Partager la publication "La notion de sanction disciplinaire déguisée dans le secteur public"
De quels recours dispose un fonctionnaire qui s’estime victime d’une sanction déguisée ?
En premier lieu, un fonctionnaire peut exercer un recours gracieux ou hiérarchique au sein de son administration.
En cas de recours contentieux, le juge administratif n’est pas lié par les qualifications juridiques retenues par l’administration. Il est tenu d’examiner précisément les conséquences de la mesure sur la situation de l’agent et les motivations de l’administration. Dans ce cadre, il apprécie s’il s’agit d’une simple mesure d’ordre intérieur ou d’une mesure à caractère disciplinaire.
Il peut, ainsi, conclure à une qualification erronée et requalifier la décision en sanction déguisée. La qualification d’une décision en sanction déguisée entraîne l’annulation de la décision.
Quels sont les exemples de sanction déguisée ?
Il ne saurait être établi de liste exhaustive des décisions qualifiées de sanctions déguisées par le juge administratif. Celles-ci ont pour dénominateur commun d’affecter sérieusement le fonctionnaire dans sa situation et dans son emploi.
Toute mesure, générale ou individuelle, liée à l’organisation ou au fonctionnement du service, peut ainsi constituer une sanction déguisée. Cependant, le juge administratif ne qualifie pas systématiquement de sanction déguisée toute mesure de réorganisation de service affectant la situation d’un agent (2).
Ainsi, il doit rechercher si la décision a été prise dans l’intérêt du service et dans ce cas, la décision ne constitue pas une sanction déguisée, ou au contraire, dans le but de sanctionner illégalement, un agent déterminé, en le privant des garanties prévues par la procédure disciplinaire.
Aussi, pour déterminer si la mutation constitue une sanction déguisée, le juge examine-t-il si l’administration a eu l’intention de sanctionner l’agent, si la décision porte atteinte à la situation professionnelle de ce dernier et si elle est réellement motivée par les nécessités du service (3).
Néanmoins, même prise dans l’intérêt du service, une décision peut constituer une sanction déguisée dans la mesure où elle revêt, à l’égard du fonctionnaire, un caractère disciplinaire.
Ont, ainsi, été qualifiées par le juge administratif de sanctions déguisées :
- un maintien en suspension au-delà des délais prévus et le rejet de la demande de réintégration (4) ;
- une nouvelle affectation entraînant une diminution importante des responsabilités d’un agent (5) ;
- une affectation sur des fonctions ne correspondant pas au grade du fonctionnaire (6) ;
- une décision de suppression du régime indemnitaire fondée sur le fait que l’agent aurait commis des erreurs dans la gestion d’une opération qui lui était confiée (7) ;
- un changement d’affectation assorti d’une réduction notable des responsabilités et décidé dans un but punitif, peu de temps après le dépôt par l’intéressé de recours contentieux (8) ;
- un courrier adressé à un agent lui reprochant de perturber l’activité d’un service, qui comporte ainsi une appréciation négative sur sa manière de servir et qui a été versé à son dossier individuel (9) ;
- le non-renouvellement d’un agent contractuel fondé sur l’intérêt du service, alors que cette décision a en réalité été prise exclusivement en considération de sa personne et qu’il a par la suite été remplacé par un agent contractuel (10).
Par ailleurs, un conseil municipal ne peut instaurer par délibération, par principe, que l’infliction d’une sanction disciplinaire à un agent entraînerait d’office la réduction de son régime indemnitaire. Une telle délibération reviendrait à instituer une sanction disciplinaire de nature pécuniaire, non prévue par la loi qui définit de manière limitative les sanctions susceptibles d’être prises à l’encontre d’un fonctionnaire territorial (11).
Quels sont les exemples de décisions non qualifiées de sanctions déguisées par le juge administratif ?
Ont été qualifiées par le juge de simples mesures d’ordre intérieur, donc non susceptibles de recours en annulation devant la juridiction administrative :
- l’attribution de nouvelles fonctions en raison de l’accroissement de l’activité d’une bibliothèque, dès lors que cette décision n’a pas eu pour conséquence de décharger l’agent de ses autres attributions, ni de le mettre dans l’impossibilité de les exercer et n’a eu aucun effet pécuniaire (12) ;
- une décision retirant à un agent la régie de recettes de la cantine scolaire (13) ;
- une décision de changement d’affectation prise sans que le fonctionnaire n’ait effectué de demande en ce sens et malgré la circonstance que le nouvel emploi n’ouvre pas droit au bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) ; en effet, ce dernier ne dispose d’aucun droit à conserver son emploi ni à occuper un emploi relevant de la catégorie de ceux ouvrant droit à la perception de ladite NBI (14) ;
- une décision de changement d’affectation d’un agent à l’issue de sa suspension à titre conservatoire, dès lors qu’elle était motivée par l’intérêt du service, qu’une enquête administrative était diligentée à son encontre et que l’intention poursuivie n’était pas de sanctionner cet agent (15).
A noter, enfin, qu’une décision mettant fin à la mise à disposition d’un agent faisant l’objet d’une procédure pénale et d’une procédure disciplinaire ne constitue pas par elle-même une mesure disciplinaire, ni même une sanction (16).
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La mutation abusive est-elle constitutive d’une sanction déguisée ?
Au sein de la fonction publique territoriale ou hospitalière, la décision de mutation interne ne peut être prise à la place d’une procédure disciplinaire. En effet, elle ne constitue pas une sanction disciplinaire, dont la liste est limitativement fixée par l’article L. 533-1 du CGFP (17). Par conséquent, l’inapplicabilité des garanties de la procédure disciplinaire ne méconnaît pas les droits de la défense (18).
Le juge administratif vérifie les motifs et les conditions de la mutation pour déterminer s’il s’agit d’une sanction disciplinaire déguisée ou d’une simple mesure d’organisation du service.
Ainsi, pour déterminer si la mutation constitue une sanction déguisée, le juge examine si l’administration a eu l’intention de sanctionner l’agent, si la décision porte atteinte à la situation professionnelle de ce dernier et si elle est réellement motivée par les nécessités du service (19). Cependant, même si l’intérêt du service est prouvé, le juge examine les conditions dans lesquelles la mutation est prise.
Pour qualifier la mutation interne de sanction déguisée, le juge a par exemple retenu la perte de responsabilités, le déménagement ostentatoire d’un bureau et le manque de moyens matériels (20). Dans une autre espèce, a été reconnu illégal le changement d’affectation amoindrissant les responsabilités de l’agent et visant en réalité à sanctionner ce dernier pour son opposition à la candidature du maire (21). En revanche, la circonstance qu’une mutation d’office soit intervenue très peu de temps après une mise à pied ne peut suffire à caractériser l’existence d’une sanction disciplinaire (22). Enfin, la mutation doit s’effectuer sur un emploi précis, avec les moyens matériels adéquats.
Ont ainsi été annulées, par le juge administratif, les mutations :
- ayant pour effet de mettre un agent occupant un emploi fonctionnel dans l’impossibilité d’exercer ses attributions, puis de l’évincer de ses fonctions (23) ;
- retirant la plus grande part de ses attributions à un agent, soit en les lui retirant soit en lui ôtant les moyens matériels nécessaires à leur exercice (24) ;
- constituant un déclassement, en l’absence d’attribution d’une fonction précise (25).
Par ailleurs, la mutation n’étant pas une sanction, elle ne peut être motivée par :
- des agissements fautifs, pour lesquels une sanction disciplinaire avait été prise puis retirée (26) ;
- des faits qui ont déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire (27).
Le fait de devoir suivre un stage de formation avant la prise des nouvelles fonctions ne constitue pas une sanction disciplinaire déguisée (28).
Références :
- CE, 1er juillet 1988, M. B-M. V. c/ SNCF, requête n° 66405 ;
- CE, 28 octobre 1991, requête n° 86198 ;
- CE, 25 février 2013, requête n° 348964 ;
- CE, 23 décembre 1952, Commune de Sartène ;
- CE, 21 mars 1986, Ville de Bray-Dunes c/ M. David, requête n° 59110 ;
- CE, 11 février 1987, Ville d’Hyères c/ M. Blache, requête n° 72574 ;
- CE, 10 novembre 2010, Commune de Perros-Guirec, requête n° 326740 ;
- CAA Paris, 16 juillet 2015, Syndicat des eaux d’Ile-de-France ; requête n° 14PA03692 ;
- CAA Nancy, 18 avril 2018, requête n° 16NC02021 ;
- CAA Lyon, 25 août 2020, requête n° 18LY02213 ;
- CAA Paris, 11 mars 2020, requête n° 19PA00943 ;
- CE, 9 novembre 1992, requête n° 95102 ;
- CE, 6 octobre 1995, Commune de Saint-Soupplets, requête n° 97579 ;
- TA Paris, 8 août 2023, requête n° 2318491 ;
- CAA Marseille, 22 décembre 2023, requête n° 22MA00312 ;
- CAA Bordeaux, 6 juillet 2020, requête n° 18BX03246 ;
- L’article 533-1 du CGFP prévoit, au sein du 2e groupe, une sanction de « déplacement d’office dans la fonction publique de l’Etat » ;
- CE, 10 novembre 2021, requête n° 452314 ;
- CE, 25 février 2013, requête n°348964 ;
- CAA Paris, 18 mars 1997, ministre des Affaires sociales, de la Santé et de la Ville, requête n° 95PA02205 ;
- CAA Bordeaux, 3 avril 1997, Commune de Port-Vendres c/ M. Montane, requête n° 95BX01725 ;
- CAA Nancy, 19 juillet 2018, requête n° 17NC02273 ;
- CE, 30 juin 1986, Commune de Lambesc, requête n° 58136 ;
- CE, 3 novembre 1989, M. Fassiaux, requête n° 64678 ;
- CAA Lyon, 18 juin 1996, requête n° 95LY01668 ;
- CAA Nantes, 16 novembre 2001, requête n° 98NT00370 ;
- CAA Bordeaux, 2 juillet 2002, Ville d’Albi, requête n° 98BX02058 ;
- TA Poitiers, 14 mai 2003, requête n° 03141.