Congés payés et arrêts maladie : le droit français s’adapte à la réglementation européenne

Comme nous vous l’indiquions dans un précédent article, la Cour de cassation a rendu en septembre dernier plusieurs décisions[1] prévoyant que les arrêts maladie donnent droit à des congés payés, ce quel qu’en soit le motif, une règle prévue par le droit de l’Union européenne mais qui n’était jusqu’alors pas appliquée en France. Cette extension des droits à congés a des conséquences importantes pour les salariés et leurs employeurs. Afin de sécuriser juridiquement le dispositif, le Gouvernement prévoit d’adapter la réglementation pour donner le « mode d’emploi » en précisant les modalités de mise en œuvre de ce nouveau droit.

Congés payés et arrêts maladie : le droit français s’adapte à la réglementation européenne
Le droit français adapte ses règles sur les congés payés et les arrêts maladie pour se conformer à l'Union européenne.

La Cour de cassation contraint le législateur à légiférer sur les droits à congés payés consécutif à un arrêt de travail

La Cour constate en effet que la jurisprudence européenne « n’opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d’un congé de maladie […] et ceux qui ont effectivement travaillé ». Il s’agit en réalité d’une position attendue en ce qu’elle prévoit l’application en droit français d’une directive[2] européenne et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), obligeant les entreprises à appliquer les règles suivantes :

  • Les salariés malades ou accidentés auront droit à des congés payés sur leur période d’absence, même si cette absence n’est pas liée à un accident de travail ou à une maladie professionnelle ; 
  • En cas d’accident du travail, le calcul des droits à congé payé ne sera plus limité à la première année de l’arrêt de travail ;
  • La prescription du droit à congé payé ne commence à courir que lorsque l’employeur a mis son salarié en mesure d’exercer celui-ci en temps utile.

En résumé, les salariés peuvent désormais réclamer aux employeurs qui ne l’auraient pas fait les congés payés acquis pendant leurs arrêts maladie, cela rétroactivement depuis 2009[3], date du premier arrêt rendu par la Cour de justice. Avec des conséquences financières potentiellement très importantes pour l’entreprise à la clé (un montant de plusieurs milliards d’euros a été évoqué…).

Le Gouvernement, à qui revient la lourde tâche de transposer la règle dans le code du travail, doit trancher sur plusieurs points : quels sont les jours de congés concernés ? Sur quelle période de référence ? Faut-il prévoir une rétroactivité, et le cas échéant à partir de quelle date ?

Intégration d’un amendement « congés payés » dans un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne

Dans l’urgence et pour répondre aux vives inquiétudes des organisations patronales, le Gouvernement a intégré, et fait adopter en 1ère lecture le 18 mars dernier un amendement visant à adapter la réglementation. Une commission mixte paritaire est prévue le 9 avril et devrait, sauf surprise, adopter définitivement le texte.

Le texte assure la mise en conformité du droit français en prévoyant que les salariés dont le contrat de travail est suspendu par un arrêt de travail continuent d’acquérir des droits à congés, ce quelle que soit l’origine de cet arrêt (professionnelle ou non).

Rythme d’acquisition des congés

Il dépendra du type d’arrêt de travail. Les salariés qui ont été arrêtés à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ont droit à cinq semaines de congés payés (comme c’est déjà le cas aujourd’hui). En cas de maladie « simple », l’acquisition se fera au rythme de deux jours ouvrables par mois, soit quatre semaines par an.

La différence de traitement en fonction du motif de l’arrêt n’a pas été jugée contraire à la Constitution par le Conseil d’État, que le gouvernement a consulté pour s’assurer de la « solidité juridique » du dispositif.

Possibilité de report des congés et information de l’employeur

Un « droit au report » est instauré pour ceux qui n’ont pu prendre leurs congés en raison d’une maladie ou d’un accident. Il est fixé à quinze mois, sauf accord d’entreprise ou de branche plus favorable, à compter de l’information transmise par l’employeur sur les congés dont il dispose, postérieurement à sa reprise d’activité.

Cette information obligatoire du salarié par l’employeur sur le nombre de jours acquis et le délai dont le salarié dispose pour les poser doit être effectuée dans les dix jours qui suivent la reprise du travail après un arrêt maladie.

Date d’entrée en vigueur de la mesure et délais de prescription

L’amendement prévoit que ces règles d’acquisition et de report des droits à congés s’appliquent depuis le 1er décembre 2009. Un délai de forclusion de deux ans sera instauré à compter de la publication de la loi, qui s’impose au salarié toujours dans l’entreprise qui souhaiterait introduire une action en exécution du contrat de travail pour réclamer des congés qui auraient dû être acquis au cours de périodes d’arrêt maladie depuis le 1er décembre 2009.

S’agissant des salariés dont le contrat de travail a pris fin avant l’entrée en application de la loi, l’amendement ne modifie pas les règles de droit commun, qui impliquent la prescription triennale des actions en matière de paiement de salaires. Soit un total de douze semaines de congés maximum pour ne pas trop peser sur les entreprises, en particulier les plus petites.

Cette dernière disposition est évidemment de nature à rassurer les employeurs. En effet, les toutes premières décisions de justice qui ont suivi la décision de la Cour de cassation de septembre semblaient dire que les salariés pourraient revendiquer une sorte de « droit à congés payés » sans véritable limitation de durée puisque les juges étaient remontés jusqu’à la décision de la CJUE de 2009.

Des interrogations subsistent sur la sécurisation du dispositif proposé par le Gouvernement

Un certain nombre d’experts et de parlementaires ont évoqué le risque de contentieux important et mis en garde le Gouvernement face à un dispositif qu’ils considèrent « mal ficelé », en partie impraticable et « limité ». Le texte pourra cependant encore être enrichi d’ici le 9 avril et le passage en CMP.

Ainsi par exemple, malgré la décision du Conseil d’état évoquée supra, la différence de traitement entre les arrêts de travail d’origine professionnelle et non professionnelle pourrait tout de même être contestée pour réclamer un « alignement » à cinq semaines pour tout le monde. Idem pour la différenciation opérée entre les salariés toujours en poste dans l’entreprise et ceux qui sont partis.

Le point de départ du délai pour agir en justice, limité dans le temps, pourrait également poser question.

Plus inquiétant encore, la question de pose de l’effectivité du délai de prescription pour les salariés dont le contrat a été rompu avant l’entrée en vigueur de la loi. Pour eux le délai de prescription ne semble pas pouvoir s’appliquer puisque par définition ils n’ont jamais eu connaissance de leurs droits. Résultat, ces salariés pourraient potentiellement réclamer des congés payés acquis au-delà de la période triennale susvisée avec pour conséquence plutôt « contre-intuitive » que les salariés dont le contrat de travail a été rompu seraient finalement mieux traités que ceux qui sont restés dans l’entreprise…

Les entreprises devront être extrêmement vigilantes sur l’information transmise à leurs salariés, à la fois sur le nombre de jours acquis et sur le délai dont ils disposent pour pouvoir les poser. Pas d’information, pas de délai de report, pas de perte de congés payés.

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Conclusion

Il reste que cette nouvelle règle d’acquisition de congés payés au titre d’un arrêt de travail divise sur le fond. Pour certains, et notamment le Conseil constitutionnel dans une décision récente[5], les congés payés sont avant tout une contrepartie du travail, un repos compensateur. Une période d’arrêt doit-elle donner les mêmes droits qu’une période de travail ?

D’autres considèrent qu’il s’agit aussi et surtout de réparer une discrimination qui pénalise les plus fragiles. La finalité de l’arrêt maladie n’est pas de se reposer, mais de se soigner pour revenir apte à son poste. Cette évolution serait d’autant plus nécessaire que l’acquisition de congés payés est déjà prévue pour le congé maternité, qui au contraire de la maladie est assimilé par la loi à du temps de travail effectif.


Références :

  1. Décisions rendues par la chambre sociale le 13 septembre 2023. Pourvois n° 22-17.340 à 22-17.342 ; 22-17.638 ; 22-10.529, 22-11.106.
  2. Directive 2003/88/CE, 4 nov. 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail
  3. CJUE, 20 janv. 2009, no C350/06, Schultz-Hoff c. Deutsche Rentenversicherung Bund
  4. La commission mixte paritaire est une commission composée de sept députés et sept sénateurs pouvant être réunie à l’initiative du Premier ministre, ou des présidents des deux assemblées conjointement pour les propositions de lois, en cas de désaccord persistant entre les assemblées. Elle a pour mission d’aboutir à la conciliation des deux assemblées sur un texte commun.
  5. Décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024

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