Partager la publication "Collaborateurs aidants : le défi invisible que les RH ne peuvent plus ignorer "
Pourtant, ce phénomène n’a rien d’anecdotique. D’ici 2030 – soit dans moins de cinq ans – un salarié sur quatre occupera ce rôle d’aidant. Pas en 2050, pas dans une génération : demain. Le vieillissement démographique transforme progressivement nos organisations, et les responsables RH se retrouvent face à un défi qu’ils n’ont pas forcément vu venir. Comment accompagner ces collaborateurs qui portent une double charge ? Comment éviter que leur épuisement ne se transforme en départ, en arrêt longue durée, ou simplement en désengagement silencieux ?
Car l’aidance reste largement invisible en entreprise. Seulement un tiers des salariés aidants informent leur employeur de leur situation, par peur d’être stigmatisés ou freinés dans leur évolution professionnelle.
Résultat : les organisations peinent à mesurer l’ampleur du phénomène, et encore plus à y répondre. Pendant ce temps, le coût humain et économique s’alourdit. L’urgence n’est plus à la réflexion, mais à l’action. Pour les RH, anticiper ce tsunami démographique n’est plus une option : c’est une nécessité stratégique.
2030, c’est demain : comprendre l’ampleur du phénomène
Un basculement démographique sans précédent
Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et ils dessinent un paysage RH en pleine mutation. Aujourd’hui, 20 % des salariés sont déjà aidants. Dans cinq ans à peine, cette proportion grimpera à 25 %. Ce n’est pas une projection hasardeuse, c’est une certitude démographique.
La France vieillit, et ce vieillissement s’accélère. Selon l’Insee, la population des plus de 60 ans, estimée aujourd’hui à 15 millions de personnes, atteindra 20 millions en 2030, puis 24 millions en 2060. Quant aux plus de 85 ans, ils passeront de 1,4 million en 2021 à 5 millions en 2060.
Cette évolution mécanique produit un effet direct sur le monde du travail. Chaque collaborateur devient potentiellement un aidant, parfois sans même le savoir au départ. L’accompagnement d’un proche ne se décrète pas : il s’installe progressivement, au fil des hospitalisations, des pertes d’autonomie, des diagnostics qui tombent. Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est pas un sujet de fin de carrière.
Un profil qui échappe aux stéréotypes
L’aidance touche désormais des collaborateurs en pleine vie professionnelle. L’âge moyen d’entrée dans l’aidance est passé de 39 ans en 2021 à 33 ans en 2024. À 33 ans, on construit sa carrière, on cherche à évoluer, à prendre des responsabilités. On ne s’attend pas forcément à devoir accompagner un parent malade ou un enfant en situation de handicap.
Les aidants ne correspondent pas non plus à un profil unique. Si 62 % d’entre eux sont des femmes, tous les genres, tous les âges et toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernés. Certains apportent un soutien moral, d’autres gèrent les démarches administratives, d’autres encore assurent les actes de la vie quotidienne. En moyenne, un salarié aidant consacre 9,6 heures par semaine à l’aide d’un proche, principalement leurs parents dans 34 % des cas. Mais pour ceux qui vivent sous le même toit que la personne aidée, ce temps grimpe à 15,6 heures. Pour ceux qui accompagnent leur conjoint, il atteint même 15,6 heures hebdomadaires.
Ces heures-là ne s’ajoutent pas simplement aux 35 heures de travail. Elles s’y imbriquent, créant une charge mentale permanente, une disponibilité fractionnée, une fatigue qui s’accumule. Et pendant ce temps, l’entreprise continue de tourner, souvent sans rien savoir de cette double vie.
Le coût de l’inaction : quand l’invisible pèse lourd
Un tabou qui coûte cher
L’aidance en entreprise souffre d’un problème majeur : elle reste cachée. Seuls 34 % des salariés aidants ont informé leur employeur de leur situation. Les trois quarts préfèrent se taire, par crainte d’être stigmatisés ou de voir leur carrière freinée. Ce silence n’est pas anodin. Il place les managers dans une position inconfortable : comment accompagner ce que l’on ne voit pas ? Comment adapter l’organisation du travail quand on ignore qu’un collaborateur enchaîne une journée de bureau et une soirée d’accompagnement médical ?
59 % des DRH considèrent l’aidance comme un sujet tabou, et 49 % des managers partagent ce constat. Résultat : 75 % des managers restent dans le flou total concernant la situation réelle de leurs équipes. Ce non-dit a un prix. Et ce prix n’est pas seulement humain, il est aussi économique.
Les chercheurs l’estiment entre 20 et 30 milliards d’euros par an pour le secteur privé, incluant absences et baisse de productivité. Un coût invisible qui se répercute sur l’ensemble des organisations. L’absentéisme progresse d’ailleurs de manière significative : parmi les 42 % de salariés ayant reçu un arrêt maladie en 2024, 51 % étaient aidants, contre 42 % l’année précédente. Cette hausse révèle une réalité que les entreprises ne peuvent plus ignorer.
Des impacts en cascade sur l’organisation
Au-delà des absences comptabilisées, c’est la santé mentale des collaborateurs qui vacille. 44 % des salariés aidants se déclarent en difficulté sur le plan psychologique. Ce chiffre grimpe encore plus pour certains profils : 60 % de ceux qui aident leur conjoint, 58 % de ceux qui vivent sous le même toit que la personne aidée. L’épuisement n’est pas qu’une question de fatigue physique. Il touche au moral, à la capacité de concentration, à l’engagement au travail. 51 % des aidants sont confrontés à un épuisement physique et psychique pouvant aller jusqu’au burn-out, 38 % à un isolement social, et 36 % à un état dépressif.
Les conséquences sur les parcours professionnels sont tout aussi préoccupantes. 36 % des salariés aidants ont été confrontés à au moins une forme de discrimination professionnelle en raison de leur situation. Promotions refusées, formations inaccessibles, passages forcés à temps partiel, changements de poste subis. Certains vont même jusqu’à quitter leur emploi. 20 % des salariés aidants craignent d’être contraints de démissionner, et ce risque concerne particulièrement ceux qui aident leur enfant (40 %) ou vivent avec la personne aidée (42 %).
Le présentéisme constitue l’autre face de ce problème. Ces collaborateurs qui viennent travailler malgré la fatigue, qui restent physiquement présents mais mentalement absents. Un tiers d’entre eux déclarent même travailler davantage pour compenser une baisse de productivité. Cette surcharge volontaire masque une réalité : ils s’épuisent en silence.
Une urgence RH masquée
Le cercle vicieux est simple à comprendre : tant que les aidants se taisent, les entreprises ne mesurent pas l’ampleur du phénomène. Sans visibilité, pas d’accompagnement. Sans accompagnement, la situation s’aggrave jusqu’à la rupture. Et pendant ce temps, managers et DRH surestiment leur capacité à gérer le sujet. 82 % des managers et 78 % des DRH se disent à l’aise pour échanger avec un salarié sur sa situation d’aidant. Pourtant, seulement 43 % des salariés aidants pensent que leurs managers et DRH sont réellement à l’aise avec ce sujet.
Cet écart de perception révèle un angle mort dans la gestion RH. Les entreprises croient maîtriser le sujet alors qu’elles ne font qu’effleurer la surface. L’urgence est bien là, mais elle reste masquée par le silence et l’invisibilité.
Agir maintenant : de l’anticipation à l’action
Briser le silence : sensibiliser pour révéler
La première bataille à mener est celle de la visibilité. Tant que l’aidance reste un sujet personnel, voire honteux, aucune politique RH ne pourra véritablement porter ses fruits. Il faut créer les conditions du dialogue, et cela passe d’abord par la sensibilisation. Former les managers devient indispensable. Ils sont en première ligne, au contact quotidien des équipes, et pourtant beaucoup ne savent pas repérer les signaux faibles : un collaborateur qui multiplie les retards, qui refuse systématiquement les déplacements professionnels, qui semble constamment préoccupé. Ces indices ne relèvent pas forcément d’un manque d’engagement, mais peut-être d’une double vie épuisante.
82 % des DRH et 80 % des managers voient l’intérêt de suivre des sessions de sensibilisation sur la question de l’aidance. C’est un signal positif, mais encore faut-il passer de l’intention à l’action. Ces formations doivent permettre d’aborder le sujet sans maladresse, de comprendre les dispositifs légaux existants, et surtout d’adopter une posture d’écoute bienveillante.
Informer les collaborateurs constitue l’autre pan de cette sensibilisation. Beaucoup de salariés aidants ignorent leurs droits. 70 % d’entre eux se déclarent intéressés par des formations pour mieux appréhender leur situation. Communiquer sur les congés légaux, sur l’AJPA qui offre désormais 264 jours d’indemnisation sur l’ensemble d’une carrière, ou encore sur les possibilités d’aménagement du temps de travail permet de lever une partie du voile.
La désignation d’un référent aidant au sein de l’entreprise représente une piste concrète et plébiscitée. Ce référent, souvent lui-même aidant ou ancien aidant, peut devenir un pont entre les collaborateurs concernés et la hiérarchie, facilitant les échanges et dédramatisant le sujet.
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Structurer une politique d’accompagnement
Une fois le sujet mis sur la table, encore faut-il proposer des réponses concrètes. La flexibilité apparaît comme le levier le plus efficace. Les salariés aidants ont besoin de temps et de souplesse. 63 % d’entre eux ont besoin d’une baisse temporaire de leur charge de travail pendant les moments critiques : début de l’aidance, aggravation de l’état de santé du proche, ou leur propre fragilisation. Cette baisse pourrait osciller entre 20 et 33 %, sur une durée d’au moins six mois.
Le télétravail constitue une autre piste, même s’il ne peut être la réponse unique. Le télétravail permet de gagner du temps sur les trajets, d’être disponible pour un rendez-vous médical en milieu de journée, mais il ne règle pas tout. Il peut même, dans certains cas, brouiller encore davantage les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle.
Le don de jours de congés entre collègues offre une solidarité concrète. Prévu par le Code du travail depuis plusieurs années, ce dispositif reste sous-utilisé. Pourtant, il permet à un salarié aidant confronté à une situation d’urgence de bénéficier de jours supplémentaires offerts par ses collègues. Au-delà de l’aspect pratique, cette démarche renforce la cohésion d’équipe et crée un lien d’entraide.
L’accès à des services d’accompagnement peut aussi soulager ces salariés. Mettre en relation les aidants avec des care managers, des assistantes sociales, ou des associations spécialisées dans le répit leur offre un soutien extérieur.
Inscrire ces mesures dans des accords collectifs leur donne une légitimité et une pérennité. Certaines branches montrent déjà la voie. L’accord du 9 janvier 2025 de l’industrie pharmaceutique en est un exemple éclairant. Les partenaires sociaux y reconnaissent que « la question des salariés aidants est un défi actuel et futur, au cœur des enjeux stratégiques des entreprises, tant en matière d’inclusion, de performance économique que de santé et de qualité de vie au travail ». Ce secteur, engagé dans la santé, assume sa responsabilité sociétale et impulse une politique concrète pour accompagner les aidants. Cette démarche prouve qu’intégrer l’aidance dans le dialogue social ne relève pas de l’utopie, mais bien d’une volonté collective de transformer un enjeu de société en levier d’action.
Transformer la contrainte en opportunité
Accompagner les salariés aidants n’est pas qu’une obligation morale ou une charge supplémentaire pour l’entreprise. C’est aussi une opportunité stratégique. 81 % des DRH interrogés pensent que les compétences des salariés aidants peuvent être un levier de performance.
Ces collaborateurs développent en effet des aptitudes précieuses : gestion des priorités, organisation rigoureuse du temps, capacité d’adaptation, résilience, empathie. Autant de qualités transférables dans le cadre professionnel et bénéfiques à l’ensemble de l’organisation.
Ce qu’il faut retenir
2030 n’est pas un horizon lointain. C’est dans moins de cinq ans, le temps d’un plan stratégique, d’un renouvellement de mandat. Et pourtant, c’est à cette échéance que les entreprises devront compter avec un quart de leurs effectifs en situation d’aidance.
Cette projection n’est pas une hypothèse : c’est une certitude démographique. Le vieillissement de la population française transforme en profondeur le visage du salariat, et les responsables RH ne peuvent plus se permettre d’attendre que le problème se pose pour y répondre.
L’urgence est à l’anticipation. Passer du réactif au proactif, c’est se donner les moyens de structurer une politique cohérente avant que la situation ne devienne ingérable. C’est aussi reconnaître que l’aidance n’est pas un sujet marginal, réservé à quelques cas individuels, mais bien un enjeu collectif qui concerne l’ensemble de l’organisation. Former les managers, sensibiliser les équipes, créer des espaces de dialogue, structurer des dispositifs d’accompagnement : autant d’actions concrètes qui permettent de briser le silence et d’offrir des réponses adaptées.