Partager la publication "Le syndrome de Peter : mythe managérial ou vérité RH embarrassante ?"

Plus troublant encore : 42% des entreprises ont recruté un cadre qui était déjà connu ou recommandé en 2023, selon independant.io témoignant d’une promotion interne massive. Pourtant, seuls 8% des salariés français se déclarent engagés au travail, plaçant le pays en dernière position en Europe.
Cette équation impossible interroge : et si le célèbre syndrome de Peter, théorisé en 1969, n’était pas la fatalité managériale qu’on croit ? Et si cette théorie, qui postule que « dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence », cachait en réalité un problème bien plus profond ?
Car dans les entreprises transformées par l’agilité, la transversalité et l’arrivée imminente de la génération Z – qui place l’autonomie et la flexibilité au cœur de ses exigences – cette théorie vieille de 55 ans résiste-t-elle encore à l’analyse ? Ou bien est-elle devenue un alibi managérial commode, voire un bouc émissaire pour masquer l’échec des politiques RH ?
Entre mythe séduisant et réalité embarrassante, le syndrome de Peter révèle surtout l’urgence d’une transformation radicale des pratiques de promotion et de développement managérial.
Le syndrome de Peter : une théorie séduisante mais dangereusement simpliste
« Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence. » Cette formule cinglante de Laurence J. Peter, énoncée en 1969 dans son ouvrage The Peter Principle, continue de résonner dans les couloirs d’entreprise plus d’un demi-siècle après sa publication.
Le mécanisme décrit paraît implacable : un collaborateur performant est promu à un poste supérieur, puis encore promu en cas de succès, jusqu’à atteindre un niveau où il n’a plus les compétences requises. Là, il stagne, créant ce que Peter appelait le « plateau d’incompétence ».
Cette théorie séduit encore aujourd’hui parce qu’elle offre une grille de lecture simple à des dysfonctionnements complexes. Elle trouve même une validation empirique partielle : l’étude de grande ampleur menée par Alan Benson, Danielle Li et Kelly Shue confirme que les meilleurs employés promus ne sont pas toujours les meilleurs managers. Cette réalité explique pourquoi tout salarié a déjà questionné – à tort ou à raison – les compétences de son manager.
Mais attention au piège ! Le principe de Peter présente des limites dangereuses qui peuvent transformer une observation satirique en fatalisme managérial. D’abord, son caractère initialement humoristique : Peter et Hull ont conçu leur théorie sur un ton parodique, pas scientifique. Ensuite, sa vision déterministe ignore complètement les mécanismes d’accompagnement, de formation et de développement des soft skills.
Enfin, elle entretient l’idée toxique que la compétence technique n’est jamais convertible en compétence managériale.
Cette approche réductrice devient particulièrement problématique dans le contexte actuel. Les entreprises transformées par l’agilité et la transversalité nécessitent des managers capables d’évoluer, de s’adapter et d’apprendre. Réduire l’échec managérial au seul « syndrome de Peter » revient à ignorer les véritables responsabilités organisationnelles et à justifier l’inaction des RH.
Quand l’entreprise fabrique ses propres « incompétents »
Si le syndrome de Peter persiste, c’est peut-être parce que les entreprises créent elles-mêmes les conditions parfaites pour générer de l’incompétence managériale. Car derrière chaque « manager incompétent » se cache souvent une organisation qui a échoué à l’accompagner.
La promotion sans filet : recette parfaite pour l’échec
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 42% des entreprises ont recruté un cadre qui était déjà connu ou recommandé en 2023. Cette promotion interne massive se fait pourtant sans accompagnement structuré. Résultat ? Le nouveau manager se retrouve livré à lui-même, contraint d’apprendre « sur le tas » dans un rôle qui exige des compétences radicalement différentes de son poste précédent.
Cette logique du « learning by doing » transforme chaque promotion en expérimentation hasardeuse. Un excellent commercial devient directeur commercial du jour au lendemain, sans formation au management d’équipe, à la gestion budgétaire ou à la conduite de réunion. L’entreprise mise sur ses qualités intrinsèques et espère que « ça passera ». Spoiler : ça ne passe pas toujours.
L’ancienneté comme unique critère : la prime aux « loyaux »
Plus pernicieux encore : le système de promotion basé sur l’ancienneté plutôt que sur le potentiel managérial. Cette logique récompense la fidélité et évite les « outsiders » par confort organisationnel. Mais elle confond dramatiquement loyauté et leadership.
Cette approche génère ce que les experts appellent des « managers accidentels » : des collaborateurs promus par défaut, qui n’ont ni sollicité ces responsabilités ni développé les compétences pour les assumer. Face aux nouveaux défis du management transversal, où il faut « faire travailler ensemble des équipes aux fonctions différentes et issues de différents services », ces profils se trouvent démunis.
L’évaluation du potentiel : quand les RH se trompent de critères
Le piège le plus subtil réside dans la confusion entre performance passée et potentiel futur. Les RH évaluent souvent le potentiel managérial en se basant sur la performance opérationnelle, sans évaluation comportementale approfondie. Cette méthode ignore que manager nécessite des compétences spécifiques : empathie, capacité d’écoute, aptitude à fédérer, intelligence émotionnelle.
Pire : dans un contexte où le métier de manager « fait de moins en moins rêver » selon l’étude BCG-IPSOS de 2019, et où plus de 80% des managers trouvent leur job plus compliqué qu’auparavant, les entreprises continuent de promouvoir selon d’anciens critères. En France, seuls 32% des managers interrogés estiment que leur fonction comporte plus d’avantages que d’inconvénients.
Cette inadéquation entre réalité du terrain et processus RH crée un cercle vicieux : des managers mal préparés, dans un contexte difficile, avec des équipes de moins en moins disposées à subir un management défaillant. Le syndrome de Peter n’est alors que la conséquence logique d’un système défaillant.
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Un symptôme révélateur : quand Peter démasque les vraies failles RH
Et si le syndrome de Peter n’était pas un problème en soi, mais le symptôme d’un dysfonctionnement plus profond ? Cette théorie révèle en réalité trois failles structurelles majeures dans les politiques RH d’aujourd’hui.
Le symptôme d’un déficit stratégique RH
Le « syndrome de Peter » masque souvent une absence criante de vision long terme dans la gestion des talents. Les promotions se font par réflexe, pour combler un poste vacant, sans véritable stratégie de développement managérial. Cette approche réactive contraste avec les besoins d’une époque où les managers doivent être accompagnés dans la durée pour réussir, dans un contexte de transformation sans précédent.
Les entreprises fonctionnent encore selon des réflexes anciens alors que l’environnement s’est radicalement transformé. Le management transversal impose pourtant désormais de créer des ponts entre les différents acteurs de l’entreprise, nécessitant des compétences que les parcours traditionnels ne développent pas. Face à ces mutations, les RH continuent de promouvoir selon des critères obsolètes.
L’illusion du « droit à l’erreur » managériale
Paradoxe français : on parle beaucoup de droit à l’erreur, mais 90% des entreprises françaises ont « un droit à l’erreur faible culturellement ». Cette réalité transforme chaque promotion managériale en pari risqué sans filet de sécurité. Le nouveau manager n’a pas le droit d’échouer, mais n’a pas non plus les outils pour réussir.
Cette culture de l’infaillibilité empêche l’apprentissage par l’expérimentation. Pourtant, dans un monde où nous sommes obligés de faire des hypothèses, l’erreur devient inévitable. Les entreprises les plus agiles l’ont compris : elles développent une « hygiène collective » basée sur le feedback et le retour d’expérience, permettant d’apprendre des réussites comme des échecs.
La révolution silencieuse des attentes
Le syndrome de Peter révèle aussi un décalage générationnel majeur. Les nouvelles générations, qui placent l’autonomie et la flexibilité au cœur de leurs exigences, rejettent massivement les managers « incompétents » issus de promotions défaillantes. Cette génération, qui considère que “aimer son travail constitue un prérequis absolu au bonheur”, ne tolère plus le management par défaut.
Plus révélateur encore : le modèle traditionnel de promotion interne est à bout de souffle. Les parcours de carrière se redéfinissent, avec une disparition progressive d’un système de progression vertical et linéaire au profit d’évolutions multi-directionnelles et flexibles. Cette mutation transforme le syndrome de Peter en anachronisme : les talents de demain ne suivront plus des parcours prévisibles où l’incompétence peut s’installer durablement.
Face à ces transformations, maintenir le syndrome de Peter comme grille de lecture équivaut à soigner les symptômes en ignorant la maladie. Les RH doivent accepter une vérité dérangeante : ce ne sont pas les managers qui deviennent incompétents, ce sont les systèmes de promotion qui sont inadaptés.
Dépasser le « plafond de verre inversé » : les solutions
Le syndrome de Peter représente en réalité un « plafond de verre inversé » : une barrière invisible qui empêche les organisations de développer des managers performants. Mais des solutions émergent, testées par les entreprises les plus innovantes.
Dissocier expertise et management : la fin du « tout hiérarchique »
La première révolution consiste à créer des parcours managériaux dissociés des parcours experts. Cette approche, inspirée des entreprises tech comme Google ou Amazon, reconnaît que l’excellence technique et le leadership managérial constituent deux compétences distinctes, méritant des valorisations équivalentes.
Cette séparation permet de résoudre l’équation impossible du syndrome de Peter : plutôt que de promouvoir l’expert vers un poste managérial inadapté, l’entreprise lui offre une progression dans sa filière d’expertise. Parallèlement, elle identifie les profils naturellement portés vers l’animation d’équipe et les développe spécifiquement dans cette voie.
Concrètement, cela se traduit par des grilles salariales parallèles, des formations spécialisées et surtout un changement culturel majeur : l’évolution horizontale devient aussi valorisée que l’évolution verticale.
Créer de vrais « sas de promotion » : l’expérimentation managériale
Les entreprises les plus agiles instaurent des « sas de promotion » révolutionnaires : des périodes d’essai managérial de 6 mois avec possibilité de retour au poste précédent sans préjudice. Cette approche transforme la promotion en expérimentation assumée, libérant les candidats de la pression de réussir absolument.
Ces sas s’accompagnent d’un triptyque d’accompagnement : coaching individualisé, mentoring par un manager expérimenté, et observation terrain avec feedback régulier. L’objectif ? Développer les compétences managériales en situation réelle, tout en préservant les carrières en cas d’inadéquation.
Cette méthode révolutionne la culture d’entreprise : elle légitimise l’expérimentation et démystifie le management. Plus besoin de « managers accidentels » : seuls les profils réellement adaptés et motivés accèdent aux postes de responsabilité.
Révolutionner la culture du feedback : l’apprentissage par l’erreur
Le développement du feedback continu constitue le troisième pilier de cette transformation. Les entreprises qui réussissent cette évolution partagent un point commun : les managers font beaucoup de feedback, notamment positif, comme un coach qui va guider le collaborateur.
Cette culture du feedback permanent permet d’identifier rapidement les difficultés et d’ajuster les accompagnements. Elle s’appuie sur une acceptation de l’erreur comme partie intégrante d’un processus d’amélioration continue, transformant chaque échec en opportunité d’apprentissage.
Les outils se modernisent : plateformes de feedback 360°, évaluations continues, et surtout rituels d’équipe réguliers permettant de partager ses échecs plutôt que de les cacher.
Cette transparence crée un environnement propice au développement managérial.
La mobilité horizontale comme nouvelle réussite
Enfin, la révolution la plus profonde concerne la redéfinition même du succès professionnel. La mobilité horizontale, longtemps perçue comme un échec ou une stagnation, devient un enrichissement valorisé. Cette approche « portfolio » de la carrière correspond parfaitement aux attentes des nouvelles générations.
Cette évolution impose de repenser les indicateurs RH : plutôt que de mesurer uniquement les promotions verticales, les entreprises évaluent l’enrichissement des compétences, la polyvalence développée et l’adaptabilité acquise. Le « parcours en mosaïque » remplace progressivement l’ascension linéaire.
Cette transformation s’accompagne d’une révolution culturelle : l’entreprise abandonne la logique de « carrière à vie » pour adopter celle de « développement permanent ». Dans ce contexte, le syndrome de Peter devient obsolète : les talents évoluent latéralement avant d’atteindre leur seuil d’incompétence, maintenant leur engagement et leur performance.
Vers un management post-Peter : la fenêtre d’opportunité
Plus d’un demi-siècle après sa formulation, le syndrome de Peter révèle sa vraie nature : non pas une fatalité managériale, mais le symptôme d’un système RH à bout de souffle. Cette théorie, née dans l’entreprise hiérarchique des années 1960, devient un anachronisme dans l’organisation agile de 2025.
La crise actuelle – managers désengagés, nouvelles générations exigeantes, transformation digitale accélérée – constitue paradoxalement une opportunité historique. Les entreprises qui accepteront de remettre en question leurs pratiques de promotion découvriront un gisement de performance insoupçonné.
Car la révolution est déjà en marche. D’ici 2030, 800 000 postes seront à pourvoir chaque année, dont 90% liés aux départs des baby-boomers. Cette vague de renouvellement générationnel offre une fenêtre unique pour réinventer les pratiques managériales.
Les organisations qui investiront dès maintenant dans la formation managériale continue, qui créeront des parcours d’évolution non-linéaires et qui développeront une culture du feedback bienveillant prendront une longueur d’avance décisive. Elles attireront les talents de demain – ces jeunes qui veulent « aimer leur travail » – pendant que leurs concurrents s’enliseront dans les schémas d’hier.