Partager la publication "Vos collaborateurs se forment sans vous : faut-il s’en inquiéter ou s’en réjouir ?"

Face à ce mouvement de masse, l’heure du questionnement a sonné. Doit-on y voir un signal d’alarme – la preuve d’un échec patent des politiques de formation interne ? Ou bien l’émergence salutaire d’une génération de salariés responsables, capables de piloter leur employabilité sans attendre qu’on leur trace la route ? Entre perte de contrôle stratégique et autonomisation vertueuse, ce phénomène interroge frontalement le rôle des RH dans le développement des compétences.
1. L’autoformation explose : un mouvement de masse qui échappe aux RH
Les chiffres dessinent une réalité que beaucoup de directions préfèrent ignorer. 84% des utilisateurs du CPF entrés en formation en septembre 2022 ont financé la totalité du coût pédagogique avec leurs seuls droits CPF, sans un euro de leur employeur, révèle une étude DARES.
Même si l’étude commence à dater, ce n’est pas une tendance isolée, c’est un raz-de-marée. 1,4 million de personnes formées via le CPF en 2024, pour un total de 8,6 millions de dossiers financés depuis 2019 selon France Compétences. Des millions de salariés qui se forment tranquillement, souvent hors temps de travail, sans même en informer leur manager.
Cette explosion s’explique par une conjonction de facteurs structurels qui convergent pour créer une tempête parfaite. D’abord, l’effondrement des budgets formation : 74% des entreprises ont réduit leur enveloppe en 2025, et 60% envisagent carrément d’abandonner certains programmes. Quand l’entreprise coupe les vivres, le salarié se débrouille autrement. Ensuite, l’inadéquation chronique des offres internes : 16% des salariés déclarent que leur entreprise ne leur propose tout simplement pas de formation , et 26% des salariés en emploi qui aspirent à se former mentionnent le refus ou le manque d’aide de l’employeur comme difficulté majeure, rapporte l’INSEE.
Enfin, le déficit d’information crève les yeux : 57% des actifs se déclarent mal informés sur leurs droits en matière de formation selon Skillup. Dans ce contexte, le CPF devient la solution par défaut.
Le plus révélateur reste pourtant ailleurs : 90% des utilisateurs du CPF se déclarent satisfaits de leurs formations, d’après la Caisse des Dépôts. Un taux qui contraste violemment avec les formations imposées par l’employeur, souvent vécues comme contraintes réglementaires plus que comme opportunités d’évolution. Les salariés votent avec leurs droits CPF, et le verdict est sans appel.
2. Pourquoi s’en inquiéter : les risques du « chacun pour soi »
Cette autonomisation massive pose des problèmes stratégiques que les DRH ne peuvent plus se permettre d’ignorer. Le premier danger ? La perte totale d’alignement entre les compétences développées et les besoins réels de l’entreprise. Quand vos collaborateurs se forment seuls, ils choisissent – légitimement – des parcours qui servent leurs projets personnels, pas forcément votre stratégie business. 47% des aspirants veulent améliorer leurs perspectives de carrière et 46% cherchent à changer de travail ou de métier selon l’INSEE.
Autrement dit : près de la moitié des gens qui se forment via leur CPF préparent activement leur départ, ce qui génère du turn-over. Difficile de voir là une convergence d’intérêts.
Cette fuite en avant individuelle aggrave mécaniquement les inégalités déjà criantes du système. Les petites structures trinquent doublement : non seulement elles forment 4 fois moins que les grandes entreprises en proportion de leur masse salariale, mais en plus leurs salariés, moins accompagnés, peinent davantage à mobiliser leur CPF de manière stratégique. Résultat : les collaborateurs des PME accumulent un double handicap – moins de formation en interne ET moins de capacité à optimiser leur autoformation.
Le signal le plus inquiétant reste sans doute celui-ci : seules 2,3% des entreprises de plus de 10 salariés ont recours au CPF co-construit, et 71% ne s’approprient pas cet outil à cause d’un déficit d’information révèle Centre Inffo. Traduction : l’immense majorité des RH ont complètement abandonné la gestion des compétences et le pilotage de la montée en compétences de leurs équipes. Ce n’est plus de la délégation, c’est de la démission pure et simple.
Le dernier risque, le plus insidieux, concerne le dialogue social lui-même. Moins de 50% des salariés ayant eu un entretien professionnel ont évoqué leurs besoins de formation , toujours selon l’INSEE. Quand les collaborateurs cessent de parler formation avec leur hiérarchie et gèrent tout en parallèle via leur CPF, c’est tout un pan du contrat de confiance qui s’effrite. Les RH découvrent les reconversions au moment des démissions, jamais en amont. Trop tard pour agir, trop tard pour retenir.
3. Pourquoi s’en réjouir : l’émergence de salariés acteurs de leur parcours
Renversons maintenant la perspective. Et si cette vague d’autoformation révélait quelque chose de profondément sain ? 74% des actifs estiment que c’est à chacun d’être responsable de son parcours de formation professionnelle – contre seulement 26% qui attribuent cette responsabilité aux pouvoirs publics, branches ou entreprises – selon le Baromètre Centre Inffo-CSA 2025. Cette conviction n’est pas un renoncement, c’est une prise de maturité. Les salariés qui se forment seuls ne fuient pas l’entreprise : ils assument leur employabilité parce qu’ils ont compris qu’elle ne se déléguait plus.
Cette responsabilisation produit une agilité que les plans de formation classiques ne peuvent plus offrir. 75% des salariés souhaitent plus d’autonomie dans leur formation selon Edflex.
Dans un monde du travail qui se transforme à une vitesse folle – IA générative, transitions écologiques, métiers émergents – attendre le feu vert de la hiérarchie ou le prochain comité de pilotage formation, c’est prendre six mois de retard. Les salariés qui se forment en autonomie via leur CPF développent des compétences en temps réel, au moment où ils en ont besoin, pas quand le catalogue annuel l’a prévu.
Le phénomène des reconversions illustre parfaitement cette dynamique vertueuse. 47% des actifs préparent ou envisagent une reconversion professionnelle, et parmi eux 61% suivent, ont suivi ou vont suivre une formation spécifique dans ce cadre révèle le Baromètre Centre Inffo-CSA. Ces chiffres massifs témoignent d’une capacité collective à anticiper les mutations du marché du travail. Des collaborateurs qui se préparent à pivoter, qui acquièrent des compétences transférables, qui testent de nouveaux domaines : voilà une forme d’adaptabilité que les entreprises devraient encourager plutôt que craindre.
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4. Ni inquiétude ni euphorie : réinventer le rôle RH
L’autoformation massive des collaborateurs n’est ni une catastrophe à déplorer ni une panacée à célébrer. C’est un fait, brutal, irréversible, qui oblige les RH à sortir de leur zone de confort. La vraie question n’est plus « comment contrôler ce qui nous échappe ? » mais « comment accompagner ce qui existe déjà ? ». Parce que pendant qu’on débat du bien-fondé du phénomène, 1,4 million de personnes se forment chaque année sans attendre notre avis.
Le modèle du plan de formation descendant, celui où les RH prescrivent et les collaborateurs exécutent, appartient au passé.
Les entreprises qui s’accrochent à cette logique de contrôle perdront doublement : leurs salariés continueront à se former ailleurs, ET ils le feront en préparant leur sortie plutôt qu’en renforçant leur contribution. À l’inverse, celles qui basculent vers une posture de facilitateur stratégique – qui accompagnent les projets CPF, qui co-construisent les parcours, qui créent des passerelles entre aspirations individuelles et besoins collectifs – transformeront cette énergie en avantage concurrentiel.
Concrètement ? Arrêtez de mesurer votre performance RH au nombre d’heures de formation dispensées. Mesurez plutôt votre capacité à faire converger les 84% de salariés qui se forment seuls avec vos enjeux stratégiques. Organisez des entretiens CPF dédiés, proposez des abondements ciblés sur les compétences critiques, créez des communautés d’apprentissage qui valorisent l’autoformation plutôt que de la subir. Seules 2,3% des entreprises ont adopté le CPF co-construit : il reste 97,7% de terrain à conquérir.
Les collaborateurs ne demandent plus la permission de se former. Aux RH de décider s’ils veulent accompagner le mouvement ou le regarder passer.



