeurs-pompiers volontaires qui n’ont pas la qualité de fonctionnaire. Ils sont soumis aux dispositions du code de la sécurité intérieure qui ne prévoient aucun délai de prescription pour engager une action disciplinaire à leur encontre (14).
Références :
- Loi n° 2016-483 du 20 avril 2016, relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaire, publiée au Journal officiel du 21 avril 2016 ;
- CE, 20 décembre 2017, M. B., requête n° 403046 ;
- CE, 9 juin 1982, M. Cherqui, requête n°34129 ;
- CE, 26 juillet 1982, Ministre de l’Intérieur c/ M. Simon, requête n° 34740 ;
- CAA Paris, 1er avril 2019, M. B., requête n° 18PA02590 ;
- CE, 4 mars 1992, M. Rossi, requête n° 89545 ;
- CE, 11 mai 1956, Sieur Chomat, requête n° 23524 ;
- CAA Marseille, 21 janvier 2025, M. B., requête n° 24MA01554 ;
- CE, 4 novembre 1949, Sieur Patrolin ;
- CE, 19 novembre 1955, Sieur Dupoux ;
- CE, 11 juin 1999, M. G., requête n° 185169 ;
- CAA Paris, 1er avril 2019, M. B., requête n° 18PA02590 ;
- CE, 24 juin 2025, ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, requête n° 476387 ;
- CAA Marseille, 4 juin 2024, M. B., requête n° 23MA02234.