L’influence du droit européen sur le droit social français. À quoi s’attendre dans les mois à venir ?

Conséquence de la supériorité du droit international sur le droit national, le droit de l’Union européenne s’impose au droit français.

Le droit européen bénéficie même d’une supériorité particulièrement forte, appelée “primauté”, et d’un effet direct au profit des individus.

En France, la primauté du droit de l’Union européenne est prévue depuis 1958 à l’article 55 de la Constitution.

Parmi les sources du droit européen, nous trouvons d’abord les Traités, accords adoptés par tous les États membres qui définissent notamment les objectifs poursuivis par l’UE. En application des traités, viennent ensuite les directives et la jurisprudence de la Cour de justice européenne, auxquelles s’ajoutent des règlements et des accords collectifs.

Le principe est que le droit français se mette nécessairement en conformité avec le droit européen. Comment le fait-il ? À défaut, que se passe-t-il ? Quelle est l’influence du droit de l’UE sur le droit social français et à quelles évolutions s’attendre dans les mois à venir ?

L’influence du droit européen sur le droit social français. À quoi s’attendre dans les mois à venir ?
La danse complexe entre le droit français et le droit européen : une étreinte législative en constante évolution.

Le principe : la mise en conformité du droit français avec le droit européen

Comment le droit français s’adapte-t-il au droit européen ?

Si, en vertu du principe d’applicabilité directe, la plupart des textes européens sont directement intégrés au droit national, la directive, quant à elle, nécessite, pour qu’elle soit effective, une transposition par les États membres de l’UE dans leur droit national.

En France, cette transposition se fait par l’adoption d’une loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit français au droit de l’Union européenne. Une loi d’adaptation intègre, dans le Code du travail, non seulement des directives européennes, mais aussi des règlements ou des jurisprudences de la Cour de justice européenne.

La loi DDADUE

Voyons, par exemple, notre loi d’adaptation la plus récente. Il s’agit de la Loi n° 2023-171, du 9 mars 2023, dite loi DDADUE, qui transpose dans le Code du travail, deux Directives européennes, n°2019/1152 et 2019/1158 du 20 juin 2019 portant des dispositions relatives, d’une part, aux conditions de travail transparentes et prévisibles, et d’autre part, à l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants.

La loi DDADUE met le droit du travail français en conformité avec le droit européen sur les sujets suivants :

  • Transposition de la directive (UE) 2019/1152 du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne :

Période d’essai : il est mis fin à la dérogation permettant aux branches de conserver des durées de période d’essai supérieures aux durées légales.

Remise des informations principales relatives à la relation de travail : La loi fait peser sur l’employeur une nouvelle obligation générale d’information des salariés. La liste de ces informations a été fixée par le décret n°2023-1004 du 30 octobre 2023.

Information sur les postes à pourvoir au sein de l’entreprise : L’employeur devra informer des postes en CDI à pourvoir au sein de l’entreprise, tout salarié en CDD ou en intérim justifiant d’une ancienneté continue d’au moins six mois dans l’entreprise, qui en fera la demande.

  • Transposition de la directive (UE) 2019/1158 du 20 juin 2019 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants

Le congé parental :  il est ouvert à tout salarié ayant 1 an d’ancienneté à la date du départ en congé (art. L.1225-47 C.trav.).

La durée du congé parental d’éducation à temps partiel est assimilée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté (art. L.1225-54 C.trav.).

Enfin, le salarié conserve tous les avantages qu’il avait acquis avant le début du congé, notamment les congés payés non soldés.

Le congé de paternité et d’accueil de l’enfant : la période de ce congé est assimilée à des périodes de présence et sa durée à une période de travail effectif pour la détermination des droits que le salarié tient de son ancienneté. Par ailleurs, le salarié conserve le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquis avant le début du congé (art. L.1225-65 C.trav.)

Le congé solidarité familial et de proche aidant : le bénéfice de ces congés est étendu aux assistants maternels et aux salariés des particuliers employeurs.

La loi AUBRY

Un autre exemple : la directive n°2003/88/CE du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, transposée et introduite dans notre droit interne par la loi Aubry I de 1998.

Grâce au droit européen et sa mise en conformité dans le droit français, chaque salarié doit bénéficier de temps de repos minimums : un temps de pause, un repos entre deux journées de travail d’au moins onze heures, un repos hebdomadaire d’au moins trente-cinq heures et le droit à̀ un congé annuel payé.

Cependant, la France n’est toujours pas en conformité avec le droit européen en matière de mesure du temps de travail, notamment du fait que certains salariés peuvent travailler plus de 48 heures par semaine.

Que se passe-t-il en l’absence de mise en conformité ?

Que se passe-t-il lorsque les normes européennes ne sont pas transposées dans le Code du travail par une loi ou que leur transposition dans le droit français est incomplète ou imprécise ?

Cette carence peut générer, d’une part, une certaine insécurité juridique pour les entreprises et les salariés ; et d’autre part, un certain nombre de litiges devant les tribunaux.

C’est alors que le juge peut intervenir soit pour compenser ces carences, soit pour trancher des divergences d’interprétation soit pour les mettre en lumière.  

Comblement d’un vide juridique par la jurisprudence sociale

Pour illustrer cette situation, prenons comme exemple l’obligation de l’employeur d’assurer la santé et la sécurité au travail de ses salariés.

Selon le droit européen, l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail. C’est sur le fondement de cette règle, non transposée dans le Code du travail, que la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans les arrêts « Eternit », n°00-11.793 du 28 février 2002, a pris l’initiative de combler le vide juridique laissé par le législateur, en élaborant la notion d’« obligation de sécurité de résultat » de l’employeur, en matière de prévention, qui permet la suspension d’une décision de l’employeur quand la réorganisation du travail projetée est de nature à compromettre la santé des travailleurs.

Intervention du juge lors de divergences entre le droit interne et le droit européen.

Les thèmes du barème Macron ou, plus récemment, de l’acquisition des congés payés durant l’arrêt maladie illustrent des conflits qui peuvent exister entre le droit français et le droit européen. Dans ces situations, il arrive que le juge tranche le conflit ou le mette en lumière pour inciter le législateur à légiférer.

Prenons l’exemple du barème Macron

L’application de ce barème, introduit par l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et défini à l’article L. 1235-3 du Code du travail, a suscité de vifs débats auprès des tribunaux. Des conseils de prud’hommes, suivis de cours d’appel, ont refusé de le mettre en œuvre, jugeant le montant plafonné attribué aux salariés trop faible, sur le fondement de plusieurs textes européens, notamment, la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et la charte sociale européenne.

Ces textes prévoient que les juges nationaux doivent pouvoir ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement injustifié.

De ce fait, de sérieuses divergences sont apparues entre les juridictions qui avaient validé l’application du barème créant une forte insécurité juridique des entreprises françaises.

La Cour de cassation, saisie par des conseils de prud’hommes sur la question de savoir si l’article L. 1235-3 du Code du travail, qui prévoit des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse minimale et maximale en fonction de l’ancienneté, est compatible avec les articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la convention européenne des droits de l’homme précités, a tranché. 

Depuis 2022, elle affirme, sans que sa position n’ait varié, que le barème Macron doit être appliqué, qu’il permet une indemnisation raisonnable de la perte injustifiée de l’emploi ainsi que le versement d’une indemnité adéquate ou d’une réparation considérée comme appropriée et que la situation concrète d’un salarié ne doit être appréciée que pour déterminer le montant de l’indemnité due entre les montants minimaux et maximaux, et non pour s’écarter du barème.

Plus récemment, la Cour de cassation, dans 3 arrêts du 13 septembre 2023, a pris l’initiative, en s’appuyant directement sur les directives européennes, d’écarter les dispositions du Code du travail, qui limitaient l’acquisition de congés payés en cas d’arrêt maladie, jugées non conformes au droit de l’Union européenne.

À travers ces arrêts, La Cour a consacré le droit au repos en cas de maladie et ainsi, mis en conformité le droit français avec le droit européen en matière de congés payés.

Trois enseignements découlent de ces décisions :

  • Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle.
  • En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, l’indemnité compensatrice de congés payés ne peut être limitée à un an.
  • La prescription du droit à congés payés ne commencera à courir que lorsque l’employeur aura mis le salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile

Cette décision de la Cour de cassation a provoqué une forte insécurité juridique pour les employeurs et les salariés qui s’interrogent et s’inquiètent de sa rétroactivité éventuelle.

Le Conseil Constitutionnel, saisi par la Cour de cassation de deux questions prioritaires de constitutionnalité, a jugé le 8 février 2024 que les dispositions du Code du travail sur les congés payés et la maladie étaient conformes à la Constitution. Tous les salariés acquièrent désormais des congés payés pendant le temps de leur arrêt.

Cette décision, qui ne remet pas en cause les solutions rendues par la Cour de cassation, ne rassurera pas les employeurs et risque d’entraîner une multiplication des contentieux.

À quoi s’attendre dans les mois à venir ?

Depuis le milieu des années 1970, le droit social européen imprègne de manière croissante notre droit du travail et se confronte à lui.

Une influence encore limitée mais croissante du droit européen sur le droit social français

Si, comme nous l’avons évoqué, le droit européen prime sur le droit national, le champ d’application du premier est, cependant, plus restreint que celui du second : la législation de l’UE n’est pas toute-puissante.

En effet, l’Union Européenne, selon le principe d’attribution, n’agit que dans les limites des compétences que les États membres lui ont attribuées dans les traités.

Selon le principe de subsidiarité, elle n’intervient dans ces domaines de compétence que si les objectifs de l’action envisagée ne sont pas suffisamment atteints par les États membres.

Et enfin, selon le principe de proportionnalité, l’Union européenne veille à ce que le contenu et la forme de son action n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs fixés dans les Traités. 

Cependant, son influence sur notre droit social est réelle et s’accroît significativement.

En effet, si la politique sociale, et notamment le droit du travail, relève de la compétence des États membres, l’Union, néanmoins, soutient et complète l’action des États dans les domaines suivants :

  • L’amélioration du milieu de travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs.
  • Les conditions de travail.
  • La protection des travailleurs en cas de résiliation du contrat de travail.
  • L’information et la consultation des travailleurs.
  • La représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs.
  • Les conditions d’emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l’Union.
  • L’égalité entre les femmes et les hommes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail.

D’ailleurs, les apports du droit social européen dans le droit interne ont été remarquables dans de très nombreux domaines. Outre ceux que nous avons évoqués précédemment, nous compléterons cette énumération avec deux exemples supplémentaires :

  • En matière de discrimination

Grâce au droit européen, de nouveaux critères ont été prévus : l’interdiction de discriminer une personne en raison de son orientation sexuelle ou de son âge, la définition des discriminations directes et indirectes ou encore l’aménagement de la preuve au bénéfice du demandeur….

  • Ou encore en matière d’accords collectifs

Les partenaires sociaux européens négocient et concluent des accords collectifs qui, pour certains, ont été repris dans le cadre de directives (travail à temps partiel, contrat à durée déterminée, congé parental…) ; d’autres accords ont été repris en droit interne dans le cadre d’accords nationaux interprofessionnels (télétravail, stress, harcèlement et violence au travail, etc.) qui devront être déclinés dans des accords de branches et d’entreprises pour devenir effectifs.

L’influence du droit européen sur notre droit ne va sans doute pas s’arrêter là. Des réformes se préparent certainement, vers un alourdissement de la législation sur les thématiques précitées, et notamment sur le sujet des violences au travail et du harcèlement.  

En effet, le 18 septembre 2023, le Conseil de l’Union Européenne a invité les États membres à ratifier la convention 190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement.

Cette convention établit des normes minimales pour lutter contre le harcèlement et la violence liés au travail et prévoit que tout signataire doit adopter une approche visant à éliminer la violence et le harcèlement dans le monde du travail avec pour objectif d’interdire en droit la violence et le harcèlement, d’adopter une stratégie globale afin de mettre en œuvre des mesures pour prévenir et combattre la violence et le harcèlement, ou encore de garantir l’existence de moyens d’inspection et d’enquête efficaces.  

La France a ratifié la convention 190 en avril 2023, ratification qui pourrait faire l’objet d’une loi d’adaptation dans les prochains mois.

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À quoi s’attendre dans l’avenir concernant les divergences existantes ?

Comme nous l’avons vu, l’imprégnation du droit européen dans le droit social français peut être source de divergences entre les normes européennes et les normes françaises, d’une part, et entre le législateur et le juge d’autre part, mettant à mal le besoin de sécurité juridique des entreprises et des salariés.

Que peuvent faire les employeurs face à cette insécurité juridique ?

Plusieurs solutions peuvent se présenter :

  • Soit attendre que le législateur légifère, ce qui serait la meilleure solution.

Concernant le droit à congés payés pendant la maladie, Élisabeth Borne, alors Première ministre, avait déclaré, lors d’une rencontre avec des PME, fin novembre 2023, souhaiter réduire au maximum l’impact de cette décision sur les entreprises et annoncé une loi pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen, au cours de ce premier trimestre 2024…

Concernant le barème « Macron », le comité des ministres du Conseil de l’Europe a recommandé le 6 septembre 2023 de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation sur l’indemnisation des licenciements abusifs « afin de garantir que les indemnités accordées » et « tout barème utilisé pour les calculer tiennent compte du préjudice réel subi par les victimes et des circonstances individuelles de leur situation ».

Est-ce que le législateur se saisira de ces sujets sensibles et préparera les réformes nécessaires ? À défaut, d’autres options pourraient éventuellement être envisagées :

  • Trouver une solution transactionnelle si des situations litigieuses ou potentiellement litigieuses devaient se présenter.
  • En cas de contentieux, invoquer la non-conformité au droit européen.

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